De novembre à mars, le Mucem accueille Les Procès du Siècle ! Au programme : un cycle de passionnants débats autour des évolutions de la société, des luttes et des minorités, notamment de genres. Des thématiques au cœur de la ligne éditoriale de Madmoizelle, qui est partenaire de l’événement.
Ces débats s’appuient à chaque fois sur des « pièces à convictions », des objets tirés des collections du Mucem. La rédaction de Madmoizelle s’est associée aux conservatrices du musée pour vous décrypter six de ces pièces à conviction : des objets qui, comme dans un véritable procès, sont bien plus bavards qu’il n’y paraît… Aujourd’hui, penchons-nous sur un très seyant costume de lutteur breton !
La pièce à conviction du jour : un costume de lutteur breton
Il n’y a pas à dire, le costume en jette : une tunique en lin crème, un petit short rouge en satinette et une ceinture ornée de la fameuse hermine bretonne. Ce costume, c’est celui d’un lutteur breton. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce vêtement a plein de choses à nous dire sur… la virilité.
Faisons un petit voyage dans le temps : la lutte bretonne, ou Gouren, existe depuis des siècles. Et si, aujourd’hui, c’est un sport classique avec une fédération et des compétitions, cela n’a pas toujours été le cas.
Pendant des siècles, il était courant de voir lors des grandes fêtes religieuses des démonstrations mettant en scène la force physique des hommes, comme le tir à la corde ou la lutte. Ces défis ont à l’époque une vraie dimension sociale : démontrer sa force, c’est aussi prouver sa compétence comme paysan (la Bretagne est alors très rurale et le métier de paysan particulièrement physique). Bref, le Gouren est alors bien plus qu’un simple sport : c’est un rituel culturel et social. En démontrant sa force musculaire, le lutteur prouve devant toute la communauté qu’il est un homme, un vrai.
L’habit ne fait pas le lutteur
Et le petit short, dans tout ça ? La fin du 19e siècle voit apparaître tout une réflexion sur l’hygiène, qui valorise des corps musclés comme signe de bonne santé, et remet à la mode une discipline antique : la gymnastique. Ce sont donc probablement les costumes des gymnastes qui ont inspiré cette tenue de lutteur breton : un vêtement court, qui met en valeur le corps de son propriétaire et ses muscles bien dessinés.
Les gros muscles, parlons-en : ils font partie intégrante du « starter pack » d’une espèce d’archétype de la virilité, aux côtés de la force physique, du courage et de l’agressivité. Des cases que pourrait a priori cocher le Gouren…
Mais, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un déchaînement de violence brute et incontrôlée. Très codifié, le Gouren impose au contraire des règles complexes à respecter, qui peuvent presque le rapprocher d’une sorte de danse. La lutte bretonne demande à ses participants une grande maîtrise de leur force : il n’est pas question de foncer dans le tas !
On ne naît pas homme, on le devient
Pourtant, il s’agit bien d’une démonstration de virilité. Parce qu’il se déroule en public, lors de grandes fêtes qui rassemblent toute la communauté, le Gouren est une véritable mise en scène d’une certaine masculinité stéréotypée.
En effet, la virilité se construit avant tout pour les autres. Les représentations anciennes montrent des lutteurs masculins en action entourés d’une audience largement féminine et passive… Ces rituels mettent aussi en scène les rapports entre les genres, en les distinguant clairement et en assignant à chacun une place bien définie et bien construite socialement.
Car la virilité, comme la féminité, est une construction qui a évolué au fil du temps. N’en déplaise à ceux qui voudraient imposer une vision essentialisante de la virilité, faisant partie de la nature profonde de chaque homme, et qui n’aurait pas bougé d’un poil depuis l’époque où Néandertal zigouillait des mammouths à mains nues…
Comment être viril aujourd’hui ?
Ce modèle archaïque de virilité traîne des valeurs qui peuvent être lourdes à porter. Et s’il semblait indispensable au paysan breton du 19e siècle de s’y conformer pour faire partie de la société, l’époque a heureusement changé. Aujourd’hui, de plus en plus d’hommes remettent en question ce qui est considéré comme viril. Ils parlent des complexes qui peuvent naître de ces archétypes écrasants et, disons-le, souvent toxiques.
Le sexisme et la virilité exacerbée sont les vraies stars de Youtube France
Il y a aussi des exemples toujours plus nombreux de virilités alternatives, montrant qu’une autre voie est possible : les looks androgynes d’Harry Styles ou l’époustouflant dos nu de Timothée Chalamet n’en sont que les exemples les plus récents.
Autant dire que ce costume de lutteur breton est la pièce à conviction parfaite pour instruire le Procès du Siècle qui se tient ce soir au Mucem sur le sujet « La virilité, fierté ou boulet ? ». Comment être un homme au 21e siècle, surtout quand les valeurs considérées comme viriles sont mises à mal à l’heure de #MeToo ? Comment déconstruire la masculinité ? Et surtout, comment en construire une nouvelle ?
Ces questions seront au cœur du débat animé par Tewfik Hakem, avec la philosophe Olivia Gazalé, le réalisateur Laurent Mariette, et avec la participation de Justine Bohbote, conservatrice au Mucem. Rendez-vous ce soir à Marseille pour les écouter, et la semaine prochaine pour découvrir notre prochaine pièce à conviction !
Pour découvrir le reste du programme des Procès du Siècle
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