L’onde de choc se poursuit. Depuis la sortie du livre La Familia Grande de Camille Kouchner et le mouvement #MeTooInceste qui a suivi, la parole des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ou l’adolescence est devenue assez assourdissante pour être enfin écoutée.
Récemment, Coline Berry, la fille de Richard Berry, a porté plainte contre son père pour viols et agressions sexuelles survenues alors qu’elle était âgée de 8 ans. De son côté, l’acteur a démenti sur Instagram, affirmant « Je n’ai jamais eu de relations déplacées ou incestueuses avec Coline, ni avec aucun de mes enfants » ; pour en savoir plus, nous vous référons à cet article du Monde, très complet.
Face à cette avalanche bouleversante de témoignages, légiférer pour protéger est devenu un impératif. C’est dans ce sens qu’Annick Billon, sénatrice centriste, a présenté un texte pour réformer la loi française concernant les questions de violences sexuelles commises sur des personnes mineures.
Suite au vote à l’unanimité du Sénat de la proposition de loi visant à protéger les mineurs et mineures contre les crimes sexuels, les associations soulignent certes une avancée… mais loin d’être suffisante.
Une proposition de loi qui va dans le bon sens
Le souffle libérateur auquel on assiste depuis quelques jours sur les réseaux sociaux a peut-être aidé à sortir de sa torpeur le gouvernement et le législateur : la proposition de loi portant sur la protection des jeunes mineurs des crimes sexuels porté par Annick Billon a été votée à l’unanimité ! Une bonne nouvelle tant ce sujet sensible doit être au-dessus des luttes partisanes. Lors de la présentation du texte, la sénatrice a déclaré :
« Notre droit pénal actuel ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels (…) 40 % des viols et tentatives de viol déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans, 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans ; il y aurait, chaque année, environ 150 000 viols et tentatives de viol sur mineurs, soit 300 à 400 par jour. »
Des chiffres qui confirment l’urgence dans laquelle se trouve la société. Avec l’adoption de ce texte en première lecture, les sénateurs créent une nouvelle infraction : toute pénétration sexuelle entre un adulte et un enfant de moins de 13 ans est désormais punie de vingt ans de réclusion criminelle, à la condition que l’auteur des faits connaisse ou ne puisse ignorer l’âge de la victime.
Autre avancée, l’inceste est puni plus sévèrement. En effet, pour toute atteinte sexuelle incestueuse sur mineur, la peine encourue est aggravée : dix ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende.
À l’évidence, ce texte de loi reste une amélioration du cadre législatif concernant la protection des mineurs et mineures, mais selon certaines associations, il aurait fallu aller plus loin.
Pourquoi cette nouvelle loi ne convainc pas à 100%
À l’aune d’une libération historique
et inédite de la parole de victimes, certaines associations auraient voulu un texte plus audacieux. Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, affirme avec agacement pour madmoiZelle :
« Cela me dérange énormément qu’on puisse forcer une pénétration sur un enfant sans parler de viol, on va en faire un crime spécifique. Le début de la pédagogie est d’appeler un chat un chat. Il n’y a pas de mot “viol”, ça n’a pas de sens. »
Et ce n’est pas le seul aspect de cette loi qui tombe à côté, selon elle. En effet, l’aggravation des peines n’est pas une victoire à ses yeux, car dans les faits elles sont rarement appliquées… La militante précise :
« La durée moyenne des condamnations pour viol est de huit ans, c’est très en dessous des plafonds. En plus, 0,3 % des violeurs sont condamnés. Ce quantum des peines n’a pas de sens. »
S’ajoute à ce chiffre celui des plaintes pour viols classées, qui est de 76% selon le ministère de la Justice. Clairement, alourdir les peines peut paraître secondaire puisque dès le départ, les victimes ne semblent pas écoutées… L’enjeu ne joue pas pendant les procès, mais bien en amont.
Autre pierre d’achoppement : le seuil de non-consentement fixé à 13 ans. À l’adoption de ce texte, sur les réseaux sociaux, actrices et militantes ont posté des photos d’elle à 13 ans, interrogeant sur la capacité à consentir à cet âge — l’objectif étant de relever ce seuil. Une position partagée par Emmanuelle Piet, qui propose d’aller plus loin :
« Une autre piste d’amélioration est de d’établir que le consentement ou l’absence de celui-ci résulte nécessairement de la différence d’âge. »
L’idée serait de se baser sur l’écart entre agresseur et victime et non sur l’âge de cette dernière, qui n’est pas forcément un critère suffisant pour attester ou non du consentement. L’initiative « j’ai une tête à consentir ? » a d’ailleurs fait débat, puisqu’on peut tout à fait avoir un physique presque adulte à 13 ans et ne pas, pour autant, avoir « une tête à consentir » — une problématique d’autant plus importante que comme l’ont pointé certaines féministes, les filles racisées peuvent être traitées différemment de leurs consœurs blanches par la société.
https://twitter.com/paulinemski/status/1353261225661050881
Autant de marge de manœuvre pour un texte bienvenu mais imparfait à bien des égards. Face à l’urgence de la situation, Emmanuelle Piet comme d’autres militantes ne compte pas baisser les bras :
« La petite victoire sera la reconnaissance que toute pénétration sur un enfant de 13 ans par un adulte est un viol. On militera en ce sens, et on ne s’arrêtera pas là : après 45 ans de lutte, je continuerai à me battre. »
Après son adoption en première lecture, le texte sera inscrit prochainement à l’agenda de l’Assemblée nationale. Hasard du calendrier, l’étude d’une autre proposition de loi sur la protection des mineurs est programmée le jeudi 18 février…
Face au retentissement médiatique qu’ont connues les dénonciations d’inceste récentes, le pouvoir législatif semble ne plus avoir le choix : il faut améliorer la loi.
À lire aussi : Et si #metooinceste faisait enfin changer la loi autour du consentement ?
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Les Commentaires
Article intéressant, j'avais tiqué sur tout ce truc autour des photos de "moi à 13 ans"... Valérie Rey-Robert (du blog Crêpe Georgette, auteure de "Une culture du viol à la française" résume ça ici mieux que moi (à dérouler):