C’est une réalité qui n’est malheureusement pas nouvelle : le sport féminin ne jouit pas de l’intérêt (pour ne pas dire, est méprisé) des diffuseurs et des sponsors, qui préfèrent miser sur des équipes masculines, bien plus visibles et appréciées du grand public et donc, bien plus rentables. Dans de nombreuses disciplines, les joueuses professionnelles pâtissent d’inégalités systémiques : pourtant aussi qualifiées que leurs homologues masculins, elles sont considérées par le public comme moins performantes. Leurs compétitions sont moins suivies et moins retransmises. En résulte un désintérêt des sponsors et, in fine, un manque de revenus et de moyens. Les joueuses souffrent donc d’inégalités criantes de salaires et de reconnaissance.
Pourtant, dans le sport féminin, l’Olympique Lyonnais féminin faisait presque figure d’exception : club le plus titré de l’histoire du championnat de France féminin, les féminines de l’OL ont été sacrées quinze fois championnes de France, remporté neuf coupes de France et huit titres en Ligue des champions. Des succès leur ayant assuré une visibilité forte auprès du grand public et des sponsors et une réputation qui n’était plus à faire au-delà des simples cercles du football féminin.
Mais était-ce suffisant, pour imaginer faire disparaître les inégalités structurelles dont sont victimes les joueuses ? Il ne semble pas.
« Je veux que Lyon sache que ce n’est pas OK »
Dans une tribune publiée sur le site The Players Tribune, la footballeuse Sara Björk Gunnarsdóttir, ancienne joueuse lyonnaise actuellement en poste à la Juventus Turin raconte comment le club a volontairement coupé le versement de ses salaires alors qu’elle était enceinte.
« Au début, la seule chose que j’ai ressentie était du bonheur, et puis, la réalité m’a frappée. Mince, comment l’équipe va-t-elle réagir à cela ? »
Sara Björk Gunnarsdóttir
« Je veux que Lyon sache que ce n’est pas OK » débute-t-elle, affirmant qu’elle est consciente que sa prise de parole risque de déplaire à de nombreuses personnes du milieu.
Tout démarre en mars 2021. Sara Björk Gunnarsdóttir fait un test de grossesse et apprend qu’elle est enceinte. Après la joie de l’annonce vient l’inquiétude : comment l’équipe va-t-elle prendre la nouvelle ? Elle n’est qu’à quelques semaines de grossesse et en parle d’abord à l’équipe de soignants du club, qui lui conseille de garder la nouvelle secrète pour l’heure. Seulement, quelques semaines plus tard, à l’approche d’un match important face au PSG féminin, Sara Björk Gunnarsdóttir est prise de nausées et vomit à plusieurs reprises, ce que la direction de l’équipe commence à remarquer. La semaine suivante, elle décide de l’annoncer officiellement à l’ensemble de l’équipe.
« Ouais… Je suis enceinte. »
Sara Björk Gunnarsdóttir
« C’était drôle de voir leurs réactions parce que certaines personnes étaient choquées. Je pense qu’il y avait beaucoup d’émotions mélangées – quand une joueuse annonce qu’elle est enceinte, c’est un moment spécial, qui vient aussi avec son lot d’inconnues. »
Le bras droit de Jean-Michel Aulas, qui dirige le club, Vincent Ponsot, s’entretient alors avec la joueuse pour réfléchir aux prochaines étapes. « Il y a ensuite eu beaucoup de questions parce que j’étais la première personne dans l’histoire de Lyon à être enceinte et à avoir l’intention claire de revenir et continuer à jouer ensuite ». Il est décidé que Sara Björk Gunnarsdóttir retournera en Islande, dont elle est originaire, pour poursuivre sa grossesse, pour ne pas prendre de risques, notamment en ce qui concerne le Covid, dont plusieurs cas sont confirmés à ce moment-là au sein de l’équipe. Sara Björk Gunnarsdóttir rejoint donc l’Islande, soulagée aussi de pouvoir s’adresser dans sa langue natale aux soignants qui vont l’accompagner dans sa grossesse.
« Je n’avais aucune raison d’imaginer que quelque chose se passe mal. Jusqu’à ce que je ne reçoive pas une première paye »
Et puis, après deux mois de grossesse, Sara Björk Gunnarsdóttir ne reçoit pas une première paye. Elle demande alors à ses collègues, qui elles, ont reçu la leur à temps. Au départ, elle pense à un oubli et ne s’en inquiète pas outre-mesure. « Puis je n’ai pas reçu la suivante. Donc là je me dis, ‘attends’. »
Elle contacte alors la direction de l’OL féminin qui lui assure qu’il s’agit d’une erreur. Puis, après quelque temps, ses payes ne venant toujours pas, la direction lui rétorque s’en remettre à la législation française, et ne plus rien lui devoir.
« Si Sara va voir la FIFA, elle n’a pas de futur à Lyon. »
Sauf que la FIFA prévoit, dans les règlements de l’instance internationale, que les joueuses bénéficient d’un statut particulier lorsqu’elles sont enceintes ou en congé maternité. Alors que son agent, Dietmar, s’apprête à faire remonter le litige au niveau de la FIFA, Vincent Ponsot aurait dit : « Si Sara va voir la FIFA, elle n’a pas de futur à Lyon. »
Choquée, Sara Björk Gunnarsdóttir se demande si elle vient de perdre sa place dans l’équipe (son contrat court pourtant encore pendant six mois). « Peut-être qu’ils ont pensé ‘elle va en Islande pour prendre des vacances’. Mais je m’entrainais comme une dingue pendant ma grossesse. Une fois les nausées passées, je me sentais fraîche. Je détestais le fait de ne plus être capable de jouer au foot, mais je pouvais courir, nager. Je travaillais tous les jours avec un coach, que j’ai payé moi-même… D’ailleurs, j’ai dû payer pour tout durant cette période sur mes économies. […] Ce n’est pas un sentiment agréable, notamment quand on est sur le point de créer une famille. »
Différence de traitement lors des entrainements
En janvier de l’année suivante, la joueuse rentre à Lyon accompagnée de son compagnon et de son tout jeune enfant, Ragnar. « Énervée », elle décide de se concentrer sur le jeu et de se donner à 110% pour leur montrer qu’elle se sentait « prête à jouer ». À son retour, Sara Björk Gunnarsdóttir constate pourtant une différence de traitement la concernant lors des entrainements. On lui demande aussi de ne pas amener son bébé avec elle lors des matches : « Ils ont dit que c’était parce que cela pouvait vraiment déranger les joueuses en bus ou en avion, s’il pleurait tout le chemin. »
En parallèle de son retour, la footballeuse se bat toujours pour le règlement de ses salaires non payés (elle obtiendra gain de cause en mai 2022). Mais lors d’échanges avec la direction du club, elle raconte l’ignorance de Jean-Michel Aulas qui ne l’a « même pas saluée, même pas regardée » lors d’une réunion.
Permettre à d’autres joueuses de ne pas vivre la chose
Bien que Vincent Ponsot ait tenté de la rassurer, « Cela n’a rien de personnel », assure-t-il, Sara Björk Gunnarsdóttir est dès lors pourtant persuadée que si. La joueuse, qui a par la suite rejoint la Juventus Turin, où elle se dit désormais « heureuse (…) dans un endroit idéal en tant que famille », explique que sa démarche vise à permettre à d’autres joueuses souhaitant être mère durant leur carrière de ne pas vivre la même chose qu’elle.
This story is bigger than me! It’s a wake up call for all clubs and it’s a message to all players that if they get pregnant or want to get pregnant during their career they have their rights and guarantees!@PlayersTribune @FIFPRO https://t.co/Rnzj7lua9g
— Sara Björk (@sarabjork18) January 17, 2023
Selon l’AFP, l’OL féminin a été condamné par la FIFA à verser environ 82 000 euros à la joueuse. Mardi 17 janvier, le club a aussi livré sa version des faits, et assure :
Nous avons tout mis en œuvre pour accompagner Sara Björk Gunnarsdóttir dans sa maternité, ainsi que son retour au plus haut niveau.
Communiqué de l’OL
Sara Björk Gunnarsdóttir a été la première femme de l’histoire de l’OL à tomber enceinte, elle ne sera certainement pas la dernière. Le club sera-t-il d’ici là capable de prouver pleinement son engagement et son implication auprès des joueuses et la défense de leur statut lorsque celles-ci deviennent mères ?
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Visuel de Une : Sara Björk Gunnarsdóttir / The Players Tribune
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