Il y a des titres dont la simple évocation inspire, à tort, l’ennui.
Faites l’expérience en demandant en soirée : « T’as vu Top of The Lake de Jane Campion ? », et vous constaterez que les gens roulent des yeux neurasthéniques.
Jane Campion, pas si boring que ça
Eh oui, malheureusement, Jane Campion fait partie de cette trempe de réalisatrices et réalisateurs qui peuvent provoquer un sommeil immédiat rien qu’en les nommant, à l’instar de Terrence Malick.
Quand on pense à eux, on pense souvent aux VHS chiantes comme pas deux que mataient nos parents le dimanche soir, à base de plans à rallonge sur des escargots et autre musique lancinante sur fond de plage brumeuse.
Nous-même, on s’est fait chier plus d’une fois devant les premiers films de Jane Campion quand on était môme. Et puis, adulte, on a tout revu et force est de constater qu’on a pas bâillé une seule fois, bien au contraire.
À l’occasion de la sortie de son nouveau film sur Netflix, la plateforme a également mis en ligne ses autres créations, et voilà pourquoi vous devriez les (re)voir.
Jane Campion, la première réalisatrice à avoir remporté la Palme d’or
Le chiffre 82 vous dit-il quelque chose ?
Sachez que c’est le nombre de réalisatrices (recensées en 2018, d’autres sont à ajouter désormais) qui ont monté les marches depuis la création du festival de Cannes. Contre 1688 hommes.
Chiffre qui, en 2018, a donné lieu à la marche des 82 femmes venues réclamer plus de visibilité pour leur travail au cinéma, parmi lesquelles Aïssa Maïga, Marion Cotillard ou encore Cate Blanchett et Agnès Varda.
Et sur ces 82 femmes, à l’époque, il n’y en a eu qu’une à avoir remporté la Palme d’or, à savoir la récompense suprême du festival. Et elle s’appelle Jane Campion (elle est également la seule personnalité à détenir à la fois la Palme d’or du long ET du court métrage).
Depuis, s’est ajoutée à cette très courte liste Julia Ducournau pour son film Titane. Voilà, c’est tout.
Jane Campion est par ailleurs la première femme réalisatrice de l’histoire du festival de Cannes à avoir présidé le jury, 21 ans après être devenue la première femme à remporter la Palme d’or.
Qu’on aime ou non son cinéma, Jane Campion demeure alors une figure historique du 7è art, et pour cette seule raison, elle mérite déjà toute votre attention.
Jane Campion, réalisatrice féministe
La réalisatrice néo-zélandaise d’aujourd’hui 67 ans, a toujours baigné dans les arts-dramatiques, la faute à un papa directeur de théâtre, qui l’a initiée au monde du spectacle dès son plus jeune âge.
Mais très vite, la cinéaste s’est émancipée de l’apprentissage paternel pour façonner son art à elle : un art tourné vers les femmes.
Ainsi, les femmes sont toujours au cœur des films de Jane Campion — qui se revendique féministe depuis depuis ses débuts — que ce soit dans La leçon de piano bien sûr (qui a, par ailleurs, des années après sa sortie, été réprimé pour la glamourisation de l’emprise du personnage masculin sur son héroïne) — dans Portrait de femme, Sweetie, Holy Smoke, Bright Star (l’un de nos films favoris de tous les temps) et même dans sa série très pointue Top of the Lake.
Il n’y a guère que dans The Power of The Dog (co-écrit par Thomas Savage), son tout dernier film directement mis en ligne sur Netflix, qu’elle explore le terrain de la masculinité, mais avec puissance et psychologie, comme on la voit peu à la télévision.
Si la réalisatrice est plutôt discrète dans les médias, aimant davantage le cinéma que la célébrité à proprement parler, elle donne régulièrement son point de vue sur la mutation de nos sociétés, et notamment sur la place évolutive des femmes à l’intérieur d’elles.
Elle a notamment exprimé au Guardian l’avis selon lequel #MeToo marquait « la fin de l’Apartheid pour les femmes » ou encore qu’il signait « l’effondrement du mur de Berlin ».
La réalisatrice ne pèse pas ses mots, comme elles ne pesaient pas le poids de ses images dans les superbes mais traumatiques La leçon de Piano ou Portrait de femme.
La masculinité au cœur du dernier film de Jane Campion
Il est passionnant d’observer les transitions dans les filmographies des auteurs et cinéastes, de comprendre comment et où glissent leurs obsessions.
Ainsi, Pedro Almodóvar, surtout connu pour filmer les femmes comme le font peu de réalisateurs masculins, a abandonné ses héroïnes habituelles en 2019 pour présenter au monde Douleur et Gloire, un film essentiellement tourné sur une histoire d’amour dévorante entre deux hommes. Une œuvre spectaculaire, tant dans sa mise en scène que dans le traitement de son propos, qui valait bien un détour de son chemin habituel.
Jane Campion fait cette année de même. Elle quitte quelques instants ses héroïnes bousculées par la vie (et surtout par les hommes) pour explorer un monde très testosteroné.
Dans The Power of The Dog, en effet, la cinéaste explore les relations conflictuelles de Phil et George Burbank, deux frères que tout oppose.
Autant Phil est raffiné, brillant et cruel, autant George est flegmatique, méticuleux et bienveillant. À eux deux, ils sont à la tête du plus gros ranch de la vallée du Montana. Une région loin de la modernité galopante du XXème siècle, où les hommes assument toujours leur virilité et où l’on vénère la figure de Bronco Henry, le plus grand cow-boy que Phil ait jamais rencontré.
Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d’anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé, comme d’un pion dans sa stratégie sadique et sans merci.
Avec une maitrise singulière d’un récit dont elle est a priori très éloignée, Jane Campion explore les affres de la masculinité toxique.
La réalisatrice a expliqué au Guardian :
« Le film parle de masculinité toxique. Essayer de la comprendre et de la reconnaître, c’est la seule façon de changer cette masculinité. Vous ne pouvez pas simplement vous y opposer, cela reviendrait à mettre de l’huile sur le feu. Vous devez comprendre pourquoi ces hommes causent des dommages aux autres et à eux-mêmes. Aborder et remettre en question la masculinité toxique n’est pas suffisant. »
Rien ne résiste à la capacité d’analyse de Jane Campion qui transforme en images les questionnements psychologiques et sociaux de notre époque.
Parce que son cinéma est profondément politique et social, parce qu’elle est elle-même engagée, et parce qu’elle a fait l’histoire, elle mérite que vous consacriez un peu de votre temps à sa filmographie, d’ores et déjà disponible sur Netflix.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je suis aussi un peu perplexe sur l'étiquette "film sur la masculinité toxique" posée sur le film, certes ça rentre forcément dans le sujet mais bon on part plus sur une bonne vieille Contenu spoiler caché.
La figure de Bronco Henry et son rapport à Phil est quand même pas extrêmement subtile (Contenu spoiler caché. et alors son nom écrit en gros sur Contenu spoiler caché., oskour l'absence de subtilité, visiblement les spectateurs sont vus comme cons comme des pieds de chaise).
De manière générale j'ai trouvé que le film amenait sa thématique principale avec de gros sabots, aisément devinable. Pas qu'il ait fallu un twist ou un truc du genre mais, si j'ai trouvé le film vraiment très beau et très prenant (je n'ai pas décroché tout du long, je connais peu le cinéma de Jane Campion mais ça m'a vraiment emporté), tout m'a semblait très lourdement souligné dès que çaContenu spoiler caché..
Un aspect de cela aurait d'ailleurs pu être développé :
Bref j'ai trouvé le film à la fois captivant par la manière dont il est filmé et manquant totalement de subtilité pour son propos principal, archi surligné comme si les spectateurs étaient incapables de comprendre les sous-entendus et les allusions.