Jeudi 27 janvier, Samhain, You Are Not My Mother a été projeté au cinéma qui borde le lac de Gérardmer, où s’ébrouent les rares colverts à ne pas s’être laissé décourager par le gel saisonnier.
Sous les applaudissements d’un public venu trembler en masse, la réalisatrice, Kate Dolan, a présenté son film dans un Français certes hésitant mais tout à fait irrésistible.
À sa demande, les techniciens ont rallumé la grande salle pour que Kate fasse un selfie avec toutes les têtes, coiffées de moumoutes anti-otite, venues découvrir son premier long-métrage.
Kate Dolan, chaleureuse conteuse d’histoires
Au sortir du film, Kate avait disparu, engloutie sans doute par la nuit qui la fascine, et ne nous est réapparue que le lendemain, au bar du Grand Hotel de Gérardmer, coiffée d’un bonnet.
Sans timidité aucune, Kate nous a détaillé ses intentions filmiques, évoqué l’intime qui la lie à Samhain et chanté les légendes de son Irlande natale.
Sa chaleur bienfaisante a fait fondre un peu du gel de la ville, et croitre notre admiration pour elle. Elle qui, comme d’autres réalisatrices sélectionnées avant elle à Gérardmer, frappe fort dès son coup d’essai.
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Kate Dolan raconte les mythes de l’Irlande et son rapport à la famille
Autour d’un thé vert, parmi les bruits feutrés du Grand Hôtel de Gérardmer, où logent les artistes et jurys du festival, Madmoizelle a pu poser toutes ses questions à Kate Dolan auxquelles, bonne cliente, elle a répondu volontiers.
Madmoizelle : Samhain est une fresque splendide du folklore irlandais, mais c’est aussi le portrait impitoyable d’une mère dépressive et d’une enfant harcelée. Quelles sont les origines de ce drame intimiste ?
Kate Dolan : D’abord, Samhain est en effet une exploration du folklore irlandais. Dedans, il y a les changelins par exemple, l’idée aussi que des personnes ont été remplacées par quelque chose d’autre, une autre entité : ce sont des histoires auxquelles les Irlandais ont fortement cru dans la vraie vie, au XXè siècle et avant. J’ai lu beaucoup d’histoires sur des personnes qui avaient réellement brûlé des membres de leurs familles car elles pensaient qu’ils étaient possédé par quelque chose ou qu’ils étaient des doppelganger. Ce qui arrive à la famille de mon film est principalement inspiré de ce folklore. Mais il y a aussi beaucoup de mes expériences personnelles dans ce long-métrage. Dans ma famille il y a eu quelques cas de personnes souffrant de troubles de la santé mentale. Quand on est enfant, on ne s’en rend pas forcément compte car ces sujets sont mis sous le tapis mais quand on grandit et qu’on en apprend plus sur sa famille, on se rend compte que ça fait partie de notre ADN. Qu’on ne peut pas échapper à cette espèce d’Hérédité.
Madmoizelle : Susan, la seule amie que parvient à se faire Charlotte, lui confie dans une scène glaçante « La famille est la chose la plus terrifiante au monde ». Pourquoi une vision si violente de la notion même de famille ?
Kale Dolan : La famille fait peur pour tellement de raisons (rires). […] Mais ce qui est le plus terrifiant, c’est qu’on ne peut jamais réellement se séparer de notre famille. Je veux dire, on peut physiquement bien sûr. Mais votre ADN reste le même. Cet ADN est en vous. Donc on ne peut jamais vraiment extirper de cette partie de nous. C’est ce qui fait peur.
Madmoizelle : Dans votre premier court-métrage, Little Doll, vous abordiez la thématique de l’amour entre petites filles. Aujourd’hui, dans Samhain, on ne retrouve quasiment que des personnages féminins. Pensez-vous continuer à vous concentrer sur les femmes et leurs problématiques ?
Kate Dolan : En tant que femme réalisatrice, il est logique pour moi d’inclure des femmes dans mes projets. Dans Samhain, dès qu’il y avait ne serait-ce qu’un petit rôle, je le donnais à une femme. Je voulais remplir ce film de femmes (rires). Vous savez, certains de mes films préférés ont été réalisés par des hommes, comme The Thing de John Carpenter, mais quand je fais du cinéma, je veux raconter ma propre expérience, ma propre vision du monde. Je ne l’ai pas réfléchi, ça s’est fait instinctivement.
Madmoizelle : Vous faites partie de la communauté queer, ce qui doit influencer votre cinéma. C’est pourquoi je me suis demandée, devant Samhain, si derrière l’amitié entre Charlotte et Susan, son ancienne agresseseuse, se cachait une histoire d’amour refoulée.
Kate Dolan : Complètement ! Quand j’ai écrit le film, je savais que Susan était lesbienne mais qu’elle avait grandi dans un environnement où elle ne pouvait pas explorer son identité sexuelle. […] Et après j’ai dit à Hazel (l’actrice principale du film NDLR) que son personnage ne savait sans doute même pas qu’il était gay. Charlotte ne se connait pas elle-même. J’ai dit cela aux actrices et après, cela a été naturel pour elles d’apporter cette coloration aux personnages. Vous savez, en tant que réalisatrice queer, on a toujours envie de peupler nos oeuvres de personnages qui nous ressemblent, mais je veux que cela reste naturel, car le film ne traite en aucun cas de la sexualité de ces filles.
Madmoizelle : Samhain est votre premier long-métrage, tout comme Grave était le premier film de Julia Ducournau quand elle a remporté Gérardmer. Le cinéma de genre s’ouvre (enfin) progressivement aux réalisatrices. Trouvez-vous qu’il soit plus difficile de fabriquer des films d’horreur quand on est une femme ?
Kate Dolan : Je pense qu’être une femme dans l’industrie du cinéma est difficile de toute façon. On est entourée d’hommes en permanence. Mais je trouve la communauté de l’horreur plus connectée et solidaire. En tout cas en Irlande et aux États-Unis où j’ai été auparavant. Le plus important dans cette communauté, c’est de voir des films d’horreur et d’en parler. Votre genre joue moins. Je me sens en tout cas personnellement plus à l’aise dans les festivals comme Gérardmer. Plus à ma place. Mais je trouve qu’en ce moment il y a beaucoup de grandes réalisatrices de films d’horreur ui émergent et c’est très cool car on peut voir des perspectives très intéressantes sur les problématiques des femmes, sur leurs luttes.
Madmoizelle : Si l’on supprime la mutation de la mère et les talismans de la grand-mère, Samhain est un drame social. Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire sous forme de film de genre ?
Kate Dolan : D’abord, je suis une fan d’horreur moi-même. J’en regarde depuis toute petite. Aussi, je pense que l’horreur vous permet plus de libertés que d’autres genres. L’horreur est fun car on peut traiter des choses très sombres en y ajoutant un petit quelques chose de ludique, d’amusant. On peut ajouter un monstre par exemple ! Et aussi, je trouve que l’horreur permet de ne pas se prendre au sérieux.
Samhain est sans doute notre film préféré du festival de Gérardmer 2022, et on vous encourage à aller le voir le 10 août prochain au cinéma !
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