« Vous êtes quelle lettre dans LGBT ? », questionne un inconnu d’une soixantaine d’années à une jeune femme assise sur le banc d’un parc parisien, juste après lui avoir assuré qu’elle était « très androgyne ». L’origine de son trouble : ses cheveux courts, à la garçonne. Une coupe née d’un mouvement d’émancipation des femmes dans les années 1920.
À l’époque, les cheveux courts ébranlaient la notion de différentiation des genres et brisaient le tabou de l’homosexualité féminine. Un siècle plus tard, alors que ce look s’est démocratisé, la société ne semble toujours pas s’y être habituée. L’indiscrétion de cet inconnu est loin d’être un cas isolé.
Les cheveux courts, « ça fait lesbienne »
Sur un coup de tête, Claire* s’est coupé les cheveux il y a quelques mois. « Dans ma famille, un garçon ça a les cheveux courts et une fille les cheveux longs. Me les couper c’était acter que je fais ce que je veux de ma vie ». Sa démarche émancipatrice était purement esthétique, pourtant un membre de sa famille n’a pas manqué de lui demander « À quand le coming out ? ».
Alors qu’elle en avait envie depuis ses années lycée, Camille* a attendu ses vingt-quatre ans avant de se raser la tête. Le regard de ses parents a évolué depuis, mais elle raconte : « À l’époque, ils ne voulaient pas que je me coupe les cheveux car “ça fait lesbienne” ».
On ne m’a jamais autant appelée jeune homme que depuis que j’ai les cheveux courts. Même une fois en jupe et maquillée !
Coline
« Ça ne me dérange pas du tout que ce soit connoté queer, ça me correspond bien, note de son côté Hanna. Mais ma coupe de cheveux n’est pas un étendard pour qu’on me reconnaisse ». Quelles que soient les raisons qui l’ont incitée à se couper les cheveux, l’image que la société projette sur elle reste pourtant la même. « Un jour, en sortant du supermarché, un homme m’a demandé comment on faisait l’amour entre femmes ».
Quelques centimètres de cheveux en moins et les jeunes femmes semblent s’éloigner de la féminité que la société patriarcale attend d’elles. « On ne m’a jamais autant appelée jeune homme que depuis que j’ai les cheveux courts, assure Coline qui s’est coupé les cheveux pour la première fois en 2015. Même une fois en jupe et maquillée ! ».
Des stéréotypes entretenus par les salons de coiffure
Si ces stéréotypes sont toujours aussi prégnants dans la société cent ans après la popularisation de la coupe à la garçonne, c’est qu’ils sont entretenus par les salons de coiffure eux-mêmes.
Lorsqu’elles ont décidé d’avoir les cheveux courts, Hanna et Camille, comme de nombreuses jeunes femmes, ont parfois dû négocier pour obtenir la coupe qu’elles désiraient. « Ma coiffeuse a l’habitude de coiffer des mamies aux cheveux courts, détaille Camille. Mais, moi qui ai 24 ans, quand je lui ai montré ce que je voulais, elle a refusé de me les couper aussi court ».
Lutter contre des tarifs genrés
Les salons ne manquent pas de rappeler les femmes aux cheveux courts à leur féminité en leur faisant par ailleurs payer le prix fort. Celui des remarques misogynes, mais surtout celui affiché sur les vitrines, souvent bien supérieur au tarif appliqué aux hommes.
Pour lutter contre ces tarifs genrés, une dizaine de coiffeurs et coiffeuses se sont rassemblés au sein du collectif Coiffure en lutte en 2021. Celui-ci aimerait réaliser une carte des salons non genrés.
Parmi ses membres, Vic coupe les cheveux de ses clients et clientes à prix libre sous le nom de Queer Chevelu. Dans une démarche militante, queer et féministe, Vic s’attaque aux stéréotypes en laissant ses ciseaux obéir aux demandes. « Je pense que pour les personnes qui ne sont pas concernées, ça parait assez futile comme enjeu, mais, pour les personnes que je vois au quotidien, obtenir la coupe qu’elles veulent peut vraiment changer leur vie ».
Les femmes qui veulent sauter le pas et dire adieu à leurs cheveux longs sont nombreuses parmi ses clientes. Vic raconte : « Certaines craignent d’aller dans des salons classiques. Ce n’est pas normal qu’elles reçoivent des remarques à base d’homophobie, de transphobie ou juste de misogynie crasse ». À ses yeux, le regard porté par la société à l’égard de nombreuses personnes pourrait changer si le métier se remettait en question. « Ce serait de mini-révolutions permanentes dans les interactions du quotidien ».
La coupe garçonne, un acte féministe
« Pour moi il y avait vraiment cette démarche féministe, souligne Camille. De dire “mes cheveux ne vous appartiennent pas !”» Un sentiment émancipateur qui rejoint celui décrit par Claire. Alors que la société voudrait lui faire croire que les cheveux courts sont masculins, elle ressent tout le contraire : « Je me sens plus femme, je me sens beaucoup mieux dans ma peau, je me sens belle. »
Il serait peut-être temps que le combat des garçonnes des années 1920 permettent à toutes ces femmes de ne plus être un objet de curiosité. Et pourquoi pas, de les laisser passer un après-midi tranquille sur un banc.
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Visuel de Une : Unsplash / Tessa Wilson
Les Commentaires
On remarquera que même en France, son attitude dérangeait beaucoup, et sur les images, on la représentait toujours avec des cheveux longs (et une robe). Même sur la fameuse peinture d'Ingres au XIXe, elle est représentée avec des cheveux longs et une robe sous l'armure (ben voyons).
[vous me direz, le XIX c'est peut-être l'un des pires siècles pour la femme...].