Depuis une dizaine d’années, la société exprime un intérêt grandissant pour la contraception masculine. Pourtant, les pouvoirs publics ne semblent pas pressés de s’emparer du sujet.
Une tribune parue dans Libération le 22 août dernier tape du poing sur la table et exige des mesures concrètes. Mais comment expliquer une telle frilosité ? Ces raisons sociétales sont-elles les uniques responsables de ce manque de moyens ? Et puisqu’on en parle, quels sont les moyens concrètement disponibles actuellement ?
Contraception masculine : l’état des lieux en 2022
L’apparition de la pilule contraceptive dans les années 60 a permis à des millions de femmes d’avoir des relations sexuelles sans risquer de grossesse, même si aucune méthode de contraception n’est fiable à 100 %.
Si cette avancée sociétale historique reste majeure, elle s’accompagne d’une réalité plus nuancée : la charge contraceptive repose exclusivement sur les épaules des femmes, quand les hommes peuvent profiter en toute spontanéité de rapports sexuels protégés. En théorie du moins puisqu’on vous rappelle qu’à l’heure actuelle, seul le préservatif permet de se protéger contre les IST.
Baiser si je veux et où je veux, oui, mais seulement si je suis allée voir mon gynéco avant.
La prise d’un contraceptif est souvent contraignante, c’est un fait. Elle exige a minima de l’espace mental et s’accompagne parfois d’effets secondaires plus ou moins désagréables. Si ces désagréments sont souvent supportables, il serait faux de prétendre que cette libération de la sexualité féminine ne s’accompagne pas de certains inconvénients.
Dans une société encore très inégalitaire, cette charge, qui s’ajoute à toutes les autres, a un petit goût d’insupportable. Pourquoi nous, qui sommes fertiles un jour par mois, devrions payer pour ceux qui peuvent se reproduire en permanence ?
La réponse est sociétale, oui, mais pas seulement. Comme nous l’explique Martin Winckler, médecin militant féministe et écrivain, les recherches sur la contraception masculine sont bien plus compliquées à mettre en place que sur la contraception féminine. Selon lui, c’est simple de bloquer l’ovulation qui survient une fois par mois où de neutraliser le sperme. La spermatogenèse, elle, ne s’interrompt jamais et il est plus compliqué de bloquer les cellules germinales.
À titre personnel, avant d’écrire cet article, je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle. Pourtant, l’argument me semble logique. Mais réalité biologique ou non, cela n’empêche pas un nombre grandissant de femmes de vivre ce poids solitaire comme une énième injustice.
La contraception masculine apparaît alors comme une solution quasi idéale pour déléguer un peu de notre charge à notre partenaire. Laure Geisler, médecin généraliste, journaliste et créatrice du compte Instagram Lecoeurnet.info, m’explique que de plus en plus d’hommes la consultent pour ces questions. Ils sont souvent très jeunes et probablement plus sensibilisés aux questions d’égalité.
J’ai également interrogé Marie Msika Razon, médecin généraliste, membre du MFPF, et responsable du centre de santé sexuelle de l’hôpital Pierre Rouquès les Bluets, à Paris. Pour elle, si la contraception masculine est encore aussi méconnue, c’est avant tout parce que l’accès à l’information est quasiment inexistant.
Les pouvoirs publics et nombre de professionnels de santé occultent totalement la contraception masculine, au point que certains patients, souhaitant pourtant se renseigner, ignorent son existence.
C’est très méconnu globalement, on me demande souvent si la contraception pour homme existe, parfois, on me dit même que c’est dommage qu’il n’y ait pas de contraception pour les hommes, comme si on partait du principe que ça n’existait vraiment pas !
C’est un cercle vicieux. Sans accès à l’information, le grand public ne sait pas que des méthodes existent et n’est donc pas en mesure d’en revendiquer l’accès auprès des pouvoirs publics.
Disposer de renseignements simples et faciles à consulter permettrait aussi de démolir certains mythes comme celui qui associe fertilité et compétences sexuelles. On le sait : l’ignorance ouvre toujours la porte aux fantasmes les plus absurdes.
Les moyens contraceptifs disponibles officiellement, et officieusement…
Des techniques efficaces existent, mais peinent à se frayer un chemin jusqu’aux rayons des pharmacies. Comme me l’apprend Erwan Taverne, co-fondateur de l’association GARCON (Groupe d’Action et de Recherche pour la Contraception), actuellement, l’OMS ne reconnaît que 3 moyens de contraception masculine : le retrait, le préservatif et la vasectomie.
Cela ne signifie pas que ce sont les seuls moyens fiables (surtout pas le retrait), mais que ce sont les seules pratiques qui aient été admises scientifiquement. Or, la contraception thermique, par exemple, qui consiste à remonter légèrement les testicules afin d’augmenter leur température, provoquerait un effondrement de la spermatogenèse à la condition qu’elle soit appliquée correctement.
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Faute d’études suffisantes, ces méthodes, qui connaissent pourtant de plus en plus d’adeptes, ne peuvent être validées par les pouvoirs publics. Tester de tels dispositifs est coûteux et long comme le souligne Martin Winckler :
Il faut de l’argent, en particulier pour recruter des volontaires et il faut en recruter plusieurs milliers(…), c’est long puisque si vous voulez avoir des conclusions fiables, il faut faire des expérimentations pendant au moins 5 ans (…), c’est très lourd dans les pays occidentaux. Il faut investir, des scientifiques, de l’argent, des ressources, dans quelque chose qui en France n’intéresse pas les pouvoirs publics.
La contraception thermique est pourtant conseillée par certains gynécologues, sans qu’ils puissent la prescrire. Les praticiens dirigent alors leurs patients vers les associations en mesure de leur indiquer la marche à suivre (il est aujourd’hui possible de confectionner son propre dispositif thermique, via des « ateliers couture »). L’accès à l’information et « la débrouille » pour venir en aide aux hommes intéressés s’articulent donc au niveau individuel et associatif puisqu’à l’heure actuelle, les pouvoirs publics n’investissent pas dans la contraception masculine.
La Tribune parue dans Libération le 22 août 2022 dénonce cette inaction :
« Un rapport sur les moyens de promouvoir la contraception masculine devait être remis à l’Assemblée nationale au printemps (…) Il devait également être question de l’accès à la gratuité des préservatifs pour les hommes de moins de 25 ans. (…) Ce rapport n’a toujours pas été remis. »
Olivier Véran, ministre de la Santé, a récemment déclaré que la question de la contraception masculine devait faire son chemin dans notre société même si celle-ci était essentielle. Mais comment faire évoluer la société et éveiller l’intérêt du grand public, si aucune information n’est mise à sa disposition ?
La vasectomie, efficace, mais difficilement accessible
Ce sont les personnes dotées d’un utérus qui tombent enceintes et subissent les conséquences d’une grossesse. Même si de nombreux hommes se montrent de plus en plus concernés, rien ne les oblige actuellement à s’impliquer dans la grossesse (qu’elle soit interrompue ou poursuivie) lorsque celle-ci survient. Bien que pragmatique, cette constatation biologique permet de justifier le contrôle permanent qui s’opère sur le corps des femmes.
Beaucoup de médecins se positionnent encore en se sachant omnipotents et imposent en toute impunité ce qu’ils pensent être le mieux pour leurs patients et patientes. Un « mieux » qui s’inscrit bien souvent dans une démarche nataliste et sexiste.
Alors qu’on propose systématiquement la pilule à la femme en lui imposant des rendez-vous de contrôle régulier, on décourage les stérilisations définitives qui pourraient permettre aux individus de s’affranchir du corps médical une bonne fois pour toutes.
En France, aucune intervention chirurgicale ne demande un délai d’attente aussi long que celui imposé pour la vasectomie (et la ligature des trompes). Les médecins rechignent encore, en dépit de la loi, à effectuer une stérilisation sur des hommes jeunes et/ou n’ayant pas encore eu d’enfant alors même qu’une conservation de sperme est systématiquement proposée. La vasectomie est pourtant une pratique très courante dans de nombreux pays, notamment au Canada et en Grande-Bretagne.
Vers une évolution de la société
La société évolue avec ou sans les entreprises pharmaceutiques et les pouvoirs publics. Les hommes sont de plus en plus nombreux à prendre conscience des enjeux soulevés par cette question qui les concerne directement. Après tout, eux non plus n’ont pas envie d’assumer une paternité sans l’avoir désirée.
Erwan Taverne le confirme :
Si les pouvoirs publics arguent sur un désintérêt de la société pour justifier leur inaction, l’envie du public est là. En 10 ans, le nombre de vasectomies a été multiplié par 10. Plus de 10 000 anneaux contraceptifs ont été vendus ces dernières années. Malgré l’interdiction de commercialisation par l’ANSM, il reste accessible, désormais présenté comme “Talisman”.
Toujours selon Erwan Taverne, nous devons dépasser le stade individuel et nous organiser collectivement, d’une part en nous impliquant pour amener les questionnements, les savoirs et les savoir-faire au plus près des personnes concernées, d’autre part en adhérant aux associations pour leur donner davantage de moyens, et du poids quand elles s’adressent aux institutions.
Marie Msika Razon constate aussi une évolution des mentalités et invite les patients à faire pression auprès de leur médecin :
C’est l’évolution des mentalités qui va faire avancer la médecine et pas l’inverse.
Enfin, Martin Winckler rappelle l’importance d’un accès démocratisé à la contraception définitive et la nécessité de se battre contre le paternalisme de trop nombreux médecins.
Manque d’information, manque de moyens pour investir dans les études, croyances, les freins au bon développement de la contraception masculine en France sont nombreux et l’engouement n’est pas encore au rendez-vous, même si de plus en plus d’hommes s’emparent du sujet.
Une chose est pourtant certaine, si la question de la contraception masculine est importante, beaucoup de femmes attendent avant tout de leurs partenaires qu’ils s’impliquent dans la charge contraceptive.
Cela peut en effet impliquer que leurs compagnons prennent en charge la protection du couple, mais cela peut aussi simplement vouloir dire qu’ils répondent présents et s’engagent à ce sujet. Laure Geisler m’a ainsi suggéré des actions toutes simples qui peuvent faire beaucoup de bien à la personne contraceptée (sic) au sein du couple :
- Récupérer les traitements en pharmacie ;
- Prévoir le lubrifiant ;
- S’enquérir des symptômes, s’assurer que la contraception est bien tolérée ;
- S’assurer que les décisions prises conviennent ;
- Couvrir les frais ;
- Accompagner au moment de la pose de l’implant et du stérilet, ou du moins proposer d’accompagner ;
- Communiquer, communiquer, communiquer.
Si la contraception masculine ne doit pas remplacer la contraception féminine, il existe des solutions et des comportements tous simples à adopter, dès aujourd’hui, pour que les femmes soient soutenues au quotidien et ne portent plus ce poids seules.
Crédit photo image de une : Motortion
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