On l’a connu blanc comme un cachet d’aspirine en 2005 chez Tim Burton, délicieusement kitsch chez Mel Stuart dans son adaptation cinématographie de 1971… Cette fois, Willy Wonka prend corps au Théâtre du Gymnase. Un carré du meilleur goût, une canne magique et un manque cruel d’empathie : le personnage de Roald Dahl se réinvente sur scène.
La comédie musicale Charlie et la Chocolaterie, un pari fou
Dans la grisaille parisienne, ils sont des centaines à faire la queue, tantôt dans l’ombre, tantôt aveuglés par les immenses projecteurs du Théâtre du Gymnase. Les enfants attendent patiemment, médusés par ce titre qui brille sur l’écran au dessus des portes.
Un titre que petits et grands ne connaissent que trop bien : Charlie et la Chocolaterie.
Il en fallait du cran pour porter sur scène ce classique de la littérature jeunesse ! Du cran et de la persévérance, le contexte pandémique ayant particulièrement contraint l’agenda des répétitions puis des représentations…
Avec la démesure du casting, il y avait un risque que les comédiens soient plus nombreux que le public. Et pourtant, tout le monde était présent au rendez-vous. Même Pierre-Jean Chalençon, l’homme qui accueilli des dîners clandestins en plein confinement, que j’ai repéré dans le public — il faisait partie des VIP, j’imagine. C’est dire.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, le vrai spectacle se jouait bel et bien sur scène ce soir-là. Après quelques animations hasardeuses sur un écran blanc, placé sur le devant du plateau, la pièce a eu raison de l’agitation dans la salle. Willy Wonka fait une entrée sur scène en toute modestie, un choix osé quand on se rappelle la mystification que Burton avait fait du personnage pour ne révéler son visage qu’à l’ouverture de l’usine.
Et quel personnage !
La course à la tablette de chocolat
Willy Wonka, fils de dentiste, se lance dans la folle production de chocolats et confiseries en tout genre. Contraint de fermer les portes de sa chocolaterie au public par peur de l’espionnage industriel, il maintient sa cadence sans que nul ne connaisse son secret.
Partout, on s’arrache ses sucreries. Charlie Bucket, lui, doit se contenter d’une tablette par an, offerte par sa famille pour son anniversaire. Éduqué dans un milieu précaire mais aimant, le jeune garçon rêve de cette usine où tout semble possible. Et il n’est pas le seul.
Quand Willy Wonka cache dans cinq de ses tablettes des tickets d’or, promesses d’une visite de la chocolaterie, le monde bascule dans l’hystérie collective.
Parce que rien n’est impossible et qu’il faut bien qu’il y ait une intrigue, Charlie trouve un ticket et rejoint un quatuor d’enfants détestable. Pourris gâtés, violents, capricieux… Ce qui leur manque, ce n’est pas de l’argent, mais de l’éducation. C’est en tout cas le propos de Roald Dahl que la pièce traduit sans mal.
Au départ, cette comédie musicale s’enlise dans de constants allers-retours entre la bicoque insalubre des Bucket et la modeste boutique de chocolats où Willy Wonka, en planque, philosophe en compagnie du jeune garçon. Il y a d’abord beaucoup de chansons mais très peu d’informations : la pièce tourne à vide.
Puis la magie de la télévision opère. Sous les rictus impossibles d’un présentateur sous ecstasy, les jeunes détenteurs du tickets d’or se présentent au monde. Et là, on jubile.
Dans cette pièce, rien n’est impossible (sauf les gosses)
Là, il faut admettre qu’ils ont fait fort. Dans sa mise en scène, Philippe Hersen réunit une myriade d’enfants, tous plus talentueux les uns que les autres. Un jeu à la hauteur des folies de la pièce, de jolis brins de voix, et une énergie contagieuse — il suffit de balayer la salle du regard pour voir le jeune public se balancer sur sa chaise.
Accompagnés de chorégraphes, d’assistants et d’un casting qui n’a rien perdu de son âme d’enfant, ces gosses se dépassent, se donnent et s’amusent pour une audience qui en redemande.
Presque tous détestables au plus haut point, ils campent à merveille la série de stéréotypes que l’on doit au livre de Roald Dahl — un discours un poil décadentiste auquel on regrettera qu’il n’y ait aucun contrepoids.
Le spectre de Burton plane sur cette œuvre qui emprunte d’ailleurs beaucoup à l’imaginaire du réalisateur américain sur les écrans en fond de scène. Ici, Willy Wonka n’est pas névrosé. Il est excentrique, désagréable, un brin sadique…
Mais il n’y a pas dans la mise en scène de Hersen la même sévérité à l’égard des jeunes personnages. Quitte à investir le cliché facile de la jeunesse biberonnée aux réseaux sociaux, déconnectée des réalités matérielles du monde, la faute à une éducation trop laxiste. Ben voyons.
Reste une critique que l’on peut adresser à l’ensemble des productions autour de cette histoire. Cette critique tient en un seul nom : Augustus. Personnage dont le tort principal est d’être gros (et donc, bien sûr, de se délecter de charcuterie en permanence), ce qui lui vaut le même mépris que ses camarades capricieux, violents et désobéissants.
En 2021, Augustus aurait mérité d’être repensé, pour toutes les jeunes et moins jeunes personnes en surpoids se retrouvant de nouveau confrontées à un être aussi caricatural.
Des effets (très) spéciaux
En offrant aux enfants leurs propres chansons, David Greig, Scott Wittman et Marc Shaiman auxquels on doit la version originale de la comédie musicale avaient fait fort.
Chez Burton, les chansons étaient le monopole des Oompa Loompa, la tribu fictive du roman de Roald Dahl (et objet d’un exotisme qui interroge un peu). Du chocolatier aux présentateurs télé, tout le monde chante. Mais là où le film américain de 2005 offrait sûrement un précédent trop ambitieux, c’est dans ses effets spéciaux.
Pourtant, Philippe Hersen tire les ficelles à merveilles. La machinerie est si fluide que les projections sur l’écran du fond semblent finalement superflues, même si elles ravissent sans doute les plus jeunes dans le public. La maison de Charlie roule sur des rails, une trape permet à chaque enfant de disparaître et l’ascenseur du chocolatier vole vraiment.
En somme, tout a été mobilisé pour que cette comédie musicale soit une réussite. À l’exception de quelques impairs, propres à l’histoire initiale, le spectacle est un vrai régal. Elle assume quelques emprunts aux adaptations qui l’ont précédée, certes. Mais la comédie musicale Charlie et la chocolaterie n’hésite pas à créer ses propres saveurs. Rien que pour ça, on peut tirer son chapeau.
Charlie et la chocolaterie, le musical
- Au Théâtre du Gymnase
- À partir du 20 octobre
- À partir de 20 euros
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