La pandémie aurait pu l’enterrer, et pourtant, la cigarette semble bel et bien renaître de ses cendres aux États-Unis. Le grand quotidien qu’est le New York Times vient de publier une longue enquête sur ce qui s’apparente à un regain d’intérêt de la jeunesse américaine pour les cigarettes.
« Tous mes amis qui ne fumaient pas fument maintenant »
À force de voir des jeunes s’afficher sur Instagram et TikTok en train de fumer, le journaliste a voulu en savoir plus et a notamment interrogé, pour prendre la température sur le sujet, une bande de jeunes new-yorkais en train de clopper à la sortie d’une galerie d’art. Une sculptrice de 24 ans lui a notamment répondu :
« Bizarrement, depuis un an ou deux, tous mes amis qui ne fumaient pas fument. Je ne sais pas pourquoi. Personne n’y est vraiment accro. C’est plus une activité de plaisir. »
On aurait pourtant pu croire que la consommation de cigarettes continuerait son net recul, vu les nombreuses campagnes de prévention contre le tabac, ainsi que la vogue autour des vapoteuses et du CBD, mais aussi et surtout la pandémie qui menace déjà suffisamment nos poumons. Et pourtant…
Les ventes de cigarettes augmentent pour la première fois en 20 ans
De fait, la consommation de cigarettes serait en baisse constante chez les adultes américains depuis près de 30 ans, mais le tabagisme (toxicomanie de ceux qui abusent de tabac, par définition) reste la première cause de décès évitable aux États-Unis, selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC).
Seulement, ce qui étonne le plus aujourd’hui, c’est que le nombre de paquets de clopes vendus commence à augmenter pour la première fois depuis vingt ans, de 2019 à 2020, rapporte la Federal Trade Commission (autorité du droit de la consommation et du contrôle des pratiques commerciales aux États-Unis).
En 2020, Monitoring the Future, une étude de premier plan sur le tabagisme chez les jeunes depuis 1975, a également enregistré la première hausse depuis des années. Mais pourquoi maintenant, en plein Covid ?
Le rôle de la pandémie dans la hype autour des cigarettes aux États-Unis
Justement, la pandémie a pu jouer un rôle puisqu’elle a beaucoup stressé des personnes déjà fumeuses qui ont donc pu augmenter leurs doses. S’en griller une est aussi « devenu quelque chose à faire » au milieu de quotidiens mornes. Et pourquoi pas le faire ensemble, entre fumeurs de longue date et néophytes, alors qu’on a pu se sentir plus isolés que jamais à cause des confinements ?
Le contexte pandémique a donc pu favoriser cette croissance de ventes de cigarettes, estime Adam Leventhal, directeur de l’Institute for Addiction Science au sein de l’University of Southern California auprès du New York Times :
« Se sentir isolé peut conduire à la tristesse. Et il est bien connu que les gens utilisent de la nicotine, y compris des cigarettes, pour se soigner eux-mêmes de la tristesse et du stress. Ce serait certainement en jeu ici. »
Et cette remontée de fumée n’a rien à voir avec de l’ignorance, puisqu’on a ici une jeunesse plus éduquée que ses aînées sur les dangers liés au tabac — d’autant plus que les générations précédentes peuvent justement servir de contre-exemple. Les centres de contrôles et de prévention des maladies (CDC) ont rapporté un plancher record de tabagisme, passant sous la barre des 13,7% en 2018.
Mais ce n’est pas parce qu’on est plein de connaissances qu’on peut fumer sans finir accro et se brûler…
La cigarette, une réponse nihiliste aux crises et aux injonctions bien-être
Plusieurs jeunes interrogés par le journaliste du New York Times pointent une forme de nihilisme, face à la conjugaison anxiogènes des crises sanitaire, sociale, politique, et environnementale. Mais aussi un rejet du culte du bien-être, pouvant être vécu comme une injonction stressante par certaines personnes.
La cigarette paraît d’autant plus rebelle aujourd’hui, face au cannabis qui est en train de devenir le nouvel ingrédient healthy à la mode sous la forme de CBD.
À l’heure actuelle, d’après un récent sondage Gallup, 17% des Américains âgés de 18 à 29 ans vapotent. D’après les CDC, 8% des Américains âgés de 18 à 24 ans fument des cigarettes traditionnelles.
Et bien souvent, les vrais fumeurs comptent aussi parmi les vapoteurs, puisque cela peut être un moyen pratique de compléter ses besoins en nicotine faute de clopes. Or, sans surprise, cela peut vite devenir une addiction beaucoup plus insidieuse, puisque les cigarettes électroniques semblent beaucoup moins invasives et mieux tolérées socialement, alors on peut être tenté d’en consommer dans bien plus de contextes sans craindre d’empester une pièce par exemple.
La clope, plus connue, cool, et prétexte aux pauses que la cigarette électronique
C’est aussi en tant que public éduqué que plusieurs jeunes rapportent qu’ils préfèrent les vraies cigarettes aux vapoteuses car ils estiment que la science et la médecine ont davantage de recul sur les méfaits du bon vieux tabac que sur leur succédané électronique.
Et contrairement à l’ersatz USB qui peut se vapoter dans certains bureaux, la clope oblige à sortir, donc à marquer une pause en extérieur pouvant être vécue comme bienfaitrice — un avantage aux yeux de nombreux fumeurs.
Un dernier argument difficile à admettre pour les jeunes en question, c’est celui de l’aura de subversion cool que peut conférer la cigarette. Elle paraît presque comme un accessoire vintage, à afficher sur Instagram et TikTok avec la même nostalgie qu’on le ferait de vinyles ou d’écouteurs filaires, un supplément de grunge nihiliste en plus. Jusqu’à ce que cet écran de fumée ne se dissipe…
Observe-t-on un effet pandémie sur les jeunes et la clope en France aussi ?
En France, les jeunes fument de moins en moins (mais ce n’est pas grâce aux paquets neutres), en particulier les femmes d’ailleurs. Si la cigarette reste responsable de plus de 75 000 décès par an, selon les estimations de Santé publique France (l’équivalent d’un crash d’AirBus A320 par jour), la consommation de cigarettes traditionnelles n’a jamais été aussi faible, d’après Le Monde.
C’est d’autant plus important qu’elle baisse chez les jeunes car, d’après le média santé La Revue du Praticien, 4 fumeurs sur 5 ont commencé à fumer avant 18 ans (l’âge moyen de la première clope se situe entre 14 et 15 ans) et près de 70 % des adolescents qui consomment leur première cigarette deviendront, au moins temporairement, des fumeurs quotidiens.
Reste à savoir si un effet pandémie semblable à celui observé aux États-Unis risque de pointer le bout de sa clope ici.
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Crédit photo de Une : pexels-jorge-fakhouri-filho-1852018
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