Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
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- Précédemment : Femme libanaise, de mère libanaise, voici comment on me nie mon droit à ma nationalité
Je vais commencer cet article par quelques images. Parce que pour décrire Khansa, celui dont je veux vous parler aujourd’hui, il n’y a rien de mieux.
Voici donc un clip.
Et une photo.
Khansa, l’art de questionner le genre sans le nommer
C’est peu. Très peu, comparé à tout ce que Khansa a à offrir. Au fil de ses performances, il questionne le genre, sans le nommer.
« Je ne me suis pas vraiment intéressé à cette problématique, avant de commencer à danser, quand je suis allé à l’université.
En réalité je n’essaie pas de jouer sur le genre, mais j’essaie simplement d’exprimer quelque chose avec mon corps.
Or c’est un corps humain, il ne devrait pas être conditionné pour bouger ou marcher d’une certaine façon.
Lorsqu’on danse, ces règles que la société essaie de nous appliquer ne fonctionnent plus car ça irait à l’encontre de l’idée même de la danse, qui est la liberté d’expression physique.
Pour moi les corps qui dansent sont non-genrés, et c’est là que finalement, sans le vouloir, je joue sur le genre. »
C’est ce qu’il reproche par exemple au ballet, considéré comme très féminin, avec des rôles genrés très définis.
« Moi quand je faisais du ballet, je mettais des pointes. Et je ne voulais pas porter une danseuse mais qu’une danseuse me porte.
C’est comme Roméo et Juliette, pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas être Roméo et Roméo ? »
Se défaire des constructions sociales avec l’œuvre de Khansa
Khansa remet en question la binarité du genre à travers son art, alors même qu’il vient d’un milieu très conservateur où on l’a « paradoxalement » encouragé à danser étant petit :
« L’influence est venue de ma mère et de mon oncle. Ils avaient l’habitude de danser ensemble et c’était la chose la plus belle au monde pour moi.
Donc j’ai simplement commencé à les imiter, c’était naturel, je me sentais bien, même la manière de m’habiller. C’est comme lorsqu’on joue au papa et à la maman étant petit : moi je choisissais d’être la mère. Danser, c’était pareil pour moi.
Et ils aimaient ça, quand il y avait des invités, ils me faisaient danser devant eux ! »
Pourtant, dans le même temps, « voir des personnes transgenres ou queer était vraiment étrange »
pour lui et son entourage.
« C’était un tabou, c’est seulement lorsque je me suis fait de nouveaux amis à l’université que j’ai commencé à m’intéresser de plus près au sujet et à me dire qu’il y avait ce groupe de gens auquel finalement, j’appartenais sans doute. Je tends de plus en plus à m’identifier comme queer. »
« Ce clip, c’est mon histoire, même si on a dû retourner les scènes de l’enfance car on n’arrivait pas à extraire les vidéos des vieilles cassettes de ma famille. »
Faire ce que tu sais faire de mieux, plutôt que de trouver un « vrai travail » : la philosophie de Khansa
Lâcher ses études pour se consacrer pleinement à l’art était une très bonne décision, mais elle n’a pas été facile à prendre.
« J’étais à l’université, je changeais sans arrêt de majeure, sans trouver ma voie. J’ai réaligné mes différentes facettes physique, mentale, émotionnelle avec mes propres recherches : j’ai réalisé que je pouvais m’utiliser moi-même comme moyen de communication. C’est ce que je sais faire de mieux.
La performance, c’était quelque chose qui m’inspire depuis que je suis enfant. Même à l’école, la seule chose que j’attendais était la fête de fin d’année !
Mais si mes parents m’encourageaient à cette époque, en grandissant ils appliquent sur leurs enfants leurs propres filtres : « il faut que tu trouves un vrai travail ». Mon enfance où tout cela était encouragé me manque. Je rêve de retrouver la liberté que j’avais alors »
Khansa assume sa vulnérabilité et il n’y a rien de plus courageux
Malgré ces quelques freins, il ne laisse rien le retenir d’exercer son art.
« C’est difficile, je comprends enfin ce que ça veut dire que d’être artiste : il faut supporter tant de choses, émotionnellement, physiquement, sans parler des problèmes financiers.
Tu dois accepter que tu as peu de revenus et que tu investis en toi-même. Tu es le produit.
C’est pour ça aussi que je ne supporte pas de ne rien faire de mes journées : il faut toujours que je m’entraîne, que je pratique, que j’apprenne. »
Cela ne l’empêche pas d’avoir des moments de doutes.
« J’ai toujours des insécurités au sujet de mon corps, des peurs de ne jamais m’améliorer… Quand ça arrive, j’essaie de me rappeler d’être reconnaissant pour ce que j’ai déjà.
Je me dis, ça suffit, okay j’ai toutes mes faiblesses, mais j’essaie de me produire sur scène. Même si ça semble brouillon, je vais faire en sorte que ce soit présentable. »
Khansa, une source d’inspiration
Pour moi, Khansa a déjà le potentiel d’inspirer beaucoup de gens à être eux-mêmes.
« Je veux simplement que l’on se concentre davantage sur nos buts plutôt que sur ce que les autres ont à en dire. Avance sans penser que d’autres ont des attentes envers toi. Avance en te concentrant sur ce que tu as à dire, toi, ce que tu as dans le ventre.
Sois concentré, et patient. Patience, patience, patience. C’est quelque chose que tu apprends avec la danse : tu t’améliores chaque jour. Applique ces règles au quotidien et ça ira mieux. »
Il ne veut pas s’arrêter à ses propres performances mais encourager d’autres que lui à faire de même.
« Je veux créer une organisation qui permettrait de soutenir les artistes queer à Beyrouth.
Parce que lorsque tu lances un projet dont le contenu aborde ces questions-là, ça effraie toujours ceux qui pourraient donner des bourses ou des lieux où se produire.
On te dit, « C’est très bien, mais est-ce que tu pourrais ralentir un peu sur l’aspect gay/queer de ton projet ? », et ça il ne faut plus que ça soit possible. »
Khansa avance donc doucement mais sûrement. Il s’est produit le 12 mai, au moment de la queer week, à Beyrouth.
« C’est un long processus, ça prend des années, mais je suis déjà reconnaissant pour cette étape, même si je souhaite qu’elle ne soit qu’un début. »
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