En 1996, une célèbre chaîne de fast-food belge concurrente d’une encore plus célèbre chaîne de fast-food américaine offrait à ses clients de jolis verres décorés d’un pictogramme de l’artiste POP emblématique de la New-York des années 1980. Ces verres étaient vraiment très jolis et c’est donc grâce à un double burger- frites que j’ai découvert Keith Haring.
Un an plus tard, j’allais à New York pour la première fois, et, ayant appris que l’artiste, de son vivant, y avait ouvert un magasin appelé « Pop Shop », je m’étais mise en tête, toujours à cause des verres, d’aller le voir et même peut-être d’y acheter un bol pour manger mes Chocapic.
Y a aussi des chaises mais c’est un peu cher.
Mais voilà, à 12 ans, on change vite d’idées, et puis surtout, quand je suis rentrée chez Fao Schwartz, le plus grand magasin de jouets au monde, j’ai eu un black-out fort compréhensible pour la pré-adolescente qui jouait encore aux barbies que j’étais.
Et puis lors de mon deuxième séjour à New York, quatre ans plus tard, j’ai bêtement oublié le Pop Shop de Keith. Qu’est-ce que je pouvais être con, à 16 ans.
Puis je n’y suis plus retournée, à New York.
Mais, en contrepartie, je suis partie vivre à Pise, où Haring a exécuté sa dernière fresque géante : Tuttomondo, à deux pas de la gare centrale. Pour me consoler, je peux me prendre un croissant au Nutella au Keith Café juste en face, et le savourer avec vue sur une œuvre d’art XXL.
Keith Haring, sa vie, son oeuvre
Petite leçon d’histoire pop pour ceux qui n’allaient pas au Quick en 1996 et qui ont loupé l’expo Keith Haring au Musée d’Art Moderne de Paris cette année.
Keith Hering naît à Reading, en Pennsylvanie, comme Taylor Swift, mais 31 ans avant elle, soit en 1958.
Il débarque à New York en 1978, la même année que Dalida (elle, c’est juste pour chanter au Carnegie Hall, après quoi elle rentre à Montmartre). Toutefois, j’imagine plutôt Keith écouter des cassettes de Blondie (l’album Parallel Lines avec Heart of Glass sort cette année-là) dans son Walkman* quand il fait son entrée dans la Big Apple par le pont de Brooklyn en taxi jaune.
*Sauf que le Walkman ne sortira qu’un an plus tard ! Bouh, la préhistoire !
Il a tout juste 20 ans et sans doute déjà de grosses lunettes. Il s’inscrit à la School of Visual Arts. Surtout, il est introduit à la scène culturelle new-yorkaise underground et fait la connaissance d’un tas d’artistes dont Jean-Michel Basquiat.
Il comprend vite le potentiel des métros new-yorkais et les prend d’assaut pour y faire un tas de dessins de manière complètement illégale. C’est dans un de ces subways que naîtra d’ailleurs son pictogramme le plus célèbre : Radiant Baby.
Il devient vite très connu pour ses pictogrammes, justement (plein de bonshommes et parfois des autres trucs comme des écrans de télé ou des serpents). Il est appelé à exposer aux quatre coins du monde. Bref, on se l’arrache.
Pop art, street-art et pictogrammes
L’univers de Keith Haring s’inspire de la bande dessinée et des graffitis ; on peut lui coller l’étiquette de street-art, mais aussi, sans avoir peur des grands mots, de POP Art. Il est d’ailleurs un protégé d’Andy Warhol, le pape du pop.
Ses dessins comportent en effet un tas de références à la culture populaire. Il plonge son inspiration notamment dans les œuvres de son copain Basquiat, mais aussi dans celles de Jackson Pollock et du Belge Pierre Alechinsky. Haring inspirera à son tour un tas d’artistes, dont mon pote Massimo Pasca, par exemple.
Une fausse simplicité pour de vrais messages
Le monde pop et coloré de Keith Haring a des allures de fiestas psychédéliques en 2D. Mais dire ça, ce serait méconnaître une œuvre qui traite de sujets aussi sérieux que le SIDA, le capitalisme ou le nucléaire. Évidemment, son apologie du safe-sex est bien moins flippante qu’une publicité d’Oliviero Toscani. Mais n’empêche.
Keith Haring était un type vachement engagé. Il milite au sein d’Act Up. Il est un fervent défenseur de la communauté homosexuelle. Il s’engagera également contre l’Apartheid en produisant une série de dessins en faveur de son abolition.
Le Pop Shop, suite logique de l’art de Keith Haring
Et puis aussi, en 1986, il ouvre son fameux Pop Shop que je n’ai finalement jamais vu. Dans le milieu de l’art, certains trouvent ça bof comme idée. Moi je trouve ça en revanche très cohérent avec la culture pop dans laquelle il s’inscrit : ça signifie utiliser un canal évident de la société de consommation – le merchandising – pour se rendre encore plus accessible au grand public (pour rappel, si je n’avais pas adoré la malbouffe et les grandes enseignes de fast-food à 11 ans, je n’aurais sans doute jamais écrit ce papier).
C’est un peu comme les Disney Stores, finalement, qui mettent Mickey à portée de mains (et de portefeuille) pour qui n’a pas la chance d’aller le voir à Disneyland.
Et puis zut, on est pop, ou on ne l’est pas ! Au moins, le malheureux qui n’avait pas ses entrées aux vernissages pouvait connaître le monde de Keith Haring, sans devoir être incommodé par la puanteur des métros et la mauvaise éducation des gens pressés (et avec, en prime, la possibilité de rentrer chez soi avec des sous-verres).
Keith Haring, suite… et fin
Tout roule pour Keith : il vend ses tasses et ses sous-verres et collabore avec des stars pop comme Grace Jones et Madonna. Cette dernière devient en outre une de ses meilleures copines. Puis, fin de la décennie, Keith apprend qu’il est infecté par le HIV, ce rabat-joie impitoyable des délicieuses années 1980.
La grande faucheuse lui laissera à peine le temps de voir commencer les nineties : il meurt le 16 février 1990. La même année que Jim Henson, le créateur du Muppets Show. Il n’avait que 31 ans.
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