Keith Haring, vous le connaissez forcément : ses petits bonshommes sont partout. Mais si ses design m’étaient familiers, j’ignorais tout de l’engagement politique de cet artiste.
Disons-le d’entrée, question musées et a fortiori musées d’art moderne, je suis une inconditionnelle des visites guidées. Privée d’explication, je suis rapidement frustrée, complexée par mon ignorance. Et l’art moderne nécessite à mes yeux souvent beaucoup d’explications (car je suis très ignorante).
C’est donc non sans une certaine appréhension que je me suis lancée dans la première salle, en solitaire, sans érudit pour me souffler à l’oreille la bonne interprétation. D’emblée je fus surprise : sur les 4 premières oeuvres, 3 n’ont pas de titre. Ce sera le cas pour la majorité des oeuvres exposées.
Passé l’étonnement, je me suis immédiatement décomplexée. L’auteur n’a pas nommé ses oeuvres. Il n’a pas souhaité m’indiquer le message qu’il veut faire passer. Il me laisse le soin d’interpréter son oeuvre, d’y découvrir moi-même le message, selon ce qui me touche, ce qui me parle, ce qui me choque. Il le dit lui-même :
« Je peins des tableaux qui découlent de mes propres recherches. Je laisse à d’autres le soin de les déchiffrer, de comprendre leurs symboles et leurs implications. Je ne suis que l’intermédiaire. »
Le cheminement de l’exposition emmène le spectateur à travers les principaux thèmes de l’engagement politique de Keith Haring : l’individu contre l’État, le capitalisme, les oeuvres dans l’espace public, la religion, les médias de masse, le racisme, l’écologie (anti-nucléaire et apocalypse), ses dernières oeuvres (sexe, sida et mort).
Au centre, l’individu
L’indépendance des individus, la revendication des libertés individuelles et le respect des individualités sont des thèmes centraux de l’oeuvre de Haring. L’État y est représenté sous la forme d’un chien aboyant (Barking Dog). La religion est un homme portant une croix.
L’artiste dénonce la violence commise contre les individus au nom de leurs croyances, de leur différence, de tout ce qui touche à leur individualité. Il est tout aussi sévère envers « les moutons », ceux qui renient ou abdiquent leur propre individualité pour se fondre dans le groupe :
« Je suis moi. Je vous ressemble peut-être, mais si vous regardez mieux, vous verrez que je ne suis en rien comme vous. Je suis très différent. »
Il attaque toutes les formes de domination de la pensée, tous les organismes qui dépossèdent les individus de leur indépendance intellectuelle : l’État, la religion, les médias de masse. De même, le capitalisme, en tant qu’idéologie dominatrice, est également ciblé par l’artiste.
Keith Haring, Untitled, 25 septembre 1985. Glenstone. © Keith Haring Foundation
L’art comme canal de communication
Haring ne considérait pas l’art comme un mode d’expression politique en soi. Pour lui, c’était un moyen d’entrer en communication avec le public, les individus.
Au début des années 1980, Keith Haring va investir le métro new-yorkais. Il dessine à la craie sur des panneaux noirs, emplacements réservés normalement à la publicité. C’est l’occasion pour lui de rencontrer les passants, d’échanger avec eux, de voir leur réaction. C’est l’époque où il écume les boîtes de nuit. Toute cette période est ravivée dans une salle aux murs noirs, dans laquelle on vous passe la musique que Haring avait l’habitude d’écouter.
Un artiste résolument engagé
La simplicité de ses visuels nous ferait presque oublier la gravité des sujets abordés. Avec ces bonshommes anonymes, indifférenciés, au design emprunté aux codes de la BD, Keith Haring rend la violence de ses tableaux supportable, presque esthétique.
Keith Haring, Untitled, 1982. Bvb collection Genève. © Keith Haring Foundation
Il s’engage avec virulence contre le racisme et contre l’apartheid. En 1985, Michael Stewart, un artiste de rue âgé de 25 ans, meurt des suites de violence policière. Ce fait-divers tragique a beaucoup touché Haring. Il consacre à l’apartheid, au racisme et à la mort de Stewart un des rares tableaux représentant un visage expressif :
Keith Haring, Michael Stewart – USA for Africa, 1985. Collection Lindemann, Miami Beach © Keith Haring Foundation
Le dernier combat
Keith Haring est homosexuel, il l’assume pleinement. La sexualité est très présente dans ses oeuvres. Plusieurs de ses amis sont atteints du Sida. La prévention est encore quasi-inexistante. En 1988, il apprend qu’il est lui aussi séropositif.
La dernière salle est consacrée à cette ultime partie de son oeuvre, dans laquelle il dénonce le silence des autorités au sujet de l’épidémie. Le tableau Silence = Death est sans doute l’oeuvre qui m’a le plus touchée de toute la visite. Peut être pour tout le symbole qu’elle porte, pour sa dimension universelle et (malheureusement) intemporelle. Je vous laisse la découvrir.
Keith Haring meurt de maladie le 16 février 1990 à New York, à l’âge de 32 ans.
Je ne suis pas allée au Centquatre, où l’exposition continue. Mais je ne manquerai pas d’y faire un tour.
Keith Haring, The Tree of Monkeys, 1984. Courtesy Fondazione Orsi. © Keith Haring Foundation
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