Le 5 avril 2017
Il y a de cela un ou deux ans, je découvrais par je ne sais plus quel merveilleux hasard un animal peu connu et pourtant extraordinaire. Il avait le regard vif, le port altier et le plumage soyeux, et lorsque je le vis gambader dans les feuillages en slow motion, je restais bloquée sur la touche repeat du lecteur YouTube.
Voyez-vous, ce perroquet pataud et un peu bouffi du bec est mon nouvel amour dans la vie — que dis-je, mon animal totem, ma nouvelle obsession ! Pas loin, peut-être, derrière l’écureuil londonien, qui reste un monstre hantant mes jours et mes nuits. Mais passons.
Qu’est-ce que le kakapo a de particulier ? Eh bien, pour commencer, il s’appelle « kakapo », alors je ne vois vraiment pas ce qu’il vous faut de plus.
Mais surtout, comme le souligne le moindre article ou reportage à son sujet, de manière subtile ou non, le kakapo est un peu con. Enquête.
Le kakapo, cet animal gracieux et plein de ressources
Le kakapo est un perroquet assez imposant originaire de Nouvelle-Zélande. Et quand je dis « imposant », ce n’est pas pour l’effet de style : la bestiasse peut atteindre les 60 cm à l’âge adulte et peser jusqu’à 4 kg. Le plumage ne fait pas tout : ce perroquet est un oiseau grassouillet.
Il est assez facile de comprendre, du coup, pourquoi le kakapo ne vole pas. Accessoirement, les petites ailes que l’on devine sous son joli plumage vert-jaune sont un peu courtes pour son poids, et si leur utilité est par conséquent remise en question, elles sont particulièrement aérodynamiques.
Mais le kakapo s’en fout : il court. Et il court avec toute la grâce du monde.
Cela dit, malgré son gabarit impressionnant, le kakapo n’a jamais vraiment pensé à mettre en place une quelconque manière de se défendre en cas de besoin.
Ce qui est bien dommage, car il est tout taillé pour une attaque à la sauvage : imaginez-vous vous promener tranquillement dans la forêt, quand soudain vous entendez « KAMIKAZEEEE » et un perroquet de 4 kg vous atterrit en pleine tronche. QUI C’EST L’PATRON ?
Hélas, tout occupé qu’il est régulièrement à se frotter la teub contre des cailloux et chercher des graines dans des arbres, le kakapo ne semble pas y avoir jamais pensé.
En tout cas, malgré mes recherches poussées, je n’ai jamais retrouvé la moindre mention d’un touriste attaqué par un kakapo.
Le kakapo, pacifiste incompris
Or, et je sais que cela va vous paraître invraisemblable, mais le monde entier n’aime pas le kakapo de tout l’amour qu’il mérite : certaines bébêtes poilues l’aiment surtout d’un amour plein de crocs. Il faut dire qu’il a quelque chose d’un poulet.
Super kakapo se doit de penser à sa sécurité et à son confort. C’est donc un grand habitué des arbres.
Parmi ses ennemis, le kakapo compte les railleurs, comme le prouve cet extrait de sa page Wikipédia (oui, même son propre article le trolle) :
« Comme de nombreux perroquets, le kakapo a une variété de cris dont le “boum” et le ”tchings” de leurs appels d’accouplement. Il fera souvent “skraark” pour annoncer son emplacement à d’autres oiseaux. (…) L’une de ses caractéristiques les plus frappantes est son odeur agréable et puissante, qui a été décrite comme une odeur de moisi.
Le kakapo est un incompris.
Le kakapo, un grand romantique
Le kakapo a un petit cœur sensible. Ou du moins, il essaie ! Parce que le kakapo a parfois du mal à y voir dans toutes ses plumes… Ce qui rend plus complexes certains mouvements. Cet extrait de l’émission Last Chance to see avec Stephen Fry, grâce auquel notre perroquet a connu son heure de gloire en 2009 et 2010, illustre la chose bien mieux que mille mots.
— Il devrait être impossible de dire d’un animal qu’il a l’air démodé, mais c’est exactement ce qui correspond à Sirocco [NDLR : le nom du kakapo], avec ses grosses rouflaquettes et sa tête de gentleman victorien. […] Un exemple classique de mâle : Sirocco n’est clairement intéressé que par une seule chose…
[Le Kakapo se jette sur le cameraman.]
— Argh, ses griffes sont super acérées !
— Il s’emporte.
— Aïe, aïïïeeuh…— Est-ce que tu crois qu’il tente de démarrer un rituel d’accouplement ? … Ah ben oui. […] Regarde ! Il a l’air si heureux ! C’est la chose la plus drôle que j’aie jamais vu ! Tu es en train de te faire draguer par un perroquet rare ! Il pense que tu es une femelle, il se donne vraiment à fond !
[Stephen Fry se rend enfin compte que son partenaire a un peu mal et lui retire le perroquet.]
Et là, normalement, vous êtes marquée à vie par cette image d’un gros perroquet qui se frotte joyeusement les parties sur le crâne d’un être humain. De rien.
Je vous rassure : vous n’êtes pas seule, cette émission a fasciné bien des individus. Notamment l’équivalent du Petit Journal en Espagne, l’émission satirique El Intermedio, qui a repris les images pour nous offrir un petit reportage sur cet animal hors du commun qu’est ce perroquet pervers !
On y apprend, entre autres, les enjeux de la reproduction chez le kakapo :
« La Nouvelle-Zélande compte un des animaux les plus extraordinaires de la planète : le kakapo.
Décrit comme étant d’une forme peu adéquate par certains biologistes, comme un perroquet gros et idiot, le mot “kakapo” provient d’un dialecte primitif des aborigènes néozélandais, et signifie en réalité “gros perroquet qui ne pourrait pas être plus stupide”.
Un bon exemple de ceci est son entêtement à grimper aux arbres, alors que son poids excessif l’empêche de voler et qu’il finit par en descendre comme le ferait une vieille dame.
Comme les humains un peu idiots dissimulent leur handicap avec de grosses lunettes dont ils n’ont pas besoin, le kakapo, lui, combat son image d’imbécile à l’aide d’une curieuse stratégie : faire l’intéressant en regardant fixement la moindre chose sans intérêt.
Son autre recours pour paraître intelligent est de se déplacer lentement. Il passe des heures et des heures à marcher lentement, en observant des petites branches, avant de brusquement revenir sur ses pas à toute vitesse.
Qu’est-ce qui pousse le kakapo à changer aussi rapidement de chemin ? Effectivement : une petite branche qu’il avait oublié de regarder. Lent, gras et idiot.
C’est aujourd’hui tout ce que nous savons du kakapo. Ce qui nous ramène à une question : ”Comment fait-il pour se reproduire ?“
Une équipe d’investigation nous a donné la réponse : il ne le fait pas. Nous allons découvrir aujourd’hui pourquoi. L’équipe s’est rendue dans son habitat naturel pour découvrir son rituel d’accouplement.
Tout d’abord, le mâle ayant fait sa cour, la femelle adopte une position propice à la fécondation. Ensuite, le mâle commence à se frotter contre une pierre.
Il faut dire que ça ne se passe pas toujours ainsi. Parfois, lekakapo parvient à se reproduire… comme à cette occasion, lorsqu’il a fécondé pendant des heures la nuque d’un biologiste.
Cette image résout ainsi deux énigmes : pourquoi ils sont en voie d’extinction, et pourquoi le commandant Cousteau a étudié les poissons.
Le kakapo : un imbécile heureux et pas très curieux. »
(Un gros merci et plein d’amour à WendyFoster, PokéJul et Izaskun pour leurs traductions !)
À ce jour, les préférences et humeurs sexuelles du kakapo demeurent un mystère, même (et surtout) pour lui. Fort heureusement pour notre chaud perroquet préféré, il bénéficierait d’une espérance de vie remarquablement longue pour un oiseau.
C’est dire s’il a pu désespérer un potentiel Créateur !
« Bon, je… je sais plus quoi faire, là. Je lui donne des ailes : il bouffe tellement qu’il n’arrive plus à se soulever. Je lui donne des pattes vigoureuses avec des griffes acérées pour qu’il puisse monter aux arbres : il se pète la gueule. Et quand j’essaie de peaufiner son appétit sexuel, il nique des pierres !
Non mais je vais lui filer la vie éternelle, tu vas voir que ça risque pas de péter le moindre équilibre cosmique. Ah, et voilà, y en a un qui est mort en se tordant la teub sur un arbre. »
En bref, une sensibilité qui lui coûte
Las ! Agilité bancale, instinct de reproduction trop ardent au détriment de tout instinct de survie… Tout ceci contribue à faire du kakapo une espèce en voie d’extinction. Pour de vrai. On compte aujourd’hui à peine plus d’une centaine de kakapos dans le monde, et de nombreux prédateurs, ainsi que l’activité humaine, sont aussi à blâmer pour cela.
Pour sauver le kakapo, cet animal qui n’a été re-découvert que pendant les années 70, des efforts de conservation et des plans de relance de ce perroquet si rare à tous points de vue ont été lancés à partir des années 80.
Soit à partir du moment où on a réussi à retrouver des femelles : ayant compris ce qui excitait leurs mâles, elles se prenaient pour des pierres et se laissaient ainsi mourir dans leur propre illusion. (Je dé-conne.) (Mais il restait vraiment très peu de femelles.)
Si le sort du kakapo vous tient à cœur, maintenant que vous avez découvert cet oiseau merveilleux, rendez-vous sur son site officiel (ou presque) pour en apprendre davantage. Mais sachez déjà qu’il était vénéré par les anciennes tribus Maoris…
Car le kakapo est extraordinaire. À la limite de la magie. Comprenez : un animal tellement pas adapté à la vie, tellement pas gâté par la nature qui s’est arraché les cheveux sur son cas, qu’il aurait pu disparaître de lui-même, sans l’aide du moindre prédateur.
À moins de considérer qu’un arbre est un prédateur. Suivons l’exemple des Maoris. Sauvons le kakapo, ce perroquet extraordinaire(ment con).
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Crédit image de une : Zapping Sauvage (YouTube)
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