Estimer le coût découlant des frais de justice dans le cas de viols, d’agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel, tel est l’objectif du rapport publié par la Fondation des Femmes pour ce 25 novembre, journée de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Le rapport, rédigé par Lucile Peytavin, autrice du Coût de la virilité, et Lucile Quillet, autrice du Prix à payer, fait ouvertement écho à la mobilisation de la militante, doctorante et youtubeuse Marie Coquille-Chambel #OnNePortePasPlaintePourLargent afin de témoigner de l’investissement financier que doivent engager les victimes de violences sexistes et sexuelles. Car comme le souligne le rapport, « demander justice n’est pas gratuit ».
L’image du dépôt de plainte comme celle d’un chemin de croix est donc loin d’être exagérée. Les autrices du rapport évoquent d’ailleurs une « triple peine » : les victimes « subissent la violence, le coût économique de la justice et celui plus intangible des traumatismes s’additionnant sur plusieurs échelles ».
Parce qu’un exemple est plus parlant qu’une longue explication, le rapport s’appuie sur une simulation avec le cas très concret d’une victime :
« Julie est célibataire, habite à Paris, elle gagne 1450 euros net par mois. Elle est victime de viol. Elle paye trois actes chez un huissier (textos, mails, témoins oculaires), fait faire deux expertises médicales en urgence : une chez un médecin qui facture 50 euros la consultation (elle paie 35 euros de sa poche), une chez le gynécologue qui facture 90 euros la consultation (elle paie 75 euros de sa poche).
Elle porte plainte, se constitue partie civile, prend un avocat hors AJ (aide juridictionnelle) pour s’assurer une bonne défense. Elle est suivie par un psychologue à raison de deux séances par mois pendant un an et demi. La procédure dure 7 ans. Comme dans l’immense majorité des cas, son agresseur n’est pas condamné. Lasse et épuisée, elle ne demande pas d’indemnisation au FGTI. »
Le résultat semble insensé : le coût des démarches de Julie, qui contient notamment la récolte de preuves (sms, mails, mais aussi examens médicaux), ou encore le versement de la consignation (« calculée en fonction des revenus de la victime »), s’élève à plus de 10 000 euros.
Quelle aide de l’État ? Comment mesurer le préjudice ?
L’aide juridictionnelle totale ou partielle (qui n’est pas soumise à condition dans le cas d’un viol) est une prise en charge des frais de justice par l’État. Le rapport souligne néanmoins un aspect majeur de cette aide : « elle est plus importante pour les agresseurs présumés que pour les victimes ».
En outre, défendre un agresseur se révèle souvent plus bénéfique financièrement pour les avocats :
« De façon générale, il s’avère plus rentable – aide juridictionnelle ou non – de défendre les auteurs des crimes ou délits sexuels : parce qu’ils sont dans 99 % des cas des hommes, ils bénéficient de meilleures ressources financières. Ainsi, le réservoir d’avocates et avocats prêts à défendre des femmes victimes de violences sexuelles est bien plus restreint que celui des auteurs de ces mêmes violences. »
Le rapport pose aussi la question de l’indemnisation financière des victimes, enjeu complexe qui pose la question de la façon dont on mesure le préjudice de ces violences :
« Comment traduire en argent les préjudices subis suite à un viol, une agression sexuelle et du harcèlement ? Si nous parlons de “réparer” ou de montant “compensatoire”, il va pourtant de soi qu’une somme financière ne peut effacer le traumatisme subi. Une victime ne se “répare” pas. L’argent donne de la reconnaissance, et surtout, des moyens à la victime pour se reconstruire. »
Une victime dispose de trois ans pour se tourner vers la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI) pour faire une demande. Une fois déclarée éligible, elle recevra l’indemnisation via le Fonds de Garantie des victimes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI).
Des victimes trop souvent maltraitées
« En plus de connaître un processus judiciaire onéreux, les victimes se confrontent souvent lors de leur quête de justice à une forme de maltraitance collective, de la part des forces de sécurité, des avocates et avocats, du corps psycho-médical qui méconnaissent trop souvent les mécanismes spécifiques aux violences sexuelles », rappelle enfin le rapport.
La Fondation des Femmes insiste sur la pluralité de ce coût de la justice, au-delà de l’aspect purement financier, notamment à travers des conséquences psychologiques, sur la vie sociale, sur le travail. L’organisation féministe conclut son rapport avec plusieurs préconisations dont la revalorisation du barème de l’aide juridictionnelle, la garantie d’un suivi psychologique ou encore une meilleure information sur le FGTI.
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Crédit photo : Maëlle Le Corre pour Madmoizelle
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