Air Jordan, la godasse qui tabasse
Pour une paire de Nike, l’Amérique allume le feu plus fort que Johnny. Des bagarres, des bombes lacrymogènes, des mouvements de foule, et des arrestations de milliers de personnes : voilà ce qu’a provoqué la sortie des « Air Jordan 11 Retro Concords » ce vendredi.
À Austin, 1000 personnes ont attendu devant la porte pour seulement 150 paires de baskets. Résultat : une intervention musclée des forces de l’ordre et un policier à l’hôpital. À Richemond, on a tiré un coup de feu. À Tukwila, la foule a enfoncé les portes d’un centre commercial qui a ouvert à 2h du matin. À Lithonia, une maman aurait abandonné ses enfants dans la voiture pour aller tâter de la basket.
[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/xn8ezs_usa-des-gens-pietines-et-arretes-pour-une-nouvelle-paire-de-nike_news[/dailymotion]
Les vidéos amateurs font carrément froid dans le duffle-coat : on y voit des gens courir comme le troupeau de gnous dans le Roi Lion, et marcher sur des enfants.
Tout ça pour shopper les « Air Jordan 11 Retro Concords », un modèle de basket créé en 1996 pour Nike par Michael Jordan, ancien joueur de basket à la NBA à la retraite depuis 9 ans – et par conséquent ringard en puissance (la preuve).
La paire est vendue 180$ (soit environ 140€) et déjà aux enchères sur Ebay avec un prix qui monte qui monte comme la petite bête. Bref, une opération marketing juteuse pour la marque à la virgule, et une catastrophe pour la paix et l’amour dans le monde. On n’est pas prêts de ressusciter l’autre Michael : « Heal the world, make it a better place« .
Nike a réagi au quart de tour de stade et envoyé son porte-parole Brian Facchini : « Nous sommes extrêmement inquiets […] La sécurité des consommateurs est d’une importance primordiale ». C’est très touchant, mais le client qui s’est fait broyer le coccyx aurait sans doute préféré que la marque prévoie un peu le coup (de poing) et s’organise en conséquence. Autant de choses qui donnent envie de crier (Aline, pour qu’elle revienne) : MER IL EST FOU le monde !
Pour un t-shirt, pour un bas, je feraiii n’importe quoi
Si l’exemple des Air Jordan est particulièrement impressionnant, ce n’est pas la première fois que la sortie d’un nouveau modèle ou d’une nouvelle collection mode met le boxon. Pour « se mettre sur son 31 », nos amis les Anglais utilisent l’expression « to be dressed to kill ». Le message est clair comme une fermeture éclair. Pour être la-plus-belle-pour-aller-danser, il faut être prête à tuer. Ou à faire des trucs un peu déjantés. Voilà comment la mode nous rend Gaga.
Prenez les collaborations H&M x un créateur un peu connu : Lanvin, Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Stella McCartney, Jimmy Choo ou plus récemment Versace
. Dès 5 heures du matin, les clientes sont à-à-à la queue-leu-leu devant la boutique, qu’il fasse -15 ou +35°C. Attendre le précieux bracelet comme l’anneau de Sauron, sprinter pour trouver en 10 minutes chrono LA sape, no problem, no limit. H&M joue sur la rareté pour susciter l’envie (on devrait le dire à Johnny). Celles qui ratent le coche iront pleurer sur le web.
Car le Nain Ternet est lui aussi complice de la mode. Passer la nuit devant Ebay pour guetter l’enchère d’une robe N’EST PAS un mode de vie sain. Pas plus que de programmer son réveil 5 heures à l’avance pour assister à l’ouverture d’une vente privée. Il serait beaucoup plus raisonnable de manger des fruits et légumes et de se coucher après le journal de 20 heures. Certes, ça ne remplit pas les placards.
L’autre marque qui fait tourner le lait et les serviettes, c’est Desigual. Emilie vous a parlé du concept : on arrive en sous-vêtements, et on repart avec des fringues gratuites. Double exploit pour la marque espagnole : non seulement vous creusez un trou et vous y enterrez votre pudeur à tout jamais (gare au poil rebelle) mais en plus vous attrapez tout un tas de maladies en « -ite ». Je soupçonne d’ailleurs une alliance secrète avec les fabricants de mouchoirs et de sirops pas bons à l’eucalyptus.
Dernier exemple édifiant : le début des soldes. À chaque saison, c’est la même tempête. La télé nous repasse les images de furies décoiffées qui écument les rayons tel un capitaine de navire et s’arrachent des robes en combat singulier. Les unes et les autres usent de petites stratégies mesquines : ici celle de Sanaa K, et voici notre Guide de Survie, c’est dire. Que celle qui n’a jamais songé à sécher 2 heures de métaphysique du colon ou à décaler ses vacances pour aller s’enraciner devant un centre commercial lève son étiquette 50%. Aux soldes d’hiver qui commencent le 11 janvier 2012, je pourrais parier qu’on verra du sang et des larmes.
La seule limite à ce délire marketing s’appelle le compte en banque. Alors voilà ce que je serais personnellement prête à faire pour palper de la sappe, sans dépenser un centime, ça va de soi. (Et attention, pour de tels sacrifices, les fringues doivent roxer de la couture)
– Manger des tripes/de la cervelle/des cafards. La simple mention de ces plats me fait swinguer l’estomac. Mais avec un peu de ketchup et une paire de derbies à paillettes, je les trouverais presque appétissants. Au moins le temps d’aller chercher une cuvette.
– Danser comme les mannequins de la pub Lanvin automne/hiver 2011. C’est-à-dire me tortiller avec les mâchoires cimentées et un air coincé devant plus de 567 379 personnes sur Youtube (à l’heure où j’écris). Tant pis si ma réputation ne survit pas à un manteau. L’honneur, c’est surfait.
– Louer un membre de ma famille pour une journée. Bien que je ne vois pas trop qui ça ferait frétiller de la clavicule. S’il y a des intéressées dans l’assistance, je dispose de 3 modèles dont un qui range vachement bien. On peut même faire des tarifs dégressifs en période de soldes.
Et vous, vous feriez quoi pour des vêtements ? Ca ne vous fait pas flipper le dauphin toute cette folie pour quelques bouts de tissus ? Le monde ne serait-il pas plus serein si on se contentait de faire nos propres gilets en poil de yack ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
A croire que les gens d'aujourd'hui n'ont plus de tenue.