Dans notre nouvelle rubrique, Débats de parc, on fait le point sur les grands débats de la petite enfance, parfois si clivants !
Nous avons tous notre niveau de pudeur, et cela conditionne notre façon de nous comporter dans l’espace public mais aussi en famille. Est-on à l’aise en petites tenues chez soi en famille lorsqu’il fait chaud ? Peut-on faire du naturisme avec ses gosses ? Peut-on prendre un bain avec ses jeunes enfants ?
Nous allons analyser cela en détaillant surtout ce dernier exemple — car c’est la situation que l’on rencontre le plus fréquemment mais aussi car elle ne manque cependant pas de créer du débat.
Il y a quelques semaines, nous publiions un article sur le mom-shaming subi par la mannequin Chrissy Teigen, qui affichait sur Instagram une photo d’elle prenant un bain avec ses deux enfants — Luna, 5 ans et Miles 3 ans — comme on peut le voir sur la photographie ci-dessous, avec en légende :
« Ce que l’on ne voit pas sur la photo : des chamailleries sans fin »
Elle recevait alors une vague d’indignations en commentaires…. le mom-shaming a encore de beaux jours devant lui !
Mais pourquoi cela choque t-il autant ? Est-ce vraiment problématique que nos enfants nous voient nus et que nous prenions un bain avec eux ?
On a donc invoqué deux spécialistes de l’éducation pour nous aider à y voir un peu plus clair, à savoir Marie Chetrit, docteure en sciences, qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante et Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques.
D’où nous vient cette pudeur ?
En France, la pudeur semble plus forte et prégnante que dans d’autres pays. Car c’est avant tout une question de culture ! Dans d’autres civilisations — et dans certaines communautés naturistes françaises — la nudité n’est pas du tout un problème.
Héloïse Junier avance également une partie de l’explication et déplore le rôle de la psychanalyse :
« En France on a un rapport très étroit à la psychanalyse, qui vient sexualiser le corps des enfants, les investir de pulsions sexuelles et voir incestueuses. Le complexe d’Œdipe, c’est quand on pense qu’un enfant à trois ans par exemple veut forniquer avec le père ou la mère et rejeter l’autre parent. On se dit alors : “on ne va quand même pas se mettre tout nu devant un enfant”. Ça promeut une distance physique entre le corps de l’enfant et celui de l’adulte et donc cette pudeur. »
Une fois de plus, la psychanalyse et ses théories ont eu un rôle dommageable. Pourtant quand on y pense, cela paraît assez naturel d’être dans son plus simple appareil…
Être nu, c’est naturel
On a tendance à se méfier de ce qui est considéré comme « naturel » ou « pas naturel » — des mots largement dévoyés, souvent utilisés à tort et à travers. Mais pour notre débat ici, la nudité fait partie du quotidien de chacun et chacune. Il n’y a pas à avoir honte ou être gênée par son corps. Pour Héloïse Junier :
« Il n’y a aucun mal à être nu avec ses enfants. Prendre un bain avec ses enfants, c’est un moment sympa. En plus le rapport peau contre peau favorise l’ocytocine, l’hormone de l’attachement. […] L’enfant vit ça avec beaucoup d’innocence en fait. »
Il n’est donc pas problématique pour un sou d’être nu et de prendre un bain avec ses enfants, contrairement à ce que certains rageux ont écrit à Chrissy Teigen ! Il y a cependant quelques conditions à respecter…
Respecter ce que les enfants veulent
Évidemment, il faut respecter les envies des parents et des enfants ! Pour Marie Chetrit, c’est surtout une question d’âge :
« Pour un bébé ou un tout-petit, il n’y a aucun problème.
Quand les enfants grandissent, ils ont souvent une grande curiosité pour les organes génitaux des parents. Ils regardent ce qui est différent d’eux. Pour moi, à partir du moment où l’enfant manifeste cette curiosité, c’est un peu le signal qu’il faut être plus pudique, plus réservé.
C’est pas du tout tragique non plus qu’un enfant plus grand voit son parent nu mais il y a un âge où c’est bien de prendre un peu plus de distance. D’ailleurs, les enfants eux-mêmes, vers 5 ou 6 ans, manifestent souvent un besoin de pudeur. C’est un signal à respecter. »
Bien qu’il s’agisse d’une construction sociale et culturelle, la pudeur doit être respectée. Car pour vivre en société, on doit en faire l’apprentissage.
Héloïse Junier émet également cette réserve, il faut arrêter si cela « créer une situation de mal-être pour l’enfant ou pour l’un des parents ». Cette pudeur arrive avec le temps :
« Quand le parent ou l’enfant ne le sent plus. Quand l’enfant a un regard différent. C’est culturel donc c’est une question de ressenti individuel. »
Pour Marie Chetrit, les enfants doivent aussi apprendre ce qu’est la pudeur et le respect du corps de l’autre, de son intimité. Elle nous explique :
« Cela fait en sorte aussi qu’ils se disent : “je ne peux pas voir une personne toute nue si elle n’en a pas envie”. Pour l’apprentissage du respect du consentement dans une optique d’éducation sexuelle à long terme, c’est important.
En tant que parent, on a pas forcément envie d’être vu tout nu, dans la douche ou autre, ils doivent respecter cela, comme le parent doit respecter leur souhait. Ça va dans les deux sens. »
Les enfants mettent peu à peu en place cette distance et c’est aux parents de la respecter. Même si cela va aussi dans les deux sens. L’enfant doit respecter l’intimité du parent s’il le souhaite.
Des alertes possibles sur des situations problématiques
Nous nous plaçons bien entendu dans le cadre d’une situation de famille où il n’y a pas d’arrière-pensée, aucun situation incestueuse, ni aucune volonté de la part d’un parent de l’être !
Il faut cependant le noter : une grande intimité physique entre un enfant et un membre de sa famille peut, dans certains cas, être le signal d’un problème.
Ces signaux particuliers, qui peuvent être énoncés par l’enfant, pourront alors être étudiés par des proches ou par les professionnels. Il faut absolument y être attentifs et ne pas les négliger.
Ce sont en particulier les pères qui se posent des questions, craignant qu’on les suspecte d’avoir des intentions malsaines, incestueuses. Cette crainte est compréhensible et c’est un sujet si grave que sa prise en compte dans toutes les sphères est une bonne chose.
Le fait de s’interroger sur la décence ou non de tel ou tel comportement est compréhensible. Héloïse Junier nous parle de la crainte des pères :
« Les pères ont particulièrement peur. Un père est venu me voir en crèche pour demander s’il pouvait prendre un bain avec sa fille de 3 ans. Je lui a répondu qu’il n’y avait pas de problème. »
Elle ajoute :
« Il ne faut pas que les parents se mettent la pression pour ne pas le faire. Le père qui sera incestueux le sera même s’il ne prend pas de bain avec sa fille. »
Pour résumer, s’il n’y a pas d’intention malsaine, il n’y a pas de problème. Il ne faut pas être exagérément pudibond, alors que la nudité est au départ naturelle et vue avec innocence par les enfants. Il faut surtout faire confiance aux envies et aux ressentis, à la fois du côté des parents mais surtout des enfants !
À lire aussi : Chrissy Teigen prend un bain avec ses enfants et ça énerve des gens ? Le jugement sur les mères, vraiment…
Image en une : © Getty Images/Canva
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Perso, j'ai jamais aimé les bains, donc je n'en ai jamais pris avec eux, mais mon mari si. En revanche, je ne ferme jamais la porte de la salle de bains donc ils me voient très souvent nue. Pour le moment, ça ne me dérange pas. Quand j'étais petite, et toujours maintenant, avec mes soeurs on se baladait à poil tranquilles quand on était seules, et du coup ça aide à désacraliser le corps, je trouve (idem pour les douches après un sport co).
Je ne sais pas trop comment introduire cette notion auprès de mon fils qui commence à être grand. Pour le moment, on s'est mis d'accord sur le fait qu'il se lavait tout seul le pénis, sauf quand il a la flemme. Dans ce cas, il me donne l'autorisation. Et j'essaie de lui apprendre le consentement sur ce point. A l'école, la maitresse leur a dit qu'il ne fallait pas regarder le pénis du voisin au moment du pipi.
C'est assez progressif, finalement.