Juliette et Marie sont mon duo de copines qui bossent dans la mode préféré. C’est à elles que je m’en remet quand j’achète un truc en friperie et que je me demande si j’ai l’air d’une modeuse avertie ou d’un clown qui s’est échappé de son chapiteau.
Récemment, les filles se sont vues remettre le premier prix du défilé de l’atelier Chardon Savard (Paris). Parmi le jury, Castelbajac et Maria Louisa, celle qui avait révélé le talent de Alexander Mc Queen. Je ne sais pas si mes copines connaîtront le même succès que le styliste anglais, reste que, en attendant, elles ont déjà été approchées par l’équipe de Citizen K et leur collection a pratiquement fait l’unanimité. Et récolté plein de likes sur Facebook – mais ça c’est une autre histoire.
Comme Juliette et Marie sont avant tout mes copines, j’ai chopé l’exclu sur tout le monde en leur proposant « un dej », comme disent les workers, histoire de parler business.
En plus, elles sont hyper bavardes et intelligentes (mais je dis pas ça parce que c’est mes copines). Il paraît qu’elles se tapent mutuellement sur le système (bah oui, en plus d’être amies depuis plusieurs années et collaboratrices, elles sont COLOC – elles doivent prendre un café bientôt, pour « mettre certaines choses à plat »). Mais quand il s’agit de taf, elles sont exactement SUR LA MÊME LONGUEUR D’ONDE.
En tête à tête à Montmartre, Juliette et Marie m’ont tout dit de leurs parcours, leur collection, leur façon de créer et d’aborder la mode, ainsi que leurs projets à venir. On a mangé un steak tartare et des carpaccios de boeuf, si vous voulez tout savoir.
Marie et son verre d'eau, Juliette et son chapeau de paille
Salut les filles. Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Juliette et j’habite en colocation avec Marie. Je viens de finir mon master en stylisme à l’atelier Chardon Savard à Paris.
T’as fait quoi avant ?
J’ai fait un bac STI arts appliqués, ce qui m’a permis de rentrer direct dans mon école sans passer par une année de remise à niveau. Donc j’ai un bac +3 mais quand même le niveau master – parce qu’ils ont ré évalué le niveau entre temps.
Et toi, Marie ?
Mon parcours est un peu similaire. J’ai fait le lycée de Sèvres, c’est là qu’avec Juliette on s’est rencontrées. J’ai passé mon bac Arts Appliqués et je suis rentrée en BTS stylisme à Duperré et en septembre prochain, je sors de ma licence.
Depuis combien de temps êtes vous coloc ?
Marie : Ça va faire 2 ans. C’est notre solitude qui nous a rapprochées. Après le lycée, quand on était toutes seules dans studios respectifs, on a passé nos soirées à trimballer nos sacs plein de tissus chez l’une et l’autre, même très tard le soir. Et puis on s’est dit «autant se mettre en coloc ! »
Quelle mignonne petite histoire ! Vous formez un duo qui marche bien, si j’en crois votre dernier fil d’actualités : vous avez récemment reçu le premier prix du défilé de l’Atelier Chardon Savard.
Juliette : Oui, on a eu la chance de gagner le lauréat du diplôme. L’Atelier Chardon Savard possède un bon carnet d’adresse, du coup ils ont réussi à rameuter des gens aussi impressionnants que Jean Charles de Castelbajac, Maria Louisa, Jérôme André (le styliste de Citizen K) et Donald Potard. Pendant 2 jours, tous ces gens sont venus voir nos dossiers. Puis il y a eu le défilé et c’est là qu’on a été jugés.
Décrivez moi votre collection.
Marie : Notre inspiration première, c’est le concept d’épouvantail. Mais pas celui des champs, avec le paysan dans les parages ! Nous, on voulait surtout se pencher sur le côté spectaculaire de l’épouvantail. Le côté impressionnant et dominant. Tout en se détachant de l’idée de l’épouvantail qui fait peur. C’est de là qu’on est parties pour réaliser nos silhouettes.
Par quelles étapes êtes-vous passées pour imaginer votre travail ?
Juliette : À la base, il y avait cette idée de vêtement/objet qui vient vraiment sur le corps. Partant de là, on a testé plein de techniques pour faire des vêtements qui tiennent tout seul.
Marie : Au début, notre travail ne s’apparentait pas à celui d’un styliste, mais presque à celui d’un artiste contemporain. On a pensé en terme d’objets, on s’est lachées sur la bombe en peinture, le fil de fer, la corde, etc.
Beau brainstorming. Et après ?
Juliette : Après, on s’est redirigées. On s’est demandées : « bon, et qu’est-ce qui définit la forme de l’épouvantail ? » Ses formes sont essentiellement géométriques ! L’épouvantail est une image tellement simplifiée de la silhouette humaine que du coup, tous les stéréotypes du vêtement peuvent être utilisés. Ça s’apparente presque à du pictogramme.
Marie : Le corps se retrouve figuré. On s’est inspirées du cubisme, pour faire nos volumes très géométriques.
C’est cette idée de géométrie qui a servi de ligne directrice dans vos réalisations ?
Juliette : Y’a aussi une réfléxion sur le plan. On voulait créer un effet de surprise sur la silhouette : on voulait qu’elle n’apparaisse pas de la même façon selon l’angle de vue du spectateur. C’est seulement quand tu tournes autour de la silhouette que tu te rends compte que le volume n’est pas exactement celui que tu avais vu au premier coup d’oeil. On a pensé à Cardin, qui a vachement bossé sur les formes géométriques. On a pensé à l’art pictural aussi : on a joué sur des formes géométriques désarticulées. On a des formes qui viennent se poser sur le corps mais aussi l’épouser. Le corps sert de support. Le corps est prétexte pour modeler un vêtement.
Quelle a été votre façon de travailler durant l’année ?
Marie : On était toutes les deux guidées par nos écoles respectives qui nous poussaient à rendre des projets, du coup on bossait pour une école ou pour l’autre. On a toujours bossé à deux. Par exemple, j’ai bossé sur des projets de Juliette qu’elle a montré dans son école et que moi je ne montrerai pas, et vice versa. On partage vraiment tout.
Juliette : On n’a pas de rôle attitré, genre l’une qui fait le dessin et l’autre la couture. Y’a aucune des pièces qu’on a fait du début à la fin toute seule. C’est limite si je commence pas une couture et c’est elle qui finit le point.
Oh c’est beau.
Marie : On a toutes les 2 des taches qu’on adore faire et d’autres qu’on déteste, on se complète un peu là dessus. Par exemple, je déteste monter les fermetures éclair, elle adore. Elle déteste les points à la main, moi j’adore ça.
Juliette : On travaille toujours en binôme. Y’a pas de rôle séparé. On réfléchit, dessine et coud ensemble.
Vous créez ensemble non-stop. J’imagine que du coup, ça doit faire du bien d’être dans 2 écoles différentes quand même.
Juliette : Oui et c’est hyper enrichissant, parce qu’à l’arrivée ça nous donne 2 manières de penser.
Marie : Par exemple, mes profs sont du genre à se déplacer carrément chez toi pour voir ta collection. Et j’ai peu de cours. La licence est un peu chelou, mon année est découpée en 3 temps de cours. On a des rdv pour rencontrer les profs et leur montrer notre taf, mais c’est tout.
Juliette : De mon côté, les profs nous suivent au jour le jour. Mon année est divisée en modules. En gros, des plages de 6 semaines de cours et après, 6 semaines où t’es censé bosser par toi-même sur ta collection, histoire de prendre un peu de recul sur ton travail, laisser mûrir les idées et revenir après à l’Atelier. On a une super directrice qui a une vision très cool de la mode. Elle nous file des directives et ça aide pas mal à réfléchir durant les 6 semaines où tu te retrouves chez toi.
Marie : En septembre, avec Juliette, on va pas mal bosser la mise en scène de notre collection. Ce sera à mon tour de passer mon diplôme, mais dans mon école on ne fait pas de défilé mais une exposition. Les professionnels viennent, y’a un vernissage et tout ça.
Parlons aussi des matières que vous avez utilisées.
Juliette : On voulait des matières qui tiennent toutes seules. Ainsi qu’un tissu uni (et pas imprimé), pour accentuer les volumes. Du coup, on a utilisé du lainage noir, un truc assez rigide et pratique, puisqu’on a foutu du plastique à l’intérieur.
Marie : Comme la majorité de nos vêtements. Pour qu’ils tiennent. Et parce que ce sont des vêtements-objets, donc.
Juliette : Y’a aussi du crin de nylon. Une matière transparente, qui apporte une certaine légèreté à une silhouette assez massive et opaque. Et ça nous a permis de jouer à des effets de transparence, dans l’esprit de la multiplicité des plans.
Vos silhouettes sont noires, agrémentées de couleurs vives. Que dire des couleurs choisies ?
Marie : Elles apportent encore dans l’idée de la lecture de la silhouette. Sur les corps très noirs, y’a toujours un vêtement qui se détache. L’idée, c’est celle d’un gros cube noire sur les épaules, et à l’intérieur le corsage qui se dessine comme dans une boîte laisse apparaître les couleurs.
Juliette : Des couleurs saturées, presque fluo. Assez inspirées de l’époque Cardin. Pour trancher avec le noir. Chaque silhouette a sa propre couleur, chaque silhouette a sa propre identité.
Je vois que vous avez bien théorisé votre travail. Impressionnant. Et je dis pas ça parce que vous êtes mes copines. Vous avez tout fait toutes seules ?
Marie : Sauf les pompes. Qu’on a déléguées à mon père. Ce sont des compensées auxquelles on a rajouté des Kapla. Tu sais, le jeu pour enfant – les planches en bois ! La démarche du mannequin devient atypique, parce que le pied a l’air engoncé dans un tas de bois. Quand les mannequins marchent, t’as l’impression que c’est hyper lourd et que les nanas sont clouées au sol et transportent avec elles un amas de bois, genre un socle.
Et les coiffes ? Elles sont dingues !
Juliette : C’est une imitation de perruque, elle-même imitation de cheveux. Le tout en hauteur, pour agrandir la silhouette.
Marie : On tombe dans le factice. Puisque le corps est lui-même déjà factice. Imagine les meufs de 1m80, sur des pompes de 15/16 centimètres, avec les coiffes en plus !
Juliette : Ça donnait vraiment des silhouettes immenses, presque imposantes et inquiétantes. On voulait surprendre par la disproportion.
Vous les avez pensés dès le début ou c’est un détail qui est venu après ?
Marie : Au début de l’année, j’ai eu un projet sur le cheveu. Avec Juliette, on a fait des fausses perruques en cuir, qui viennent se poser sur la tête comme un casque qui dessinent les cheveux. On a réutilisé ce concept pour faire un mélange un peu cosmique de ces deux idées.
Au final, comment appréhendez-vous les vêtements ? Je me suis toujours demandée : vous commencez par des croquis de pièces isolées ou de tenues dans leur ensemble ?
Juliette : On travaille toujours en termes de silhouette. On va jamais penser d’abord à un pantalon et ensuite créer le reste en fonction du pantalon. Y’en a qui travaillent comme ça, mais pas nous. Nous, on commence par dessiner des silhouettes de la tête aux pieds. Ensuite, on fait la collection selon.
Marie : On travaille sur l’allure et l’attitude de la silhouette. Avant tout.
Le jury a dit quoi, au moment de la délibération ?
Juliette : Il a dit que ma robe était moche, ahah. « J’ai adoré ta collection, si j’avais pu mettre 2 voix je les aurais mises. Par contre, j’ai failli te mettre deuxième à cause de ta robe. T’étais pas raccord avec ta collection » m’a fait remarquer Castelbajac. C’est vrai que ma tenue n’avait pas trop de rapport avec l’ambiance de la collection !
Allez, JCDC ! Tu m'as vannée, mais je te fais quand même une bise, va !
Où puisez-vous votre inspiration ?
Juliette : Beaucoup par Internet. Blogs, sites, dès qu’il y a une image qui nous plaît, on la mets dans notre banque d’images. Certaines datent de y’a plusieurs années, c’est notre gros fourre-tout d’images qu’on aime bien. Des photos, de la mode, une illustration, etc.
Marie : On suit aussi les événements type fashion week. Mais on n’a pas un créateur fétiche.
Quand vous bossez à deux, il vous arrive de vous engueuler ?
Marie : Non, jamais. C’est les seuls moments où on s’engueule jamais. Mais hors travail, en ce moment, c’est un peu tendu. On doit prendre un café bientôt. Pour parler.
Ça se ressent pas, là tout de suite !
Juliette : Ouais, parce qu’on parle de boulot ! On est sur la même longueur d’ondes.
Marie : On s’est couchées pendant 1 mois à 1h du mat et on rigolait trop.
Juliette : Heureusement qu’on s’entend bien, vu tout le temps qu’on passe ensemble.
Vous pensez plus tard, continuer votre collection ?
Juliette : Carrément. C’est sérieux, on compte vraiment continuer à travailler ensemble. L’une sans l’autre, on serait complètement paumées.
Des projets à venir ?
Juliette : On va partir en octobre à New York, 6 mois, pour revenir fin mars parce que début avril y’a les sélections pour le festival de Hyères.
Marie : On était aussi parties sur un gros projet de sacs banane. C’est la première idée qu’on a eu. On était super contentes, jusqu’au jour où on a vu tout un rayon de sacs banane chez American Apparel. On s’est senties un peu moins précurseurs, d’un coup. Alors qu’on les avait déjà dessinées, coupées, etc. On en a 10 prêtes dans un sac, ça fait 2 ans qu’elles sont là et on a toujours pas eu le temps de les monter.
Juliette : Le nom, c’était Franky Club. Mais ça n’a pas trop plu. On a laissé tomber ce nom sous la pression sociale.
Vous avez un autre nom en tête ? Parce qu’au final, on dit toujours « Juliette et Marie ».
Juliette : On a un nom en tête mais qu’on ne dévoilera pas tout de suite. On préfère attendre un peu, on veut rien dire tant que rien n’est concret.
Alors, je reviendrai vous interviewer quand vous aurez votre blaze officiel, votre collection qui aura fait le tour des magazines de mode, une boutique et une horde de fan vous attendant à la sortie des hôtels internationaux que vous fréquenterez !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires