Dans une interview pour Nous Deux reprise par Voici, Julie Zenatti — la chanteuse phare de la comédie musicale Notre-Dame de Paris — s’exprime sur son couple, qu’elle décrit en somme comme équilibré, avec une charge mentale et des tâches parentales bien réparties. Mais voilà, il y a comme quelques soucis au niveau de la terminologie et de ce que signifie dans le fond ce qu’elle raconte…
L’idée ici n’est pas de blâmer Julie Zenatti, qui semble pleine de bonnes intentions (et qui chante très bien !), ni les deux médias qui reprennent les propos en n’y apportant néanmoins aucun recul, mais de comprendre pourquoi on en est à différencier à tout prix le rôle du père et de la mère.
L’enfer est pavé de bonnes intentions : le père, la mère et les clichés
Julie Zenatti et Benjamin Bellecour ont deux enfants. La chanteuse s’est exprimée sur l’organisation du couple depuis la naissance de leur petit dernier :
« Il y en a toujours un des deux qui reste. On a chacun nos moments. À la naissance de mon fils, j’étais en tournée, très peu là. Mon mari est devenu sa “maman” pendant ses huit premiers mois.
En fait, nous sommes un couple “non genré”. Nous sommes à la fois papa et maman à tour de rôle. Pour l’instant, ça fonctionne, nos enfants sont normaux. » »
Aouch ! Un condensé de clichés et de vieux stéréotypes de genres… Car un homme qui s’occupe de son nouveau-né n’est pas une mère, juste un parent.
Ce qui est clairement dit ici, est qu’il incomberait à la mère de s’occuper du bébé les premiers mois. Pour quelle raison la femme aurait un rôle privilégié dans le soin du bébé ? Bon sang, encore ce vieux mythe de l’instinct maternel ? Parce qu’on le répète, hein : ça n’existe pas !
Les mères ne sont pas mieux armées génétiquement pour savoir comment s’occuper du bébé. L’amour maternel existe, certes ; il peut survenir dès la naissance, mais aussi bien après, ou encore jamais… Le lien entre l’enfant et la mère n’est pas inné, mais il se construit. Comme l’énonçait la grande anthropologue Françoise Héritier à Psychologies :
« Le terme instinct, au sens strict, suppose que l’on soit conduit, malgré soi, à un certain type de comportements qui seraient liés à notre espèce.
Cela est valable pour les animaux, mais ne l’est pas pour l’espèce humaine. Parce que l’homme est doté d’une conscience, d’un libre-arbitre, de sentiments… Il s’agit donc de volontés, et non d’instincts. Des volontés qui peuvent d’ailleurs être absentes. »
Voilà, donc la mère n’a pas de raison de s’occuper plus du bébé. Évidemment, l’allaitement au sein peut créer une relation particulière car c’est la mère qui nourrit l’enfant. Mais en dehors de ça, il n’y a pas de rôle prédéfini, d’attributions particulières et spécifiques pour la mère ou le père.
Et lorsque Julie Zenatti précise que ses « enfants sont normaux »… Que sous-entend t-elle ? Que les enfants qui ont deux pères ou deux mères ne le seraient pas ? « Un papa et une maman » sont seulement des réclamations sans fondements de la Manif pour tous, mais c’est tout. Cela ne repose sur aucun besoin des enfants.
Bien sûr, certaines personnes pensent encore qu’un gamin a besoin d’un père ET d’une mère pour être équilibrés, et c’est bien de montrer que l’inverse existe ! Mais les idées reçues sur la question sont si nombreuses qu’il vaut mieux faire attention aux mots et aux tournures de phrases qu’on emploie.
Une relation non-genrée, vraiment ?
De plus, la chanteuse emploie le terme de « non-genrée » pour décrire sa relation. On comprend ce qu’elle souhaitait exprimer mais une fois de plus, c’est un peu à côté de la plaque.
Ce qu’elle veut dire, c’est que dans le cadre de son couple, il y a parfois un échange des rôles genrés, définis et attendus par la société. Non-genrée signifie qu’à une échelle individuelle, on peut ne pas avoir de genre ou ne pas se reconnaître dans les alternatives proposées, homme et femme. Beaucoup d’autres identités existent. Il s’agit d’un vaste spectre. Rien à voir donc avec ce que voulait dire Julie Zenatti.
Ce genre de propos, en apparence anodins, bien repris dans les médias, sont en fait dangereux car ils participent de croyances collectives selon lesquelles la mère doit avoir un rôle particulier, prépondérant dans le soin des enfants. Cela contribue à perpétrer les inégalités au sein des foyers — 70% des tâches domestiques et parentales sont encore aujourd’hui effectuées par les femmes…
Les femmes ressentent une grande pression à propos de leur rôle de mère et ce n’est pas non plus sans rapport avec le nombre très élevé de dépressions post-partum. Cela concerne actuellement une femme sur dix en France. Et si on arrêtait de considérer que le père et la mère ont des rôles différents auprès des enfants ?
En attendant, on souhaite tout de même le meilleur à Julie Zenatti, qui sort un album, et qui était sans doute pleine de bonnes intentions. Ça arrive d’être maladroite, c’est important de décrypter les discours, mais sans accabler pour autant !
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