Si on m’avait dit un jour que je verserais une larme devant une pub pour un catalogue de jouets, j’aurais ricané. Alors avant de vous joindre au concert des moqueries, je vous invite à regarder le spot des Magasins U, qui présente leur catalogue de jouets 2015.
https://youtu.be/GEIQJqPgjLY
« Les enfants sont conditionnés »
Les Magasins U n’ont pas seulement entendu toutes les critiques qui ont été faites depuis plusieurs années maintenant, sur la socialisation genrée, et plus particulièrement sur le marketing genré, et ses conséquences sur la façon dont les enfants appréhendent le monde.
Ils ont décidé d’y réagir, d’une excellente façon : en revoyant leur catalogue de jouets. Il n’y a plus de jouets « pour filles » et ceux « pour garçons » : il y a des jouets différents, pour tous les goûts.
Pour les enfants qui aiment bricoler, ceux qui aiment jouer à la dinette, ceux qui aiment les deux. C’est pour tout le monde !
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Les enfants interrogés dans ce spot répètent savamment ce que sont « les trucs de filles » et « les jeux de garçon ». Ils ont intégré parfaitement « les codes » qu’on leur transmet.
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Et ils ont aussi intégré la transposition de ces codes au « monde des adultes », comme par exemple lorsque ces petites filles expliquent :
« Les garçons ne savent pas s’occuper des bébés »
« Le papa, lui, il va au travail et il gagne des sous »
Il est là, le problème. À leur âge, ces enfants savent déjà expliquer exactement ce que sont « les jeux de fille » et « les jeux de garçon ». Or lorsqu’ils sont lâchés dans une aire de jeux, ils jouent… avec tout. Selon leurs envies, pas selon « les codes » de leur genre.
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Ma préférence va au petit garçon déguisé en Iron Man qui passe l’aspirateur.
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Mais que se passe-t-il plus tard, lorsque ce ne sont plus des jouets qu’ils doivent choisir, mais une filière d’études, une voie professionnelle ?
Quand on a six ans et qu’on entre dans une aire de jeux, on oublie très vite qu’on est censé « jouer avec le rose » si on est une fille. Les garçons ne se préoccupent pas de savoir ce qu’on va penser d’eux s’ils jouent à la poupée ou à la dinette…
Sauf qu’en grandissant, les injonctions à se conformer à « la norme de leur genre » seront plus nombreuses, plus présentes. Les garçons qui ne se comportent pas « comme des garçons » selon les attentes sociales, entendront des « rappels à la norme » comme ceux-ci :
« – Sois un homme ! »
« – C’est pas un truc de mecs, ça ! »
« – C’est pour les filles ! »
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Côté filles, je ne vais pas faire la liste, elle serait bien trop longue. Commençons par se demander ce que signifie « être féminine », se rappeler que les injonctions à la féminité sont tellement fortes et omniprésentes qu’on finit par s’y enfermer nous-mêmes parfois, en usant du « NOULÉFILLES ».
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Le catalogue de jouets non-genré, un premier pas dans la bonne direction
Les jeux, les jouets ne sont qu’un support de cette dichotomie, perpétuée tout au long de la vie, à l’échelle de toute la société.
On a commencé par dire à mon frère que « les Barbies, c’est pour les filles », puis on m’a dit que je ne pouvais pas être torse nu en été (alors que lui, il pouvait).
Puis j’ai appris à avoir peur dans la rue, la nuit, on m’a dit que j’étais « nulle en maths », et de fil en aiguilles, on se demande pourquoi en France, en 2015, on a aussi peu de mixité dans les entreprises.
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Vous remplacez l’aire de jeux par le marché du travail, et les enfants par des jeunes diplômés. Et on frémit en repensant aux réponses des enfants :
« Le papa, lui, il va au travail et il gagne des sous. »
« Les filles, elles aiment la cuisine. »
Les enfants sont soumis à une multitude d’influences, et comme le soulignent les Magasins U dans ce spot : ils sont conditionnés. Faire des catalogues non genrés ne lutte pas contre ce conditionnement, cela permet simplement de ne pas y participer. Et c’est déjà un grand pas.
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Les nouveaux « jouets pour filles »
Un autre pas dans cette direction, qui agit effectivement en faveur de la déconstruction de ce conditionnement, ce sont les jouets « pour filles » sur des domaines auxquels elles n’osent pas s’intéresser, faute d’y être encouragées.
Ce sont par exemple, les excellents spots de GoldieBlox, la gamme de jouets d’ingénieurs pour fille. Ils ne sont pas « girly », mais ils ont un design qui leur permet de se fondre parfaitement dans les rayons très rose et pastel des magasins de jouets.
Bien sûr, le sexisme ordinaire de la société ne repose pas uniquement sur les catalogues de jouet. Ce serait trop simple.
Si on imagine le Patriarcat comme « le boss de fin » du jeu de la misogynie, les catalogues de jouets sont juste une épreuve, qui va peut-être nous permettre de débloquer un niveau. On se rapproche, une étape à la fois…
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Arrêtons de participer passivement au renforcement d’un système qui réduit nos opportunités !
À toutes celles et ceux qui grinceront probablement des dents en voyant vos petit·es cousin·es nièces et neveux, voire frères et sœurs, recevoir des cadeaux très genrés sous le sapin…
Il est encore temps de montrer cette vidéo à vos proches, en espérant qu’eux aussi, décident d’arrêter de participer passivement au renforcement d’un système qui nous fait du mal à tou·tes.
Comme on l’expliquait à travers l’excellente campagne de l’ONG CARE et leur vidéo virale Dear Daddy : lutter contre le sexisme ordinaire est l’affaire de tou·tes. Sauf qu’on ne porte pas tou·tes le poids des mêmes conséquences.
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Ce spot des Magasins U rappellent l’esprit de ceux déjà réalisés par la marque Always, autour des stéréotypes sur les filles, #CommeUneFille.
Cet été, la marque avait lancé la suite de cette initiative : « Comme une fille, rien ne t’arrête ».
Les Magasins U continuent donc dans cette nouvelle direction : faire de la publicité « dans le bon sens », celui qui permet à la société d’évoluer, et non de rester enfermée dans ses stéréotypes.
— Merci à Andy Berbille pour son tweet !
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Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
@thatsmathilde : je suis d'accord, l'éducation est importante. Mon petit cousin de 4 ans est éduqué "comme un vrai petit homme" (sic) par sa mère, ne reçoit que des cadeaux dits masculins, est encouragé quand il s'énerve jusqu'au moment où il devient vraiment trop casse-bonbons et où elle le menace de lui "en coller une s'il ne la ferme pas" (re-sic). Résultat, il commence déjà à rudoyer sa cousine d'un an de moins en braillant que les filles c'est nul. Je trouve ça d'une tristesse...