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Josée, le tigre et les poissons est le premier long métrage du réalisateur Kotaro Tamura, et c’est une vraie réussite. De quoi parle le film ? Kumiko, paraplégique (la moitié inférieure de son corps est paralysée) de naissance vit seule avec sa grand-mère surprotectrice ne lui offrant aucune autonomie. Il lui est interdit de sortir de chez elle, d’avoir un travail, ou de posséder un téléphone. Bref, Kumiko a 24 ans et son monde se résume à une prison dorée, de laquelle elle ne peut s’évader que grâce à ses dessins ou à la lecture.
Jusqu’au jour où Tsunéo entre dans sa vie. Cet étudiant sera payé par la grand-mère de Kumiko pour l’occuper. Il ne fera pas que ça, puisqu’il lui fera découvrir un éventail d’activités auxquelles elle n’avait jamais eu accès : le cinéma, la bibliothèque, les transports en commun et bien sûr l’océan… Les deux parcours de ces deux personnages sont extrêmement différents, et pourtant ils surmontent toutes leurs épreuves en croyant en leurs rêves.
C’est d’ailleurs la leçon principale du film : se donner les moyens de réaliser ses rêves, ne pas avoir peur de se jeter à l’eau lorsque les choses se concrétisent et bien sûr savoir s’entourer de personnes qui nous poussent vers le haut !
Savoir reconnaître son talent
Le rêve de Kumiko est de pouvoir vivre de ses dessins en devenant illustratrice à son compte. Justement nous avons eu la chance de nous entretenir avec une illustratrice dont le profil se rapproche beaucoup de Kumiko : Eléonore Despax. Cette dernière, illustratrice depuis 1999, est devenue paraplégique à la suite d’un accident survenu en 2001. Elle nous raconte :
« J’ai fait les arts décoratifs de Strasbourg dont j’ai été diplômé en 1999. J’ai commencé à travailler surtout dans le milieu parisien, en illustrant des magazines pour enfants ou des affiches de festivals. Puis j’ai eu un accident en 2001 qui a bouleversé ma vie, qui m’a conduite sur un fauteuil roulant comme le personnage de Kumiko.
C’est arrivé durant un festival : un arbre est tombé sur la foule, il y a eu plusieurs morts et blessés. De mon côté, je me suis retrouvée écrasée sous cet arbre en attendant les secours. L’une des branches de cet arbre m’a atteinte au cou, et j’ai eu cette hyper conscience de me dire « Si l’arbre me casse la vertèbre, je ne pourrais plus dessiner, et je deviendrai tétraplégique ». Il y avait une énorme différence avec la paraplégie ! Donc je me suis protégé le cou avec une autre branche. Je pense que ce réflexe m’a sauvé la vie !
Il a fallu que je réapprenne à vivre, j’ai été en centre de rééducation durant six mois sur la presqu’île de Giens (un très bel endroit) sur laquelle on m’a très vite rapporté mes carnets et mes crayons. Cela a été très important dans mon processus de guérison de pouvoir continuer à dessiner. Cela m’a permis de m’échapper de mon quotidien, je faisais toujours des dessins joyeux. »
« Reprendre le travail et rester autonome financièrement était un objectif »
Dans le film, Kumiko n’est pas indépendante financièrement, et ne peut donc pas se permettre de réclamer quoi que ce soit à sa grand-mère. Sa seule manière de protester est sa colère. Dans le cas d’Eléonore, la situation est très différente car elle était illustratrice avant de perdre l’usage de ses jambes :
« J’ai repris mon travail d’illustratrice assez vite finalement. Progressivement des gens qui me connaissaient et me faisaient confiance m’ont recontacté. J’ai la chance de faire un métier que l’on peut exercer chez soi et assise dans un cadre complètement adapté. Surtout qu’en 2021 tout se fait numériquement, je n’ai plus à faire le tour des éditeurs parisiens avec mon book sous le bras, comme j’ai pu le faire quand j’étais plus jeune. De plus, les salons littéraires sont de plus en plus accessibles.
Aujourd’hui j’ai un peu laissé tomber les éditeurs, je travaille davantage avec des galeries ou des collectionneurs sur des expositions plus personnelles dans toutes la France. Évidemment, lorsque je prépare une exposition, le côté logistique et agencement est plus compliqué. En fauteuil, la manutention est quasi-impossible, donc une aide humaine est indispensable (rires).
De plus, en étant en fauteuil, j’utilise beaucoup mes mains et mes bras, donc lorsque je dessine ou que je peins, je me fatigue beaucoup plus vite. J’ai des douleurs neurologiques, dûes à la rupture de la moelle épinière : les informations passent sous forme de douleurs, mais cela dépend des gens. »
« Mon quotidien inspire mes oeuvres »
« La dernière exposition sur laquelle j’ai travaillé, Carnet de voyage intérieur, a été présentée dans deux endroits, et j’y ai fait des ateliers que le personnel de la médiathèque m’a aidé à installer avec des adultes et des adolescents.
Cette exposition est composée de 17 grandes illustrations, dans lesquelles je mets en image mon parcours depuis mon accident jusqu’à ma sortie du centre de rééducation. Je pose sur le papier mes interrogations et les états émotionnels que j’ai pu traverser, en mélangeant réalisme et onirisme. »
En parlant d’onirisme, c’est justement c’est le rêve qui fait vivre Kumiko. Ses dessins sont inspirés de l’idée qu’elle se fait du monde sous-marin et de son imaginaire. À l’inverse, Eléonore est guidée dans ses œuvres par sa réalité.
« À partir de 2008, j’ai lancé un blog Les belles endormies qui parle de mon quotidien en fauteuil roulant, il m’a fallu huit ans pour pouvoir en parler. Le ton y est plutôt humoristique et très illustré.
Depuis quelque temps, je travaille sur un roman graphique qui relate mon histoire depuis mon accident. Par rapport aux deux précédents projets, ce roman sera beaucoup plus réaliste. J’y parle du quotidien, comment j’ai vécu le traumatisme de me retrouver à 25 ans sur un fauteuil, la vie après ça… Je viens de finir le brouillon, il fait environ 300 pages (rires). »
Le dessin m’a sauvé la vie
« Avec ce dernier projet, l’idée était de partager mon vécu en me disant que cela pouvait aider d’autres personnes. J’aurais adoré à 25 ans trouver un roman graphique, une bande dessinée ou un animé qui met en lumière la situation du handicap, mais je n’ai jamais rien vu dessus. Sinon beaucoup de romans, écrits par des personnes qui avaient eu des accidents, mais pour moi le roman graphique a un côté plus abordable. Il y a un effet thérapeutique, car mes états émotionnels ont beaucoup évolué depuis mon accident.
Aujourd’hui, j’ai fait le deuil de mes jambes, mais c’est un processus qui a pris du temps.
L’illustration est vraiment quelque chose qui m’a poussé vers le haut, je n’ai jamais envisagé d’arrêter. Cela m’apporte encore aujourd’hui une source de bien-être, donc c’était très important. En plus, lorsque j’étais en rééducation, j’ai rencontré des personnes qui ne pouvaient plus se servir de leurs mains, et je me suis rendue compte de la chance que j’avais.
Je n’ai jamais eu l’impression que des « portes m’étaient fermées », c’est le talent qui prime dans ce genre de profession. C’est mon expérience, mais le fait que je devienne handicapée ne m’a posé aucun problème pour retrouver des contrats. À l’inverse, les gens se sont intéressés à mon histoire, et ça les a touché.
Concernant les objets culturels destinés au grand public, je trouve qu’il y a un tournant depuis une quinzaine d’années. Surtout au cinéma, où auparavant les personnes en situation de handicap étaient souvent représentées comme frustrées, méchantes… C’était souvent mal traité, et très édulcoré… »
Dans Josée, le tigre est les poissons, le réalisateur met en lumière la difficulté d’une jeune fille handicapé à réussir à se socialiser. Son handicap est un frein pour aller vers les autres, elle a peur d’être rejetée, et elle en devient agressive. Le film montre également à quel point le personnage principal s’était accommodé de cette existence. Éléonore reprend :
« Au niveau de la mode, j’observe de plus en plus de diversité de corps, mais il y a encore trop peu de personnes en situation de handicap. C’est un peu dommage. Dans la même veine, il y a de plus en plus de documentaires sur le sujet. Le cinéma sort du lot, mais concernant les autres industries culturelles, ce sont encore les prémices. »
Eléonore me confie qu’elle est ravie qu’un film d’animation traite du sujet, et ait placé un personnage en situation de handicap au centre de l’histoire et pas de manière anecdotique. Plus de représentations pourront en aider beaucoup à se sentir exister, et non oubliés ou invisibilisés du monde culturel.
Le personnage de Kumiko s’est toujours considérée comme inadéquate à la société, de ce fait elle ne se sentait pas capable de faire face à quoi que ce soit. En rencontrant d’autres personnes de son âge, elle a pris conscience de tout un monde qui s’offrait à elle. Pour suivre tout son cheminement émotionnel, rendez-vous dès ce 16 juin dans les salles !
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Les Commentaires
Trop tard pour le voir au cinéma du coup