Publié initialement le 7 avril 2015
Edward Snowden, ce nom vous dit peut-être quelque chose… Ce jeune ho
mme a révélé l’ampleur de la surveillance domestique du gouvernement américain. Il travaillait pour la National Security Agency (NSA), jusqu’à ce qu’il décide de transmettre à des journalistes des documents confidentiels attestant de la surveillance orchestrée par le gouvernement américain sur ses propres citoyen•ne•s.
En d’autres termes, tout ce que les Américain•e•s s’envoient par e-mail, par SMS, par téléphone, est potentiellement intercepté et surveillé par la NSA, et ceci pour des raisons de sécurité nationale. Alors pourquoi pas : en temps de guerre, on a connu pires restrictions de liberté. Et après tout, il n’y a que ceux qui ont des choses à cacher que cette surveillance peut déranger, n’est-ce pas ?
Le problème c’est qu’en démocratie, ce n’est pas au gouvernement de décider unilatéralement ce qui est bon pour les citoyen•ne•s, et certainement pas à lui de rogner sur les libertés fondamentales sans leur consentement.
Edward Snowden a donc voulu rendre aux Américain••e•s ce dont le gouvernement les avait privé•e•s : l’opportunité d’avoir un débat sur la surveillance domestique, son échelle, sa nécessité, le compromis entre le respect de la vie privée et la sécurité nationale.
Mais comme l’explique John Oliver dans cette édition spéciale de Last Week Tonight, le débat ne semble pas avoir pris…
Le journaliste satirique est allé à la rencontre d’Edward Snowden à Moscou, afin de rendre la problématique de la surveillance globale menée par la NSA intelligible au commun des mortel•le•s, dans la seule langue que nous sommes tous et toutes capables de comprendre : qui peut voir nos photos de bites ?
La surveillance domestique du gouvernement américain : John Oliver face à Edward Snowden
– Retranscription et traduction de Last Week Tonight with John Oliver: Government Surveillance
« Notre sujet principal ce soir est la surveillance gouvernementale, et je réalise que la plupart des gens préfèreraient avoir une discussion à propos de littéralement n’importe quel autre sujet, incluant « est-ce que mon téléphone portable peut me donner un cancer ? » (dont la réponse est : « probablement oui »), ou encore « est-ce que les poissons rouges peuvent souffrir de dépression ? » (dont la réponse est : « probablement oui, mais brièvement »).
Mais le fait est qu’il est vital que nous ayons une conversation à propos de ce sujet maintenant, car une date importante se profile à l’horizon. »
Où l’on reparle du Patriot Act
Comme l’explique John Oliver, le 1er juin prochain, des sections controversées Patriot Act arrivent à échéance, et seront à nouveau débattues, pour savoir si elles doivent être maintenues ou non, et dans quelles conditions.
« Alors encadrez la date du 1er juin dans votre calendrier, et tant que vous y êtes, encadrez également le 2 juin, car c’est l’anniversaire de Justin Long, vous l’avez tous oublié l’année dernière, et il l’a remarqué.
Au cours des dernières années, vous avez probablement beaucoup entendu parler de programmes aux noms obscurs, tels que Keyscore, Muscular, Prism, Mystic — qui sont également, coïncidence, le nom des strip-clubs les moins populaires de Floride.
Mais si cela ne vous dérange pas, je voudrais vous rafraîchir la mémoire sur certains points des plus controversés du Patriot Act, et notamment la section 215. Et oui, j’ai bien conscience qu’on dirait le nom d’un boys band d’Europe de l’Est.
« On est la section 215, préparez-vous à avoir le cœur en miettes ! »
Il y a celui qui est mignon, le bad boy, celui qui a étranglé un fermier-cultiveur de patates, et celui qui n’a pas de carence en fer. Ils sont incroyables !
Mais le contenu de la section 215 est autrement plus sinistre. »
Section 215, le « chèque en blanc » du Patriot Act
« Le surnom de la section 215 est : « l’accès à la réserve de la bibliothèque », qui donne au gouvernement l’autorisation d’exiger des entreprises qu’elles transmettent, je cite, « toutes choses pertinentes », incluant des livres, des notes, et tout autres objets.
Si ça vous semble vague, c’est parce que la loi a été écrite ainsi. Le gouvernement peut effectivement demander « toutes choses pertinentes dans le cadre d’une enquête relative à la lutte contre le terrorisme international ».
Ce qui revient à signer un chèque en blanc ! Ce serait comme prêter une voiture un adolescent, en lui laissant l’autorisation de l’utiliser tant que c’est « relatif à l’usage d’une voiture »? OK, papa et maman, je vais utiliser ça pour aller me faire branler sur un parking de Mc Donald’s, mais c’est relatif à l’usage de la voiture, donc je suis couvert !
La mise en application de la section 215 est supervisée par la FISA Court, qui l’a interprétée de manière à ce que le gouvernement puisse virtuellement avoir accès aux enregistrements téléphoniques et aux communications de n’importe quel•le citoyen•ne américain•e, sans que bien sûr il ou elle en soit informé•e, et sans que cette activité n’ait aucun rapport avec le terrorisme.
Ou alors, la tante Cheryl a grandement sous-estimé les activités de son club de tricot. C’est une cellule dormante, n’est-ce pas tante Cheryl ? Tu es une menteuse et une traîtresse, tu seras pendue pour ça ! Tu es une tante affreuse et une terroriste, mais pas dans cet ordre !
Le gouvernement répondrait que sous la section 215, il conserve les fadettes (les factures de téléphone qui montrent les appels émis et reçus), et non le contenu de ces appels en eux-mêmes. C’est ce qu’explique le président Barack Obama en conférence de presse.
D’accord, mais ce n’est pas vraiment rassurant, car vous pouvez extrapoler énormément d’informations simplement en analysant les factures de téléphone, à partir des appels émis, reçus et de leur durée.
S’ils savaient par exemple que vous avez appelé votre ex hier soir, entre une heure et quatre heures du matin, plusieurs fois, pendant une durée moyenne de 15 minutes, ils pourraient en déduire que vous avez laissé des messages plutôt pathétiques.
« Je me fiche de savoir qui écoute la conversation Vicky, nous sommes faits l’un pour l’autre, alors décroche ce téléphone, je suis un être humain, pas un animal ! »
Le Patriot Act a été mis en place suite au 11 septembre, et depuis, son renouvellement a fait l’objet de si peu de discussions que voici comment en 2011, les journalistes ont relaté sa reconduction : en mentionnant la formation comme une brève, à la fin d’un reportage sur un déplacement du président à l’étranger.
« Également en France, au fait, le président Obama a reconduit le Patriot Act pour une durée de quatre ans ».
« Également en France, au fait ? » Au fait ? Il a balancé ça comme une mère annonçant à sa fille que son animal de compagnie est mort. « Ça fait plaisir de te parler ma chérie, également, au fait, Moustache est mort ! On se voit à Noël, bisous ! »
Mais tout ça s’est produit avant que le grand public n’ait conscience des capacités de surveillance du gouvernement. Cette insouciance a pris fin en juin 2013.
« Nous n’avons plus le luxe de plaider l’ignorance »
Edward Snowden est responsable de la plus grande fuite d’informations gouvernementales dans l’histoire des États-Unis.
« La NSA a la capacité de collecter et de conserver des données personnelles, et des conversations privées, de millions d’Américains. »
« La NSA espionne les dirigeants du monde. »
« Si vous avez déjà passé des vacances aux Bahamas, vos conversations téléphoniques ont sans doute été enregistrées et conservées par la NSA pendant un mois ! »
Toutes ces informations ont pu être extraites par Edward Snowden, et il est préoccupant qu’un opérateur de 29 ans ait pu subtiliser autant de documents au sein d’une agence qui a littéralement le terme sécurité dans son nom.
Edward Snowden mesdames et messieurs, qui fait trembler l’administration Obama
Et clairement, cela ne leur fait pas une bonne publicité. Car le seul autre endroit où il devrait être aussi facile pour des jeunes de 20 ans de voler quelque chose, c’est dans un magasin Lids.
« Mec, tu crois que je peux prendre ça ? Relax mec, c’est juste une casquette, on ne vend pas des oeufs de Fabergé ici ! »
On ne sait toujours pas exactement combien de document Edward Snowden a réussi à voler, bien qu’il essaye de nous rassurer en répétant qu’il les a mis entre de bonnes mains :
« Honnêtement, je ne veux pas être celui qui décide ce qui doit être publié, et ce qui ne doit pas l’être. C’est pourquoi, au lieu de publier ces documents moi-même, ou de les mettre à disposition du public, j’ai choisi de les remettre à des journalistes. »
Cela part d’une bonne intention, mais ce plan n’est pas infaillible, comme l’a démontré le Times, en publiant cette diapositive mal censurée. Des personnes ont réussi à lire ce qui était censé avoir été recouvert de noir, et identifié que le gouvernement américain effectuait des surveillances d’un groupe terroriste lié à Al Qaïda dans la région de Mossoul, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de ISIS (Daech, l’État Islamique).
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Donc en résumé, un secret gouvernemental a été révélé au grand public parce que personne dans l’équipe du Times ne sait utiliser Microsoft Paint.
Écoutez, vous pouvez penser que Edward Snowden est un criminel, un traître, qu’il n’aurait jamais dû faire ce qu’il a fait, mais le fait est qu’il l’a fait. Et désormais, nous sommes tous au courant que cette surveillance existe. Nous n’avons plus le luxe de plaider l’ignorance.
C’est pareil pour Seaworld, vous ne pouvez plus y aller et vous convaincre que Willy est heureux dans son bassin, maintenant que vous savez que la moitié de cette eau est constituée de ses larmes. Vous ne pouvez plus l’ignorer.
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Mais voilà, cela fait plus de deux ans, on dirait bien que nous avons oublié d’avoir un débat à propos de toutes les informations que Snowden a révélées. Un récent sondage a démontré que près de la moitié des Américain•e•s se disent pas très concerné•e•s, ou pas du tout concernés par la surveillance du gouvernement. Si cette opinion est formée à partir de toutes les informations dont nous disposons, très bien, mais je ne suis pas certain que cela soit le cas.
Nous avons envoyé une équipe interroger les passants à Time Square, pour leur demander qui est Edward Snowden, et qu’est-ce qu’il a fait. Voici les réponses que nous avons eues.
« Aucun des passants interrogés n’a su replacer l’employé de la NSA, ni associé son nom à ses actes. »
OK alors voilà le topo : Edward Snowden n’est pas le mec de Wikileaks. C’est Julian Assange, et vous ne voulez pas le confondre avec ce mec, en partie parce qu’il a été beaucoup moins précautionneux que Edward Snowden lorsqu’il a révélé des informations classées secret défense, mais également parce qu’il ressemble à un sachet de pain brioché avec une perruque.
Julian Assange n’est pas un type sympathique, et même Benedict Cumberbatch n’a pas réussi à le rendre sympathique, en interprétant son rôle dans Le cinquième pouvoir. Il est un-cumberbatchable, ce qui était supposé être physiquement impossible.
Mais je n’en veux pas aux gens qui ont du mal à saisir l’importance du sujet : voilà des semaines qu’on en parle, et qu’on essaie de trouver un angle qui permette d’expliquer ce qui reste un programme extrêmement compliqué… mais également parce qu’il n’y a pas de réponse simple aux questions qu’il soulève.
Nous voulons tous le respect de notre vie privée d’un côté, et une sécurité infaillible de l’autre. Mais ces deux éléments ne peuvent pas coexister. C’est comme si on voulait avoir d’un côté un faucon de compagnie, et un chinchilla. Les deux ne peuvent pas coexister pacifiquement. Il faut forcément un certain niveau de contrôle imputé à l’un et à l’autre !
La NSA répond que juste parce qu’elle a le pouvoir de faire quelque chose, cela ne veut pas dire qu’elle le fasse. Elle répondrait qu’il existe effectivement un niveau de contrôle sur ses activités, comme par exemple la FISA Court, qui doit approuver les demandes de surveillance.
Sauf qu’entre 1979 et 2013, cette commission a approuvé plus de 35 000 demandes de surveillance, et rejeté seulement 12. Alors peut-être qu’il est temps pour nous de parler des limites, et d’où elles devraient être posées.
Commençons donc par cette fameuse section 215, qu’il apparaît nécessaire de modifier. L’auteur de cette section lui-même s’est exprimé pour désapprouver l’interprétation et l’usage qui avait été faits de son texte.
C’est un peu comme si Lewis Carroll revenait d’entre les morts pour désavouer l’attraction des soucoupes tournantes à Disneyland : arrêtez les gars, vous avez complètement dénaturé mon délire psychédélique pédophile pour en faire un manège qui fait vomir ! Arrêtez-moi ça tout de suite !
Et même la NSA a reconnu que cette surveillance de masse n’a permis de déjouer qu’un seul complot terroriste. Il me semble important de mentionner que cette affaire était extrêmement mal organisée, puisqu’il s’agissait d’un conducteur de taxi de San Diego qui a remis 8500$ à une branche d’Al Qaïda en Somalie. C’est probablement le scénario terroriste le plus nul depuis le film A Good Day to Die Hard.
Le problème c’est que si nous ne parvenons pas à modifier le contenu de la section 215, rien d’autre ne pourra avoir d’incidence sur l’application du Patriot Act, et jusqu’à présent, le débat public sur cette question a été proprement pathétique.
« Il y a un an, alors qu’une députée s’exprimait sur le sujet, elle a été coupée pendant son intervention pour… Un flash info en direct du tribunal où Justin Bieber venait d’être présenté au juge.
[John Oliver interrompt alors cet éminent reportage sur l’arrestation de la pop star, pour la diffusion quasi exclusive d’une vidéo YouTube montrant une tortue ayant un rapport sexuel avec une sandale en plastique.] »
Je sais que ce n’est pas un sujet facile, mais encore une fois, il est absolument nécessaire que nous en parlions. Le problème, c’est que la seule personne avec laquelle il faudrait avoir cette discussion, c’est Edward Snowden lui-même, et il est actuellement en exil en Russie. Ce qui veut dire que pour lui poser des questions au sujet de la section 215 et de la NSA, il faudrait en passer par un vol de 10 heures qui n’a vraiment rien de plaisant.
Je le sais parce que je suis allé en Russie, et voici ce qu’il s’est passé.
John Oliver prend le journalisme sérieusement (contrairement aux apparences)
John Oliver face à Edward Snowden, le lanceur d’alerte de la NSA
Après plus d’une heure d’attente, Edward Snowden est finalement arrivé dans la chambre d’hôtel où il devait rencontrer John Oliver pour une interview exclusive.
Voici une retranscription la plus fidèle possible des échanges que les deux hommes ont eu.
– À quel point l’Amérique vous manque-t-elle ? – L’Amérique est mon pays d’origine, mais ce n’est pas seulement une origine géographique… – Cette réponse déjà beaucoup trop compliquée, la bonne réponse est : elle me manque énormément, c’est le plus beau pays du monde. – Oui, effectivement elle me manque beaucoup. Mon pays me manque, ma famille me manque. – Est-ce que les chaussons goût pizza micro-ondables vous manquent ? – Oui, ils me manquent beaucoup. – Et l’État de Floride ? – … – OK laissons ça de côté. Les truck nuts ? – Je ne sais pas ce que c’est.
[NDLR : j’aurais préféré l’ignorer plus longtemps, mais les « truck nuts » sont exactement ce qu’on dirait qu’elles sont : des couilles en plastiques pour camions et pick ups, histoire que la métaphore de la virilité soit complète.]
– Ce sont deux boules de libertés dans un drapeau américain ! – Woah, avez vraiment bien prévu le coup. – L’un de nous a bien prévu son coup… Par rapport au cauchemar kafkaïen dans lequel vous êtes actuellement… OK, commençons : pourquoi avez-vous fait ça ? – La NSA a la plus grande capacité de surveillance dans l’histoire des États-Unis. Ils répondraient qu’ils n’utilisent pas ce pouvoir à mauvais escient. Et il y a une part de vérité. Mais le problème, c’est qu’ils utilisent leur pouvoir pour nous rendre vulnérables à leur pouvoir. Cela revient à dire : « je pointe un fusil sur votre tête, mais je ne vais pas l’utiliser ! Faites-moi confiance ». – À quoi ressemblerait la NSA que vous voudriez voir ? Parce que vous avez postulé pour avoir un job dans cette agence, c’est donc que vous voyez une utilité dans cette organisation de l’ombre controversée. – J’ai utilisé les outils de surveillance de masse contre nos ennemis, contre des pirates informatiques chinois par exemple. – Et vous voulez que vos espions soient doués pour espionner, pour être honnête. – Absolument, mais ce que vous ne voulez pas, c’est qu’ils espionnent à l’intérieur de votre propre pays. On aime les espions qui sont dans notre camp, nous ne devons jamais oublier qu’ils sont extrêmement puissants, et lorsqu’ils sont lâchés dans la nature, ils peuvent se retourner contre nous. – Pour être bien clair, on est en train de parler de deux choses complètement différentes : la surveillance domestique, et la surveillance à l’étranger. Parce que la surveillance domestique, les Américain•e•s s’y intéressent modérément. La surveillance à l’étranger, ils et elles n’en ont absolument rien à carrer. – En parlant de surveillance à l’étranger, on doit se demander si la façon dont elle est menée est efficace… – Non, non personne n’en a rien à carrer. – On a espionné l’Unicef, le fonds de protection de l’enfance. – Mouais. OK. – On espionnait des avocats,… – Qu’est-ce que faisait l’Unicef ? C’est la vraie question, n’est-ce pas ? – La question, c’est parce que ces programmes ont un intérêt ? Sommes-nous plus en sécurité en espionnant l’Unicef, ou des avocats qui discutent des prix des crevettes et des vêtements ? – Je ne crois pas que les gens se diront « c’est bien », je pense qu’ils se diront « j’en ai vraiment absolument rien à foutre ». Les Américain•e•s se moquent complètement de la surveillance à l’étranger. – Je crois que vous avez raison.
Ce dont les Américain•e•s se préoccupent, c’est de savoir si Edward Snowden avait conscience de la gravité de ses actes en rendant public les milliers de documents qu’il a volés à la NSA.
Où Edward Snowden revient sur ses motivations…
– Combien de ces documents avez-vous réellement lus ? – J’ai évalué l’intégralité du contenu de ces archives. – Vous les avez tous lus ? – Je comprends tous les documents que j’ai récupérés. – Il y a une différence entre comprendre ce qu’il y a dans le document, et lire le document. – Je comprends votre préoccupation. – Parce que quand vous récupérez des milliers de documents de la NSA, la dernière chose dont vous avez envie, c’est de les lire. – Oui, effectivement je comprends que vous soyez inquiets, et que vous demandiez si je prends toutes les précautions nécessaires pour éviter de causer du tort aux citoyen•ne•s américain•e•s. Pour ma défense, ce n’est plus moi qui manipule ces documents, je le fais en collaboration avec des journalistes, afin de m’assurer qu’ils soient traités de la façon la plus responsable possible. – Mais ces journalistes ont une compétence technique inférieure à la vôtre. – Mais ils comprennent à quel point il est important que nous ayons cette conversation, tout comme vous et moi. – Par exemple, il y a eu ce problème avec le Times, qui a publié une diapositive mal censurée, ainsi tout le monde pouvait lire que le gouvernement effectuait de la surveillance à Mossoul. – C’est un problème. – C’est grave ! – C’est grave, et nous devons accepter qu’avec des journalistes, il y aura des erreurs. C’est un concept fondamental de la liberté et de la démocratie : lorsqu’on est libre, on n’est pas totalement en sécurité. – D’accord, mais vous devez accepter votre responsabilité pour ces problèmes : vous avez en votre possession des documents qui peuvent causer des problèmes graves s’ils sont publiés en l’état. – Oui, si des gens mal intentionnés… – Non, je parle simplement d’incompétence ! – Oui, mais vous ne serez jamais complètement protégés du risque tant que vous êtes libres. Le seul cas de figure dans lequel vous êtes intégralement protégés contre tout risque, c’est lorsque vous êtes en prison.
Les risques sont indéniables, mais Edward Snowden lui-même juge que ses actions valaient cette prise de risque.
– Vous avez dit dans une interview que votre motivation était que les gens ont le droit de savoir dans quel monde ils vivent, et que votre plus grande peur était que personne n’écoute votre avertissement. Vous avez dit : « jamais je n’ai été à ce point ravi d’avoir eu tort ». Comment vous sentiez-vous ? – Au départ, j’avais peur que cette affaire ne fasse la une que pendant quelques jours, et qu’on finisse par oublier très vite tout ce qui s’était passé. Mais lorsque j’ai vu, que partout dans le monde, les gens disaient « c’est un problème, il faut que nous nous en occupions », j’ai senti une forme de revanche. – Même aux États-Unis ? – Oui, même aux États-Unis. Je pense que si on demande aux citoyens américains de prendre des décisions difficiles, ils peuvent vous surprendre.
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À ce moment, John Oliver en profite pour montrer à Edward Snowden le résultat de son micro trottoir à Times Square, et prouve que peu de gens sont capables de replacer le scandale de la NSA…
– Voyons le bon côté des choses : vous pouvez probablement revenir aux États-Unis, puisque personne n’a l’air d’avoir la moindre idée de qui vous êtes. Pourquoi avez-vous fait ça, pour résoudre un problème ? – J’ai fait ça pour donner aux Américains le choix, de décider quel genre de gouvernement ils veulent avoir. Il me semble que c’est une conversation, une décision qui revient aux citoyens américains. – Il n’y a aucun doute que cette discussion est essentielle. La question est : avons-nous les capacités d’avoir cette discussion ? Parce que c’est tellement compliqué, que fondamentalement, on n’y comprend pas grand-chose ! – La situation est compliquée, c’est vrai que pour comprendre le problème, il faut se représenter tous les niveaux qui sont invisibles au grand public : les fournisseurs d’accès, les techniciens, les opérateurs, les numéros de téléphone… – OK ok ok, je vais vous arrêter là Edward, puisque voilà le problème : on ne comprend rien à ce que vous racontez. C’est comme lorsque le technicien de l’informatique débarque dans votre bureau, et vous vous dites merde, non non, ne m’explique pas le problème, règle-le et laisse-moi tranquille. – C’est un vrai challenge : comment expliquer au grand public, expliquer des concepts qui ont demandé des années d’expérience avant d’être maîtrisés, comment comprimer ceci en quelques secondes d’expression orale. – Le truc, c’est que tout ce que vous avez fait n’a d’importance que si on arrive à avoir cette discussion, ce débat public. Alors laissez-moi vous filer un coup de main. Vous avez dit dans une interview que la NSA faisait passer des photos nues des gens.
Où l’on parle de pénis…
– Oui, c’est quelque chose qui n’est pas perçu comme étant « grave », dans la culture de la NSA, parce que vous voyez des photos nues tout le temps. – Ça, ça terrifie les gens. Et quand vous demandez aux gens ce qu’ils en pensent, voici les réactions que vous avez.
John Oliver montre une nouvelle séquence en micro trottoir, toujours filmée à Times Square, la question suivante posée aux mêmes passants que dans les précédentes vidéos. Cette fois-ci, le journaliste leur demande ce qu’ils pensent du fait que le gouvernement voit leurs photos nues, ou plus précisément des photos de leur pénis.
Leur réaction est bien plus préoccupée : oui, si le gouvernement a accès aux photos de mon pénis que j’envoie à ma petite amie, alors là c’est un problème.
Notons au passage que cette séquence est sans doute la meilleure « dick joke » (littéralement « blague de bite ») de toute l’histoire, en plus d’être d’utilité publique. Avec le cas concret d’une photo de pénis, les Américain•e•s interrogé•e•s saisissent immédiatement l’étendue de la surveillance massive menée par la NSA, en quoi cette surveillance porte atteinte au respect de leur vie privée, et interrogent immédiatement la pertinence d’une telle surveillance.
– Alors, la bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas effectivement de programme nommé « dick pic’ program », la mauvaise nouvelle, c’est que le gouvernement procède toujours à la collecte massive de vos informations personnelles, et oui, ceci inclut les photos de vos pénis. – Cette ligne tracée dans le sable est la plus visible pour les citoyens américains : peuvent-ils voir mon pénis ? Donc, en ayant cette question à l’esprit, regarder intérieur de cette chemise.
C’est une photo de mon pénis. Donc faisons l’inventaire de tous les programmes de surveillance de la NSA, et dites-moi si oui ou non ils peuvent voir cette photo.
Alors : surveillance 702. Peuvent-ils voir mon pénis ?
– Oui, la surveillance 702 est contrôlée par la commission FISA, qui permet la collecte de toutes les données qui transitent par Internet. Il suffit que l’e-mail contenant la photo de votre pénis ait transité par un serveur situé à l’étranger, et la NSA l’intercepte. Donc par exemple, il suffit que vous ayez un compte Gmail, et que votre e-mail passe par un serveur situé à l’étranger, pour que votre pénis finisse dans la base de données. – Je n’ai pas besoin de l’envoyer à un allemand ? – Non, même si vous l’envoyez à quelqu’un situé aux États-Unis, votre communication privée entre vous et votre femme peut transiter jusqu’à Londres, et revenir sur le territoire américain. – Le décret 12333 : pénis or not pénis ? – Oui. Ce décret est utilisé par la NSA lorsque les autres agences ne sont pas assez efficaces dans la collecte de données. – Mais comment vont-ils avoir accès à mon pénis ? Ma seule préoccupation est mon pénis. – Lorsque vous envoyez une photo de votre pénis à travers Gmail, par exemple, cette photo est stockée sur leur serveur. Google déplace ensuite les données d’un serveur à l’autre, sans que vous le sachiez. Vos données peuvent être déplacées à l’étranger, en dehors des frontières américaines, sans que vous ne le sachiez. Lorsque votre paquet a été déplacé par Gmail, la NSA en a eu une copie. – Prism ? – Prism est la manière dont ils récupèrent la photo de votre paquet depuis Google, grâce à l’aide de Google. Le gouvernement délègue cette autorité aux partenaires de Prism (Google, Facebook, Yahoo…) pour qu’ils récupèrent et transmettent les données personnelles. Ils sont en quelque sorte les « shérifs » du gouvernement. – Upstream ? – Oui. C’est par Upstream qu’ils attrapent les photos de votre paquet, lorsqu’elles circulent sur Internet. – Mystic ? – Si vous avez décrit votre paquet au téléphone, Mystic l’a probablement enregistré. – Ont-ils le contenu de cet appel, ou simplement les numéros et la durée ? – Ils ont aussi le contenu, mais pour certains pays seulement. Si vous étiez en vacances aux Bahamas, oui. – 215 métadonnées ? – Non, mais ils peuvent probablement savoir à qui vous envoyez des photos de votre paquet, puisqu’ils voient à qui vous envoyez des SMS et qui vous appelez. -Si vous appeliez un centre d’élargissement du pénis à deux heures du matin, auraient-ils le contenu de cet appel ? – Ils verraient votre numéro, le numéro du centre d’élargissement du pénis, et ils sauraient que c’est un centre d’élargissement du pénis, car il suffirait de faire une petite recherche pour l’apprendre. – Edward, si les citoyens américains comprenaient cette situation, ils seraient horrifiés. – Je n’avais jamais pensé à l’expliquer en prenant votre pénis comme exemple. – Est-ce qu’une conclusion temporaire pourrait être, tant que nous n’avons pas résolu cette situation : ne prenez pas de photo de votre paquet ? – Non ! – Vous dites non ? nous devrions continuer à prendre des photos de nos pénis ? – Oui, vous ne devriez pas avoir à changer de comportement parce qu’une agence gouvernementale se comporte mal. Si nous sacrifions des valeurs parce que nous avons peur, c’est que nous n’accordons pas suffisamment d’importance à ces valeurs. – C’est une réponse bien inspirante à la question « hey, pourquoi tu m’envoies une photo de ta bite ? » : parce que j’aime les États-Unis, voilà pourquoi !
Alors voilà, maintenant, nous avons tous les outils pour avoir cette discussion importante à propos du Patriot Act. Parce que nous ne voulons pas vivre dans un pays régulé par des shérifs de la bite.
John Oliver conclut son entretien avec Edward Snowden en lui offrant un Oscar en chocolat, en référence au documentaire Citizenfour qui a remporté l’Oscar du meilleur documentaire en 2015. Et l’animateur de lui demander quelles sont ses chances de revenir en Amérique en toute sécurité, après avoir rencontré le traître le plus célèbre des États-Unis…
– Eh bien si vous n’étiez sur aucune liste avant, je peux vous assurer que vous en faites partie maintenant. – Vous… vous plaisantez, ou est-ce que vous êtes sérieux ? – Non, c’est très sérieux, vous avez été associé à un fugitif.
Le magnifique « Oh shit » moment de John Oliver
« OK, alors juste pour mettre les points sur les i la NSA, je n’ai jamais rencontré ce type, alors effacez-moi de votre liste ! Je n’ai aucune envie de rester coincé en Russie !
Pour terminer, nous avons contacté la NSA et la Maison-Blanche pour leur demander des commentaires à propos des capacités de filtrage et de stockage des photos de pénis, ce qui a donné lieu à l’écriture de passionnants e-mails à des agences gouvernementales… Ils n’ont pas souhaité apporter de réponse officielle, ce que je peux comprendre pour plusieurs raisons. »
Les Américain•e•s peuvent continuer à s’informer sur l’étendue du Patriot Act et les pouvoirs conférés à la NSA et autres agences gouvernementales sous la section 215 grâce au très pratique site Internet « Can They See My Dick ? ».
Amen, John Oliver, amen.
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Les Commentaires
Après on peut regretter l'aspect comique de l'émission mais là encore je ne suis pas de cet avis : c'est parce qu'elle est drôle qu'elle a autant d'audience. Et je trouve cet exemple des photos de pénis très parlant et efficace. On comprend tout de suite le problème.