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Culture

« Jo », cowgirl et héroïne badass d’un webcomic — Interview des créatrices

Soyouz et JackPot ont créé Jo, un webcomic entre le western et la science-fiction qui fait plaisir à lire !

Jo, c’est une cowgirl de caractère, héroïne d’un webcomic délirant et prenant, rempli de personnages aussi dingues qu’attachants. Entre histoires de vengeances, vaches surnaturelles, aliens et boîtes de haricots, la vie de Jo (et celle de sa stagiaire Alex) n’est pas de tout repos !

Est-il utile de dire que je vous recommande chaudement ce webcomic ? Le dessin très efficace et expressif de JackPot sert à merveille les histoires absurdes mais toujours cohérentes et bien pensées de Soyouz. Les personnages, fort variés, sont bien campés et l’intrigue, sous des dehors convenus de western avec poses et bonnes répliques, ménage pas mal de surprise. En prime, les créatrices de ce petit bijou ont accepté de répondre à mes questions… alors en selle !

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  • Pourriez-vous vous présenter et présenter votre travail ?

Soyouz — Bonjour, bonjour, je suis Soyouz, j’ai 31 ans et je me passionne pour énormément de choses dans la vie, de la conquête spatiale à l’évolution, en passant par les sectes et la zététique. Dans la vie, j’ai fait plein de choses un peu différentes comme animatrice graphiste dans le casual game, directrice artistique dans la pub et dessinatrice textile. Je cherche en ce moment à faire carrière dans l’animation en tant que storyboardeuse et/ou scénariste.

Jo est le premier webcomic que je fais en collaboration avec quelqu’un, et la première BD sur laquelle je travaille exclusivement au scénario, faisant généralement les deux pour des BD que j’ai réalisées seule ou avec d’autres comparses, notamment dans le fanzinat. J’ai d’ailleurs fondé The Ziggies on Mars avec une amie ; c’est un collectif via lequel nous faisons des BD à quatre mains, avec un mode de travail très différent de ma collaboration avec Jackpot sur Jo.

JackPot — Bonjour ! J’ai 31 ans et je suis dessinatrice professionnelle. Je travaille en tant qu’intermittente du spectacle dans le dessin animé, j’ai occupé principalement des postes d’animatrice sur plusieurs séries comme Gaston ou Molusco avant de me tourner vers le storyboard, mon job actuel. Depuis juillet 2013, avec Soyouz au scénario, nous publions au rythme d’un strip/épisode toutes les deux semaines notre webcomic, Jo.

  • Comment en êtes-vous venues à vous lancer dans Jo ?

JackPot — J’ai créé le personnage de Jo il y a trèèèès longtemps, en 2002 ! À l’époque, l’histoire était complètement différente de celle d’aujourd’hui : Jo n’était pas une cowgirl badass mais une Française contemporaine vivant oisivement à la campagne… Pour diverses raisons, j’ai abandonné ce projet à l’état d’embryon au fond de mes tiroirs.

Ce n’est qu’en 2011 que le personnage est subitement réapparu sous mon crayon en version cowgirl, alors que je réalisais bizarrement que j’avais toujours adoré le western sans jamais avoir dessiné quoi que ce soit en rapport avec ce genre. J’ai continué à la dessiner juste pour le plaisir, et les idées sont arrivées d’elles-mêmes, petit à petit. En 2012, j’avais en tête le principe du ranch convoité de toutes parts et des vaches aux pouvoirs débiles, mais le scénario n’étant pas mon point fort, j’ai commencé à envisager la possibilité de trouver quelqu’un avec qui  bosser pour en faire un webcomic.

J’ai finalement proposé le projet à Soyouz, que je connaissais depuis quelques années via le fanzinat, et qui avait elle-même de l’expérience dans le webcomic (The Cockroach, Inc). Elle a répondu aussitôt positivement, et nous nous sommes embarquées dans l’aventure sans nous poser plus de questions.

Soyouz — Jackpot, que je connaissais déjà depuis plusieurs années via le fanzinat, est venue avec son idée de projet sous le bras pour me demander si j’étais intéressée. Ça faisait un moment qu’elle parlait de faire quelque chose de son personnage, Jo, et j’ai été très vite emballée par le pitch. Les premières idées sont venues assez rapidement ; après plusieurs semaines de travail dessus, nous avons lancé le premier strip !

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  • Comment s’organise votre travail à deux ? 

Soyouz — De manière assez classique, j’imagine. Quand on a commencé à plancher sur Jo en 2013, on a lancé pas mal de pistes qu’on pourrait exploiter plus tard, ce qui a donné un bon terreau dans lequel on puise encore maintenant. On décide à deux des thèmes et des problématiques de l’arc en cours et mon travail est de trouver des péripéties à faire vivre à nos personnages pour arriver au but qu’on a fixé.

Jackpot a évidement son mot à dire, et généralement on commence un jeu de ping pong pour affiner, modifier ou parfois tout reprendre pour tisser un canevas qui nous satisfait. C’est un travail qui peut être long mais c’est extrêmement gratifiant quand toutes les pièces qu’on essaye de placer tombent correctement à la fin !

JackPot — Soyouz m’envoie le scénario sous forme d’un texte en prose, avec éventuellement des indications de cadrage ou de mise en scène. Je commence par faire un « prédécoupage », c’est-à-dire une version du strip très succincte en bonshommes-patates, que j’envoie à Soyouz pour validation. On se met d’accord sur les éventuelles modifs et puis je retrousse mes manches et je dessine tout de A à Z. On publie le strip sur Internet et on enchaîne sur le suivant !

  • Vous avez déjà fait du webcomic, du fanzinat… qu’est-ce qui vous plaît dans ces univers ?

Soyouz — Pour ma part, j’ai déjà fait un webcomic, The Cockroach, Inc., pendant six ans et je fais du fanzinat depuis onze ans. Les deux expériences sont très différentes même si en ce qui me concerne ont des liens étroits.

The Cockroach, Inc., bien que posté sur Internet, a connu des versions papier avec des BD inédites, des parodies, des illustrations et fanfics de guests, ce qui m’a permis de rencontrer le public du webcomic en salon (genre Japan Expo). Les retours sont très différents entre les deux, le webcomic permet une réaction immédiate des personnes les plus motivées et en salon, j’aime bien demander comment les gens sont venus à lire le webcomic. Beaucoup me disent :

« Je ne laisse jamais de commentaire parce que je ne sais pas quoi dire. »

Ce à quoi je réponds toujours invariablement :

« Même un petit mot pour dire que vous avez aimé fait toujours plaisir ! »

Il est aussi très amusant de voir la différence du public en fonction des thèmes que l’on aborde dans ses BD. J’ai pu constater une grande différence entre le public de Cockroach et celui de Jo, c’est très amusant !

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Que ce soit le webcomic ou le fanzinat, ce qui me plaît le plus est la liberté avec laquelle on peut raconter des histoires. On peut nuancer ce propos par le fait que notre visibilité est très restreinte et qu’on peut très vite manquer de moyens (temps et argent), mais le simple fait de pouvoir « le faire soi-même » sans avoir à dépendre d’un éditeur me satisfait pour le moment.

JackPot — À l’époque reculée où j’ai commencé le fanzinat, la démocratisation d’Internet n’en était qu’à ses débuts et l’autopublication à grand frais de photocopies et d’agrafes était le seul moyen de faire connaître son travail d’amateur à un très petit public de niche, via les conventions comme BD Expo, Cartoonist et plus tard Japan Expo. Puis Internet s’est incontestablement imposé comme le moyen le plus simple et efficace de diffuser son travail personnel en totale liberté artistique.

Le média webcomic m’est apparu comme allant de soi pour Jo : affranchi du papier, il offre une infinité de possibilités narratives, la liberté de format, le contact en direct avec le public (à l’international !) qui nous apporte beaucoup aussi bien en termes de motivation que pour améliorer l’écriture ou le déroulement de l’histoire… bref : tous les avantages de l’autodiffusion sans le moindre inconvénient financier ou matériel du fanzinat.

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  • Vous tirez vraiment parti du format webcomic avec un découpage en bandes très particulier adapté à une lecture en ligne. Comment vous est venue cette idée ?

Soyouz — Déjà, merci beaucoup ! Mon précédent webcomic était ainsi fait et je n’en revendique pas du tout la maternité. À vrai dire, je ne sais plus trop comment j’ai eu l’idée ; je crois qu’à la base, j’étais partie pour faire des yonkoma

, ces strips japonais en 4 cases. Ayant une formation en animation 2D, le format très proche du cinéma est venu naturellement. Le scénario se complexifiant, les strips se sont mis à faire bien plus que quatre cases.

Ça marchait très bien sur un écran d’ordinateur et ça rendait mon webcomic impossible à adapter en version papier, ce que je souhaitais. Ce format s’est imposé de lui-même à Jo via la volonté de JackPot, ce qui correspond très bien à l’histoire que nous racontons.

JackPot — Le format « colonne de cases » tout en hauteur, affranchi du découpage en planches de la BD papier, est assez courant dans le webcomic (c’est le cas notamment d’une forme de webcomic coréen appelé le webtoon). Pour Jo, nous avons opté pour ce format instinctivement, d’une part car il est confortable à la lecture car prenant appui sur le défilement vertical de l’écran, d’autre part car il permet une narration assez cinématographique, la succession des cases de même format recréant plutôt fidèlement l’enchaînement des plans dans un film. Ce qui était doublement indiqué pour Jo étant donné qu’il s’agit d’un western (d’où le format des cases pour rappeler le format très étiré de ces films), et aussi parce que travaillant dans le dessin animé, j’ai été formée à la narration cinématographique.

C’était donc tout simplement plus facile d’accès pour moi au départ, mais rien ne nous empêche de faire évoluer le format si le besoin s’en fait sentir, c’est aussi un des énormes avantages du webcomic !

Par ailleurs, Jo est également publié sous une forme légèrement différente sur le site du collectif Spunch Comics, où le principe de succession des cases est poussé encore plus dans le sens du défilement cinématographique. En plus d’être très confortable à la lecture sur écran, cela renforce beaucoup d’intentions de mise en scène qui ne seraient pas possibles avec un format « classique ». Tous les webcomics du site prennent en compte cette spécificité dans leur narration et ils sont de grande qualité !

  • Votre histoire est à mi- chemin entre le western spaghetti et la science-fiction ; quelles sont vos références, aussi bien esthétique que scénaristiques ?

Soyouz — Les choix esthétiques appartiennent à Jackpot, donc je vais la laisser en parler. Quant à moi… au scénario, mes influences sont assez multiples !

Je suis une grande fan de X-Files et m’intéresse beaucoup à l’ufologie (d’un point de vue mythologique), du coup exploiter un petit peu ce que je sais de tout ça avec pour toile de fond un western spaghetti c’est du bonheur en barre ! J’aime les histoires découpées en feuilletons, comme les mangas ou les séries télé. Ça laisse de la place pour raconter des histoires longues, explorer autant l’univers que les personnages évoluant dedans.

Niveau séries, X-Files ou Buffy ont eu une influence indéniable dans ma manière de construire mes histoires, avec leurs problématiques et des arcs qui se construisent au fur et à mesure et prennent de l’ampleur. J’admire beaucoup le travail de Joss Whedon sur Buffy, avec ses storylines très bien amenées et des personnages extrêmement riches et complexes, ou encore Tina Fey et son équipe de scénaristes sur 30 Rock, avec un humour décapant, un univers et des personnages farfelus et des épisodes très riches et très bien construits. Même chose pour Parks and Recreation et It’s always sunny in Philadelphia.

Concernant les BD, j’ai aussi pas mal d’influences, comme Setona Mizushiro et ses histoires qui explorent la complexité des relations humaines avec des personnages tout en nuances ou bien Please save my Earth de Saki Hiwatari qui parvient à gérer des dizaines de personnages dans un scénario qui tient très bien sur la longueur. Je peux citer aussi Bonne nuit Punpun d’Inio Asano pour sa bizarrerie et la manière dont la noirceur de l’âme est décrite.

Globalement, j’aime les histoires bien construites, les personnages nuancés et les bonnes blagues !

JackPot — Quand j’ai proposé le projet à Soyouz, j’avais plutôt en tête des références scénaristiques comme les BD Léonard ou la série Shaun the Sheep : je voyais les strips comme de simples gags, sans fil rouge narratif entre eux, bref je voulais surtout que ce soit comique et léger. C’est Soyouz qui au fil de l’écriture a développé une narration plus ambitieuse… ce qui s’est révélé un excellent choix !

Esthétiquement, je me considère de la « vieille école ». Mes inspirations stylistiques principales sont Alessandro Barbucci, Juanjo Guarnido, Claire Wendling, et plus récemment la dessinatrice canadienne Hunter Bonyun, mais aussi des mangakas comme Yukito Kishiro ou Hiroyuki Utatane, et bien sûr Naoko Takeuchi, l’auteure de Sailor Moon sans qui je ne serais jamais venue au dessin !

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Vic, la shérif qui ne s’en laisse pas conter.

  • Ce qui interpelle pas mal aussi (dans le bon sens) c’est que le casting est en majorité féminin et que ces personnages présentent une grande variété de physiques, d’âges, de caractère… Ça vous tenait à cœur ? 

Soyouz — L’idée vient de Jackpot ! Je viens du milieu du yaoi, où les personnages féminins sont souvent malheureusement rares. Mais vous me direz, les bons personnages féminins sont par définition encore trop rares ! Du coup, je me suis retrouvée à créer « instinctivement » plutôt des personnages masculins avant de prendre du recul pour me dire « mais pourquoi j’en fais un bonhomme, là ?! ».

C’est terriblement frustrant de se rendre compte combien on est polluée, sans le vouloir, par cette idée absurde que le personnage « neutre » par excellence est un homme cisgenre, blanc et hétérosexuel. Et c’est tristement amusant de constater qu’on nous demande souvent les raisons de cette quasi-omniprésence féminine quand son équivalent masculin n’est que trop rarement remis en question dans des histoires.

JackPot — Absolument ! D’un point de vue purement technique, je trouve les personnages « jeunes-minces-blancs-beaux » ennuyeux à dessiner, donc j’ai naturellement été vers des designs typés, ne serait-ce que pour m’éclater. Mais même sans ça, nous avons effectivement choisi de créer des personnages divers et non définis par leur genre. Ce sont des figures classiques de western — la cowgirl et la shérif badass, la hors-la-loi psychotique… simplement il se trouve que ce sont des femmes.

Parce que pourquoi pas ? Pourquoi ne pas choisir activement, en tant qu’auteur, de créer des univers où le sexisme tel que la société en souffre aujourd’hui n’existe pas (à partir du moment où l’on ne fait pas dans l’historique ou le réaliste) ? Cela n’empêche en rien de créer des histoires, même classiques ! C’est une démarche différente de la dénonciation active par l’œuvre « à message », mais qui me semble intéressante et utile également.

Dans l’absolu, je rêve que chaque auteur choisisse le genre, le sexe, la corpulence et la couleur de ses personnages de manière aléatoire, car je crois que ce ne sont que des aspects esthétiques.

  • Quels sont vos projets pour la suite ?

Soyouz — En tant que webcomic, Jo a encore de belles années devant lui je pense, car nous avons encore beaucoup de choses à raconter ! À côté de ça, j’ai toujours trop peu de temps et des milliards de projets, seule ou à plusieurs, avec The Ziggies on Mars ou non… et il faudrait que je trouve du travail un jour…

JackPot — Ayant mis plus de 10 ans à accoucher enfin d’un projet personnel, je ne compte pas le lâcher de sitôt ! Travailler sur Jo me procure un plaisir irremplaçable et tant que les idées et l’envie seront là, je continuerai à le dessiner. Nous avons actuellement le synopsis pour un arc narratif assez long donc cela va déjà nous occuper pas mal de temps !

D’autre part, nous avons quelques projets communs avec les auteurs de Spunch Comics, comme la réalisation d’un artbook papier collectif avec du contenu inédit. Il se pourrait également que nous essayions de porter Jo à l’écran sous forme de dessin animé par nous-mêmes, mais ce n’est encore qu’à l’état de projet !

Merci encore à Soyouz et Jackpot pour avoir répondu à mes questions, longue vie à Jo et, si ce n’est pas encore fait, courez évidemment lire cette BD !


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

2
Avatar de Kaylie
1 février 2016 à 15h02
Kaylie
J'ai découvert grâce à cet article, et franchement c'est super !
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Voir les 2 commentaires

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