Il y a encore quatre ans, j’étais loin d’avoir la vie d’une aventurière. Je vivais avec mon compagnon et notre chat dans un petit appartement toulousain, prenais le métro tous les jours pour me rendre à mon boulot de formatrice de français auprès de personnes exilées, et ne faisais de trajets en voiture que pour aller voir ma famille ou celle de mon copain… Une vie tout à fait classique de citadine, en somme !
Après un accident, une envie de changement
J’avais toujours eu envie de découvrir de nouveaux horizons, mais je comblais mes envies de voyages par les partages culturels avec mes apprenants, originaires de nombreux pays du globe. Mes élèves ne manquaient pas de me rappeler la chance que j’avais d’avoir un passeport français, et me répétaient que je devrais profiter de ma jeunesse pour partir à la découverte du vaste monde.
Mais, à cette époque, en travaillant tous les deux dans le social, ni mon compagnon ni moi ne pouvions mettre de côté pour des voyages, et notre destination la plus lointaine ensemble était Séville. Nos perspectives ont changé lorsque, la veille de Noël, alors que nous nous rendions à un réveillon en famille, nous avons vécu un gros accident de voiture.
Aucun de nous (ni les passagères de la voiture qui nous a percutés) n’a été grièvement blessé, mais, en entendant les pompiers nous dire que « ce n’était pas passé loin », nous avons réalisé que la vie était courte, et que nous ne voulions pas quitter ce monde sans avoir réalisé nos rêves de voyage… même si c’est terriblement cliché !
Nous nous sommes donc donnés un an pour quitter la France. Notre objectif était d’abord de partir en tour du monde, mais nous avons rapidement réalisé qu’il nous serait impossible d’en avoir les moyens. En nous renseignant, nous avons découvert l’existence des Working Holiday Visas, ces titres de séjour qui permettent de rester entre un et trois ans dans le pays choisi, et surtout de travailler sur place pour financer son périple.
Parmi les quatorze destinations ouvertes aux Français, nous avons choisi l‘Australie un peu par hasard, parce que c’était très grand, très loin, et que nous voulions voir des koalas dans leur habitat naturel.
Le grand départ pour l’Australie
Nous avons posé nos démissions, résilié notre bail, confié notre chat d’amour au père de mon compagnon, vendu toutes nos affaires sur Vinted et Le Bon Coin et, après un été passé à faire le tour de France pour dire au-revoir à nos proches, le 3 Septembre 2019, nous décollions pour Melbourne, avec un sac à dos de huit kilos chacun pour seuls bagages.
Le camping est très développé en Australie, pratiqué à la fois par les backpackers étrangers qui veulent vivre la vanlife et par les Australiens âgés qui passent leur retraite à découvrir leur vaste pays dans des caravanes très confortables. Notre plan était d’acheter un van au plus vite et de partir travailler dans des fermes loin des villes, pour échapper au coût de la vie très élevé des centres urbains.
Cependant, tous les gens du coin avec qui nous avons discuté nous ont conseillé d’acheter un véhicule quatre roues motrices pour pouvoir visiter les parcs nationaux, rouler sur les plages, les routes de graviers ou de terre battue… Et même franchir des rivières afin d’accéder à tous les lieux les plus intéressants !
Les vans 4×4 étant hors de prix, nous nous sommes finalement décidés à acheter un petit 4×4 (un Nissan X-Trail) et à l’aménager nous-mêmes afin de pouvoir dormir dedans. Nous avons donc retiré les sièges arrières, construit un lit, fait découper un matelas sur mesure, avons mis quelques pare-soleil pour l’intimité et nous sommes équipés en matériel de camping basique (réchaud à gaz, table, chaises, un peu de vaisselle et des gros bidons d’eau). Ensuite, nous avons pris la route, direction l’aventure !
Vivre sur la route, dans un 4×4 aménagé
Deux ans et huit mois plus tard, nous vivons toujours sur les routes, même si nous sommes maintenant dans un 4×4 un peu plus gros (un Mitsubishi Pajero), le précédent ayant rendu l’âme en février 2020. Nous sommes aussi un peu plus équipés, puisque nous avons installé un auvent sur le toit de notre voiture, ce qui nous permet de rester dehors le soir en étant un peu abrité du soleil et de la pluie.
Depuis notre arrivée à Melbourne, nous avons parcouru plus de 50 000 kilomètres et visité le Victoria, l’Australie Méridionale, le sud-ouest australien, remonté toute la côte ouest, découvert les sites aborigènes de la région des Kimberleys, parcouru les Territoires du Nord, visité la côte est du Queensland et quelques îles aux alentours, nous sommes allés dans les communautés du point le plus au nord du continent, et avons visité le centre rouge et le mythique Uluru.
Mon quotidien de voyageuse en voiture aménagée
Pour financer tout notre périple, nous alternons les périodes de road-trip où nous voyageons dans des paysages magnifiques, et les périodes où nous nous arrêtons quelques semaines à un endroit précis pour travailler.
En période de road-trip, une journée-type pour nous commence par se réveiller avec le soleil, prendre un bon petit-déjeuner sur notre table de camping, en évitant de se faire chiper nos tartines par les wallabies et les cacatoès, un brin de toilette sommaire et de vaisselle à la bassine, et une bonne demi-heure à replier les affaires étalées sur notre campement et à vérifier les niveaux de la voiture et faire la pression des pneus.
Nous roulons ensuite jusqu’à notre premier point de visite. Chaque journée est différente, mais, en général, la matinée est le plus souvent consacrée à une randonnée ou balade un peu sportive, puis, après un pique-nique pour le midi, nous essayons d’avoir un peu de baignade (soit sous une cascade, soit à la plage si nous sommes sur la côte) pendant les heures les plus chaudes de l’après-midi. Nous cherchons ensuite une douche dans une aire de repos, une station service ou un camping, puis arrive une de mes activités préférées : la recherche du meilleur spot pour passer la nuit.
Nous utilisons une application (Wikicamps) qui liste toutes les aires de camping gratuites du pays. Nous sommes devenus experts dans l’art de trouver l’emplacement avec la meilleure vue possible pour le coucher et le lever de soleil. Une fois le bon spot trouvé, la première chose que nous faisons en descendant de voiture est de nous asperger d’anti-moustiques ! Puis, nous ré-installons notre campement. S’il ne fait pas trop chaud, et que nous ne sommes pas dans une zone à risque d’incendie, nous faisons un bon feu pour faire cuire notre repas. Sinon, nous cuisinons au réchaud à gaz. Quand nous arrivons assez tôt sur un campement et qu’il y a un point d’eau, mon conjoint va pêcher, ou plutôt tente de pêcher puisqu’il revient le plus souvent bredouille !
Nous prenons systématiquement l’apéro en regardant le coucher du soleil et en admirant la nature et sa faune (kangourous, opossums et autres chauve-souris géantes), parfois en amoureux ou parfois avec d’autres campeurs qui passent la nuit au même endroit.
Il nous est déjà arrivé de faire des road trips avec des amis en convois, mais on cherche toujours à ne pas être trop nombreux et à ne pas voyager avec d’autres francophones, pour ne pas trop déranger les autres et pour s’obliger à parler anglais afin de faciliter les rencontres. En règle générale, les périodes de road trip sont les périodes où nous allons nous recentrer sur notre couple, et nous avons une vie sociale beaucoup plus active lorsque nous nous arrêtons pour travailler quelque part.
Travailler dans des fermes
Depuis le début de notre aventure australienne, nous avons occupé de très nombreux emplois dans le domaine agricole : ferme de cerises, de bananes ou d’avocats, cueillette de raisins, travail de nuit dans un entrepôt d’emballage de raisins, nurserie de fleurs, cueillette d’herbes aromatiques, ferme de betteraves… À l’heure actuelle, nous travaillons dans un entrepôt d’emballage de mandarines.
Ce sont des métiers assez physiques, mais les journées passent vite et dans la bonne humeur, et nous nous retrouvons les soirs pour partager un verre et nous faire découvrir des plats typiques de nos différents pays d’origine.
Il est extrêmement facile de trouver ce type d’emplois non-qualifiés et ne demandant pas un niveau d’anglais excellent : les fermiers sont en gros manque de main d’œuvre depuis le Covid. La plupart du temps, il nous suffit de poster un message sur le groupe Facebook du village où nous souhaitons nous établir, et nous recevons des dizaines de propositions dans les heures qui suivent ! Cela change de la longue et difficile recherche d’emploi, même en étant bardé de diplômes, à laquelle nous étions habitués en France.
Nous cherchons toujours à faire des semaines de cinquante heures (ce qui est légal en Australie) afin d’économiser le plus vite possible pour repartir en road-trip. Cela, combiné au salaire minimum beaucoup plus haut que le SMIC français (environ 17 euros de l’heure) nous permet de gagner en une semaine l’équivalent d’un mois de salaire dans nos anciens postes en France.
Des finances qui roulent
En Australie, nous gagnons chacun, après les taxes et prélèvements sociaux, entre 1000 et 1300 dollars australiens (soit entre 670 et 870 euros) par semaine. Les jobs en ferme nous permettent de rencontrer des jeunes de toutes les nationalités, qu’ils s’agissent de backpackers asiatiques, européens ou sud-américains, de travailleurs originaires des îles du Pacifique, ou de jeunes Australiens qui cherchent à financer leurs études.
Côté finances, on s’en sort donc bien mieux que lorsqu’on vivait en France. En moyenne, nous mettons de côté environ 3000 dollars par mois chacun dans les périodes où on travaille. Vivre dans une voiture aménagée nous permet de mettre de l’argent dans des activités un peu hors du commun (nous avons fait un tour en montgolfière pour nos dix ans de couple), dans un pays où les loyers et le prix de la nourriture sont très élevés.
Même pour les personnes souhaitant visiter l’Australie quelques semaines en tant que touristes, je conseille vraiment de louer un 4×4 équipé (le plus souvent avec une tente de toit et tout le matériel de camping) plutôt que de chercher à payer des nuits dans des auberges de jeunesse en plus du prix du véhicule. Pour un road trip pour deux personnes, en roulant en moyenne 200 kilomètres par jour, il faut compter un budget d’environ 1 800 dollars par mois (hors prix d’achat/location du véhicule), le principal poste de dépenses étant l’essence.
Le privilège de pouvoir vivre ainsi
Je suis extrêmement reconnaissante de pouvoir vivre de façon aussi privilégiée. Ces dernières années, j’ai énormément appris, sur moi-même, sur mon couple (mon compagnon m’a bluffée par sa capacité à rester zen face à l’incertitude, et on ne se dispute que très peu, pour des gens qui vivent et travaillent ensemble 24 heures sur 24), mais aussi sur les différentes cultures aborigènes, les droits des populations natives, le rapport entre la Nature, l’Histoire et la spiritualité…
Je me suis aussi remise en question sur ma manière de consommer en France, notamment ma consommation d’eau. Moi qui était adepte des longues douches, devoir faire durer le plus longtemps possible des bidons de 10L d’eau dans les zones arides, cela remet les idées en place !
Nous avons également appris à nous imposer face à des mauvaises conditions de travail, à quitter un emploi qui ne nous convenait pas ou des managers qui manquaient de respect à d’autres salariés, alors qu‘en France nous avions beaucoup plus tendance à accepter n’importe quels abus. J’ai aussi pris conscience de ce que m’apporte une vie au rythme du soleil et au contact avec la nature et les animaux sur ma santé mentale : je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma peau qu’en ce moment.
« Nous ne regrettons rien de cette expérience »
Nous avons vécu certains des plus beaux moments de nos vies en Australie, comme l’émotion incroyable qui nous a saisi la première fois qu’on a vu le soleil se lever sur Uluru, l’émerveillement la première fois que nous avons vu des baleines, les fous rires autour de mauvais vins tièdes avec des inconnus rencontrés au milieu de nulle part, cette fois où on s’est retrouvés invités par hasard à un tout petit festival culturel aborigène et l’accueil incroyable que les familles nous ont fait, et bien sûr le jour où, après m’avoir emmenée faire du quad et du surf sur des dunes de sable, mon compagnon m’a demandée en mariage devant un coucher de soleil.
Bien sûr, nous avons aussi eu des moments moins agréables, comme ce matin où, au réveil, nous avons découvert que nous nous étions garés au milieu de nombreux nids de serpents venimeux, cette fois où notre GPS nous a conduits à nous perdre en pleine nuit sur une route très accidentée dans un terrain militaire, et le jour où notre première voiture nous a lâchés, et que le mécanicien nous a annoncé que notre maison, dans laquelle nous vivions depuis 7 mois, était bonne pour la casse.
Mais globalement, nous ne regrettons pour rien au monde de vivre cette expérience, même si, parfois, j’aimerais pouvoir aller aux toilettes sans me demander si une grenouille dans la cuvette va essayer de me sauter dessus, ou acheter un morceau de fromage qui ne me coûte pas une heure de salaire.
Le retour en France qui approche
Pendant longtemps, rien ne me manquait de ma vie en France, ni le métro bondé, ni le harcèlement de rue, ni le froid et la grisaille. Mais, maintenant que nous approchons des trois ans en Australie, je me rends compte que, sur certains points, je serai contente de retrouver mon pays : principalement pour ma famille, mes amis et notre chat, mais également pour l’architecture et le charme des petits villages, et je serai très contente de travailler à nouveau dans le social.
En septembre prochain, notre troisième année de Working Holiday Visa expirera. Nous aurons la possibilité de demander une quatrième année puisque nous travaillons dans des secteurs essentiels, ou de demander un “Covid Visa”. Mais nous avons fait le choix de rentrer en France.
Nous allons profiter de nos familles, nous établir un an dans une ville française et nous marier. Ensuite, peut-être que nous songerons déjà à repartir (peut-être au Canada ou en Nouvelle-Zélande), ou peut-être souhaiterons-nous rester définitivement en France, qui sait ? Mais l’Australie et la vie en voiture aménagée resteront une expérience que nous chérirons à jamais.
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Crédit photo : Tobias Tullius via Unsplash
Les Commentaires
@Ciredutemps Effectivement comme l'a dit @Kaktus , c'est 50 000km depuis notre arrivée en 2019, pas par an. J'ai fait le calcul de ton lien (très intéressant d'ailleurs, merci :fleur, et je suis à 4,3 tonnes par an (en comptant l'aller depuis la France, et le trajet retour en avion que je ferai en septembre prochain). C'est pas tant les kilomètres parcourus en voiture (qui, je pense, sont compensés par le fait de ne pas avoir de logement, d'appareils électroménagers et que toute l'électricité consommée soit produite en roulant, et aussi de ne pas manger de viande autre que le poisson pêché par mon conjoint), que le vol long courrier, qui fait exploser mon empreinte climat. Tu as raison sur le fait que vivre une expérience à l'autre bout du monde c'est pas écolo, on est quand même à deux fois la consommation qu'on devrait avoir dans l'idéal (mais deux fois moins que la moyenne des Français). Par contre je n'ai pas compris ton passage sur faire du bénévolat auprès des réfugiés de Calais ou à la Cimade si on a envie de voyager. Pour moi, c'est un peu la pire des raisons possible pour s'engager auprès des migrants. Bien sûr, si tout se passe bien, tu vas sans doute découvrir des nouvelles cultures, mais attendre de personnes qu'on rencontre parce qu'elles ont besoin d'aide alimentaire/administrative/logement/..., de façon souvent urgente, qu'elles comblent nos envies d'évasion comme si c’était un dû, ça me pose un peu problème au niveau éthique. D'ailleurs, pour avoir été militante puis salariée dans ce domaine pendant plusieurs années, c'était un vrai problème qu'on avait avec certains bénévoles, qui venaient avec ce genre d'attentes et pour qui la relation avec les bénéficiaires se passait très mal. Après, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris ton propos là-dessus ?
@Worakls oh super, Perth est une de mes villes préférées ! C'est marrant, j'ai l'impression que tous les Français que je connais qui sont encore en Australie sont dans le WA. Pendant le lockdown on était à Pinjarra, juste à côté de Mandurah donc à une heure de Perth. On travaillait de nuit, donc la fermeture des bars et boîtes, on ne l'a pas sentie passer, puisque de toute façon tout était toujours fermé à l'heure où on rentrait du boulot Est-ce que tu as un Instagram ou quelque chose où on peut suivre votre voyage ? (par dm si tu veux) J'aime bien suivre les aventures des autres backpackers en Australie
Et @Whynaute , c'est pas vraiment une question de courage, honnêtement je ne suis pas très courageuse, j'ai l'impression que ce qu'on vit en Australie est beaucoup plus "facile" que la vie qu'on avait en France, donc si ça te fait envie et que tu es à un moment de ta vie où tu peux te permettre de partir, fonce