Yannick LeJacq explique dans son article qu’il n’est pas gay, enfin pas tout à fait. Cependant, il a quand même du affronter les mêmes angoisses que tout homosexuel, face à lui-même et à ses questions, mais également face aux autres, que ce soient des camarades de classes intolérants ou des premiers petits copains peu rassurants.
Dans son article « Les jeux vidéo ne m’ont pas rendu gay, mais ils m’ont rendu fier » publié sur Kotaku, le rédacteur explique comment certains jeux qui traitent de l’homosexualité ont pu influer sur sa vision de cette facette de sa personnalité et comment ils l’ont parfois soulagé dans un monde réel malheureusement moins ouvert et bienveillant.
L’article étant vraiment très long, je n’ai retranscrit que les passages les plus pertinents mais tu peux lire l’intégralité du texte en anglais sur Kotaku
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« J’aurais aimé que ma première fois avec un homme se soit passée dans un jeu vidéo. A la place, ça a été la deuxième. Et ce n’était pas du tout un homme, plutôt un amas de pixels et de sprites.
C’est pour ça que je souhaiterais avoir fait les choses différemment. Parce que le premier homme avec qui j’ai couché était très réel, tout comme l’étaient les risques et les conséquences. J’étais totalement en sécurité avec le deuxième, le virtuel. En jouant un personnage, en étant une autre personne, j’aurais pu très facilement me lever et laisser l’avatar à la table où il m’avait fait la proposition. Ou si j’avais vraiment paniqué, j’aurais pu enclencher l’ultime manœuvre de rejet et éteindre ma PlayStation.
J’étais libre de me lever et de quitter le bar dans la vraie vie aussi. Mais rencontrer le type était dangereux en premier lieu, dans un sens que je n’ai compris qu’en apprenant de lui et de ses amis ce que signifiait être gay pour eux. J’étudiais à l’étranger, en Jordanie, qui avait à cette époque une attitude relativement détendue à l’égard de l’homosexualité, comparé à ses proches voisins. Mais les hommes que j’ai rencontré là-bas parlaient encore sombrement d’être excommuniés ou maltraités par leurs familles. Le meurtre et l’emprisonnement étaient de tangibles, sinon immédiates, menaces. Et sans parler de retrouver la fac et ma copine quelques mois plus tard, en dissimulant ce qui semblait être un affreux secret. […]
J’étais terrifié par le mot “gay” bien longtemps avant d’arriver à la fac. Pendant mon année de seconde, un groupe de garçon m’a tellement tyrannisé que les directeurs ont rédigé la première règle de l’école contre le harcèlement virtuel. Ils continuaient de m’insulter mais je n’avais aucune idée de ce que “gay” pouvait vraiment signifier à ce moment. J’avais à peine connu mon premier baiser.
Finalement, j’ai commencé à sortir avec des filles. Mais ça n’a pas lavé la sensation de honte ni les résidus de peur. Il y avait quelque chose dans la manière dont un de ces garçons prononçait le mot “gay”, me montrant avec son crayon de l’autre bout de la table en cours d’SVT. Ça me mettait dans un état qui me faisait peur. Il le disait tellement souvent et avec tant de conviction que je commençais à me demander : et s’il avait raison ? Je n’étais déjà pas sûr d’avoir toutes les réponses et voilà qu’une personne m’en enfonçait une dans la gorge, encore et encore.
Ce que je ne savais pas comment dire à mon camarade de classe, et qui m’a demandé de nombreuses années et mauvaises décisions pour le réaliser, était ceci : Je ne suis pas gay. J’ai été en dehors des sentiers battus assez longtemps pour ne pas être considéré comme hétéro non plus. Mais au moins je peux comprendre cette incertitude maintenant, et même l’apprécier.
Cependant, tout ce processus de découverte de soi aurait pu se passer autrement. C’aurait pu être le moment que je viens d’évoquer. Le jeu, c’était Mass Effect 3 et c’était le passionnant acte final d’un épique space opéra de l’ampleur de Star Wars. Avant que le troisième volet ne sorte, Bioware avait annoncé qu’il serait enfin possible pour les hommes de romancer d’autres hommes. Je ne savais pas trop ce que ça voulait dire quand j’ai choisi le jeu en 2012. Et puis un jour mon Commandant Shepard, viril et mal rasé, était assis à la terrasse d’un café quand il fut abordé par Kaidan Alenko, un vieux pote de l’armée. […]
Ces deux-là débordaient d’excitation. C’était adorable. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire largement avec eux.[…]
C’était ça ! Les deux tourtereaux ont continué de se bécoter un peu, mais la rencontre au café fut la seule fois où mon Shepard expérimenta une quelconque tension dans la découverte de sa toute nouvelle attirance pour les hommes. Et quand bien même, cétait une bonne forme de tension. Il n’y a eu aucune question agressive ni aucun jugement. Les anciennes conquêtes – conquêtes féminines- des deux premiers Mass Effect ne lui ont jamais manifesté aucune jalousie ni colère.
Les romances étaient présentées avec cette même élégance arbitraire dans Dragon Age, l’homologue Game of Thrones-esque de Mass Effect, également développé par Bioware, dans lequel le joueur est autorisé à papillonner entre différents genres (et espèce) avec une facilité surhumaine. […]
Les développeurs, les joueurs et les critiques ont tous fait référence à ces nouveaux ajouts comme des “relations gay”. Mais ce qui est fascinant c’est que les vrais habitants de ces mondes virtuels n’ont jamais eu l’air tellement déterminés à donner un nom à tout ce qu’ils faisaient. La sexualité dans les jeux vidéo n’était pas obligatoirement bonne ni mauvaise. Ce n’était pas être gay ou hétéro non plus. Ça existait juste. Personne n’a jamais arrêté Shepard dans le hall pour lui dire à quel point il était heureux de voir qu’il se sentait enfin mieux dans sa peau avec cette nouvelle tenue en cuir. […]
Mais quand même, le sexe dans Mass Effect avait l’air… bizarre, même pour un jeu vidéo dans lequel parler et même sortir avec des aliens qui ressemblent à des artichauts plein d’écailles était normal. C’était juste un fait auquel personne ne prêtait attention. Ce qui se tenait en quelque sorte, si on considère que chacun cherchait désespérément à survivre à l’assaut de gigantesque calamars mécaniques venus de l’espace à ce moment-là. C’était comme si un architecte de l’univers dans Mass Effect possédait un énorme interrupteur gay qu’il aurait allumé. Je n’arrive pas à décider si c’était génial de la part des développeurs de chez Bioware ou s’ils ont fait une connerie monumentale. Une connerie parce que comme c’est le plus gros jeu auquel je puisse penser qui a réalisé ça de manière si hardie et abrupte, il possède une influence démesurée sur une certaine catégorie de joueurs. Ceux qui se sont sentis privés de leurs droits depuis si longtemps qui sont prêts à se raccrocher à n’importe quoi. Des gens comme… moi, par exemple.
Pour ces gens, l’interrupteur gay offre le fantasme d’une égalité quasi-parfaite. Tout est tellement normalisé que vous ne savez presque pas que c’est là. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que ça marche dans le vrai monde pour plein de gens. En terme de scénario, je pense que la sexualité dans Mass Effect n’est pas particulièrement sophistiquée. Ça en dit moins sur les expériences des vrais gay que quelque chose comme le projet “It Gets better”. Et il s’agit d’une campagne de sensibilisation du public mis sur pied par un éminent militant des droits des homosexuels, pas quelque chose qu’on regarde durant nos loisirs.
Du coup, il est troublant de penser qu’un jeu comme Mass Effect ou Dragon Age donne aux jeunes joueurs l’impression que personne ne les traitera différemment quand ils auront compris qu’ils ne sont pas hétéros, plutôt que de leur donner les outils pour commencer à comprendre et accepter les discriminations auxquelles ils devront faire face dans leurs vies.
J’ai présenté mes inquiétudes il y a deux ans, à la Game Developers Conference, à David Gaider, le principal scénariste de Dragon Age, concernant l’amour et le sexe dans son nouveau projet. Sa réponse, à l’image de son travail, est allée droit au but.
“Bien sûr” dit-il. “C’est idéaliste, peut être même simpliste de créer un monde que chaque personnage gay peut parcourir librement. Mais est-ce vraiment un mauvais rêve ? Pour des joueurs qui cherchent une chance rare d’expérimenter ce rêve, le fantasme peut être aussi puissant que celui de tuer des dragons. Ou de coucher avec des artichauts en ce qui nous concerne.”
Je ne suis pas forcément d’accord. Mais j’aime aussi bien cet argument. Ça montre comment un gros studio influent a produit deux blockbusters qui, délibérément ou non, ont ressuscité l’idéal utopique des beaux jours de la libération gay – à peine soutenu en ce moment par le mouvement moderne des droits des homosexuels. […]
Un jeu comme Mass Effect 3 ne donne aucune solution concrète à une crise sanitaire publique. Il n’a pas à le faire, ce n’est pas le but. Les jeux ne peuvent pas être une panacée pour les maladies physiologiques et sociales. Mais ils peuvent être une échappatoire à ses mêmes traumatismes, un fantasme de quelque chose de mieux que les vies des gens qui y jouent. C’est une mesure palliative, bien sûr. Mais c’est toujours un pas de fait vers quelque chose de bien plus grand.
“Depuis le jour de notre naissance, nous sommes entraînés en tant qu’homme à être en compétition avec les autres hommes” écrivent les deux [Michael Callen et Richard Berkowitz, deux militants pour les droits des homosexuels] dans leur texte fondateur du mouvement anti-SIDA. “Le défi pour les hommes homosexuels aujourd’hui aux Etats-Unis est de découvrir comment aimer quelqu’un que vous avez été formé à détruire.”
Il est difficile de lire ces mots dans le climat de sécurité actuel sans penser au temps où je rentrais de l’école pour me cacher. Le plus souvent, je me cachais derrière les jeux vidéo, comme ceux qu’a produit Bioware. Je me recroquevillais à l’abri de garçons qui semblaient extrêmement focalisés sur la destruction de chaque partie de moi qu’ils pouvaient atteindre, écrasant la moindre sexualité naissante que j’aurais pu avoir. »
Cet article est intéressant à de nombreux égards : il montre le cheminement de pensées d’une personne qui doit composer avec une sexualité qui n’est pas uniquement hétérosexuelle et se confronte donc avec le monde extérieur et son intolérance.
Il montre également que le jeu vidéo peut être une échappatoire, voire un havre de paix à pour certains joueurs, mais qu’il faut bien rester conscient de son caractère fictif. Néanmoins, il souligne le côté positif de cette démarche, en banalisant l’homosexualité et en la montrant comme ce qu’elle est, une orientation sexuelle aussi valable qu’une autre, on peut espérer voir les mentalités évoluer petit à petit.
Au moins, le fait qu’un aussi gros studio à succès comme BioWare (mais aussi Bethesda par exemple) se positionne dans cet optique est encourageant. On peut aussi se réjouir de voir le jeu vidéo, un média encore très jeune, renvoyer une image plus mature et ouverte et peur être espérer lui épargner un peu les clichés de violence et d’abrutissement qui lui sont encore trop souvent associés dans les médias.
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Les Commentaires
J'ai envie de dire que même si c'est qu'un coup de marketing ben écoute, si ça peut aider à mettre en avant et ce de façon positive les LGBT, ben qu'ils le fassent, mais je ne suis pas d'accord, c'est très très risqué de mettre les LGBT en avant, car il ne faut pas sous-estimer qu'encore énormément de personnes sont ouvertement homophobes, et que lorsque ces jeux sortent il y a un soulèvement de mécontentements de la part de ces gens, gens qui n'achèteront pas ces jeux pour cette raison, donc s'ils voulaient uniquement faire du fric, ils ne choisiraient pas cette voie, alors oui du coup on en entend beaucoup plus parler du fait que, mais je pense que c'est autant positif que négatif.
Et puis ce personnage gay dans DA a été mis en avant comme étant uniquement gay, ben oui, mais la faute à qui? Pas aux devs, juste aux gens, les gens n'ont retenu que "il est gay", je ne joue pas à DA mais il y a certainement plus à dire sur ce perso, je pense qu'il faut davantage se renseigner et pas forcément écouter uniquement ce qu'on entend