Tout est politique, même le sport. Inconnue du grand public, l’athlète biélorusse Krystsina Tsimanouskaya est devenue malgré elle le personnage principal d’une crise diplomatique.
La sprinteuse de 24 ans aurait été contrainte de déclarer forfait aux Jeux olympiques de Tokyo, dimanche 1er août, et menacée de rapatriement forcé en Biélorussie. En cause, des critiques formulées sur son compte Instagram à l’encontre de sa fédération d’athlétisme. Le 2 août, elle a obtenu un visa humanitaire en Pologne.
Madmoizelle revient pour vous sur ce qui constitue désormais « l’affaire Tsimanouskaya ».
À l’origine de la menace, un post Instagram
Aux Jeux d’été de Tokyo, Krystsina Tsimanouskaya devait disputer les épreuves du 100m et du 200m. Le 30 juillet, elle finit quatrième de sa série sur le 100 m et ne passe pas le stade des qualifications. Alors qu’elle devait concourir pour l’épreuve du 200m, elle déclare subitement forfait la veille de la course, dimanche 1er août.
Le comité olympique bélarusse prétexte la fragilité de son « état psychique et émotionnel » mais la principale concernée contredit illico ce « mensonge ». Elle révèle avoir été contrainte d’abandonner la compétition et escortée « de force » à l’aéroport de Tokyo pour retourner dans son pays.
À l’origine de cette « punition », un post Instagram : l’athlète a publié, vendredi 30 juillet, un message dans lequel elle critiquait la négligence de ses entraîneurs. Ces derniers l’auraient inscrite sans son consentement au relais du 4 x 400 mètres, épreuve pour laquelle elle ne s’était pas préparée.
« Pourquoi nous devons payer pour vos erreurs ? C’est de l’arbitraire. (…) On a décidé de tout faire dans mon dos », s’est-elle emportée sur le réseau social.
Cette prise de position n’a visiblement pas plu aux instances sportives de son pays, dirigé depuis 1994 par Alexandre Loukachenko. Devinez qui est à la tête du comité olympique biélorusse ? Vicktor Loukachenko, le fils du « dernier dictateur d’Europe ».
Appel à l’aide sur les réseaux
Craignant de se retrouver en prison si elle rentre dans son pays, Krystsina Tsimanouskaya envoie un dernier appel à l’aide depuis l’aéroport de Tokyo-Haneda. Elle interpelle le Comité International Olympique (CIO) dans une vidéo et affirme ne pas avoir choisi ce départ précipité.
« Elle savait que si on l’emmenait de force, cela présageait l’arrestation. On l’aurait peut-être torturée pour qu’elle se repente de son “comportement non patriotique”, en l’accusant de ternir la réputation du pays », avance au Figaro Galia Ackerman, historienne et spécialiste des pays de l’ancienne URSS et de l’Europe centrale
Le CIO entend son message et l’avion pour la Biélorussie part sans elle. Krystsina Tsimanouskaya obtient une protection policière et se réfugie à l’ambassade polonaise de Tokyo pendant deux nuits.
Plusieurs pays européens dont la République tchèque et la Slovénie s’empressent de lui offrir l’asile mais la sportive atterrit finalement à Varsovie, mercredi 4 août. La Pologne lui avait accordé un visa humanitaire deux jours plus tôt.
« La Pologne est l’un des premiers pays à aider la contestation biélorusse. Des dizaines de milliers d’opposants sont déjà en exil là-bas », expliquait au Figaro Andreï Vaitovich, reporter franco-biélorusse, spécialiste de l’Europe de l’Est.
Depuis le 9 août 2020 et l’élection perdue par Alexandre Loukachenko, ce qu’il a refusé d’accepter, la Biélorussie vit au rythme des répressions. Les autorités de l’ancienne république soviétique ont multiplié les sanctions et pressions envers les athlètes soutenant le mouvement contestataire.
Tsimanouskaya avait déjà affiché publiquement son opposition à Loukachenko, signant une lettre ouverte réclamant de nouvelles élections et la libération de prisonniers politiques.
Inquiète, l’athlète aimerait poursuivre sa carrière
« I just want to run. »
Krystsina Tsimanouskaya affichait ce slogan sur un t-shirt lors d’une conférence de presse organisée jeudi 5 août, à Varsovie.
« Je veux juste poursuivre ma carrière sportive », a assuré l’athlète, ajoutant qu’elle était « surprise que la situation soit devenue un tel scandale politique », compte tenu du fait qu’il s’agissait au début d’une question sportive. Elle espère d’ailleurs pouvoir participer aux prochaines éditions des Jeux olympiques.
Pour l’instant, Krystsina Tsimanouskaya « ne pense pas à l’asile politique ». Son mari, Arseni Zdanevitch, doit la rejoindre en Pologne après avoir, lui aussi, obtenu un visa humanitaire. Loin de son pays et de ses proches, la sportive ne cache pas ses craintes :
« Je suis très inquiète pour mes parents, d’autant plus que mon père a un problème cardiaque et que cela s’est aggravé ces derniers jours. »
Le CIO poursuit la procédure
Vendredi 6 août, le Comité international olympique a annoncé avoir retiré leur accréditation aux Jeux à deux entraîneurs de la délégation biélorusse.
« Dans l’intérêt des sportifs du Comité olympique biélorusse qui sont toujours à Tokyo et à titre provisoire, le CIO (Comité international olympique) a annulé et retiré la nuit dernière les accréditations d’Artur Shimak et de Yury Maisevich. Il a été demandé aux deux entraîneurs de quitter le Village olympique avec effet immédiat, ce qu’ils ont fait. Il leur a été offert la possibilité d’être entendus. »
Le CIO poursuit la procédure pour éclairer les circonstances du départ précipité de Krystsina Tsimanouskaya de la compétition.
« Nous ne sommes pas en position de changer le système politique dans un pays, ce n’est pas notre mission. Notre responsabilité est de protéger les sportifs du mieux possible, de sanctionner et tenir loin des Jeux ceux qui ne respectent pas nos valeurs » a assuré Thomas Bach, président du CIO, lors d’une conférence de presse à Tokyo, vendredi 6 août.
De son côté, le comité olympique biélorusse dirigé par le fils Loukachenko a rappelé que la sanction du CIO était « provisoire » et réaffirmé sa volonté de « protéger les intérêts de tous les athlètes et entraîneurs contre toutes les formes de discrimination ». Quitte à les voir fuir plutôt que courir.
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Crédit photo : capture d’écran de L’Obs sur YouTube
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