Article publié le 12 septembre 2021.
Il y a quelques semaines, j’ai croisé un petit groupe d’ados. Parmi elles et eux, deux avaient un t-shirt que j’ai aussitôt reconnu. Le gros smiley au sourire tordu en jaune, ses petits yeux défoncés et puis les sept lettres en capitales dans cette police à empattement reconnaissable entre mille : NIRVANA.
Gros shoot de nostalgie.
Ma première réaction a été un profond étonnement de voir que quinze ans après mon bac, certains ados portent les mêmes coupes de cheveux et à peu près les mêmes vêtements que moi et mes congénères au même âge.
Ma seconde a été de me demander si elles avaient déjà écouté Nirvana, ou bien si elles portaient juste le t-shirt à smiley du groupe juste parce qu’il est cool et pas cher depuis qu’une marque de prêt-à-porter a acheté la licence…
En bonne puriste, j’ai aussi pensé que ce pauvre Kurt Cobain n’aurait pas aimé ce t-shirt fabriqué en série et vendu dans le monde entier.
Mais en fait, je n’en sais rien.
Un reflet de mes propres insécurités
Toutes ces questions m’ont traversée et j’ai été obligée de me demander pourquoi moi aussi j’avais cette arrière-pensée. Ce réflexe de boomer, cette suspicion grossière, cette envie d’attraper ces mômes par l’oreille et de leur dire « de mon temps, le grunge, c’était pas à la mode, bande de p’tits cons ».
D’où je me demandais si ils et elles avaient le droit de porter ce t-shirt ?
Peut-être parce qu’à leur âge, j’avais peur que ce soit moi qu’on épingle. Qu’on vienne me dire :
« Regardez-la, la gamine avec son t-shirt The Clash, hé, es-tu sûre de connaitre assez le groupe pour oser porter leur nom ? Chante-moi quelque chose, mais pas London Calling, fais un effort, eh, tu connais le nom du batteur, au moins ? Eh, tu sais réciter le nom de tous leurs albums DANS L’ORDRE ? »
Sans mentir, la scène se jouait devant mes yeux. Une parfaite séquence d’humiliation se déroulait dans ma tête. On allait forcément découvrir mon imposture, on allait me percer à jour, moi, petite merdeuse, qui avait osé porté le t-shirt d’un groupe dont je ne connaissais pas la discographie par cœur.
J’avais intériorisé la capacité des gardiens du temple du Bon Goût et de la Bonne Musique à pouvoir nous pourrir, me pourrir, si je n’étais pas assez légitime à leurs yeux pour porter un t-shirt.
Est-ce que j’aime assez tel groupe pour porter leur t-shirt ? Est-ce que je suis assez fan pour ça ? Je m’étais même dit à une époque qu’il fallait avoir vu le groupe en concert pour pouvoir oser le porter en t-shirt (raisonnement complètement con quand on écoute des groupes composés de gens déjà morts)…
Ces restes de sexisme en moi
« On va rarement demander à un homme qui porte un t-shirt Metallica s’il connaît vraiment ce groupe et de citer trois albums », rappelle très justement Taous Merakchi dans notre décryptage du retour de la tendance gothique.
J’ai mis du temps à le comprendre. Aujourd’hui encore, je m’étonne de voir comment le sexisme a façonné mon regard sur certaines choses, via des détails en apparence anodins.
« Il faut vraiment être fragile pour haïr les femmes qui portent des t-shirts de groupe » juge la journaliste Haylee Griffith, avant de démontrer par l’absurde pourquoi on doit lâcher la grappe des femmes pour ces histoires de t-shirts et de groupes :
« À partir de maintenant, on ne peut plus porter de t-shirt d’un endroit où on n’a jamais mis les pieds. Cela comprend la Californie, Paris, Hawaii, tout ce que vous pouvez imaginer. Si vous n’y êtes jamais allé, vous n’avez aucune raison de porter quoi que ce soit qui le représente.
Ne pensez même pas à porter un t-shirt de la Nasa si vous n’êtes jamais allé dans l’espace, non mais franchement, c’est clairement réservé aux astronautes et aux ingénieurs en aéronautique. »
Ces « règles » ne sont que des prétextes pour préserver des boys club, se distribuer des points entre mecs, et entretenir un mépris des femmes.
Alors oui, la prochaine fois que je croiserai des ados arborant leur t-shirt Nirvana, je refrénerai mes envies d’interro surprise (« CITEZ-MOI TOUTE LA TRACKLIST DU MTV UNPLUGGED, J’ATTENDS »), je me retiendrai bien de penser qu’ils n’ont jamais écouté un seul album, parce que j’ai peut-être tort, et que juger à l’apparence de quelqu’un la musique qu’il écoute, c’est juste être pétri de clichés pas très reluisants.
Et surtout, peu importe, au fond, qu’ils aient écouté Nirvana ou non.
Je ne suis gardienne d’aucun temple du bon goût, je laisse ça aux boomers et aux misogynes à cause de qui j’ai longtemps été nourrie d’insécurités sur ce que j’avais le droit de faire ou non.
À lire aussi : Les vieux cons de TPMP face à Alexis, le lycéen maquillé
Crédit photo : Mike Von via Unsplash
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires