La place de la femme est à la maison.
C’est l’idée qu’on se fait du rôle du « deuxième sexe » dans la société américaine de la fin du XIXème siècle. Les femmes étant considérées comme fragiles et émotionnelles, le monde du travail leur reste résolument fermé.
Et la profession de journaliste ne fait pas exception. Mais Jessie Tarbox, la première femme photojournaliste, têtue et passionnée, n’a pas attendu qu’on lui en donne la permission pour se faire une place dans ce monde d’hommes !
Jessie Tarbox, une jeune photographe autodidacte
C’est un appareil photo qui change la vie de Jessie Tarbox, un Kodak bon marché qu’elle remporte en participant à un concours dans un magazine.
À 18 ans, la jeune Canadienne est déjà institutrice dans le Massachusetts. Sur son temps libre, elle s’essaye à la photo.
Quand Jessie réalise que tirer le portrait de ses élèves est plus rentable que leur dispenser des leçons (une enseignante était payée 7$ la semaine), la photographie devient plus qu’un hobby. Elle déclarera :
« La photographie de presse, comme vocation pour les femmes, est une sorte d’innovation, mais elle offre un grand attrait tant sur le plan de l’intérêt que sur celui du profit financier. »
La profession est presque exclusivement masculine. Pour réussir, Jessie sait qu’elle devra compter sur sa « débrouillardise », qui est selon elle « la plus indispensable des qualifications ».
Une photographe qui sait ruser pour se faire une place dans un monde d’hommes
Dire non à Jessie n’est pas très efficace, et c’est un euphémisme.
Lorsqu’elle couvre un procès pendant lequel les clichés sont expressément interdits, la photographe grimpe furtivement sur une étagère et capture la salle d’audience au travers d’une fenêtre. Elle décroche ainsi sa première exclusivité.
C’est un autre refus qu’elle essuie à l’entrée de l’exposition universelle de St Louis. Les organisateurs, qui n’avaient jamais accordé d’accréditation à une femme auparavant, craignent de causer la controverse.
Alors Jessie négocie : elle photographiera en-dehors des horaires d’ouverture. Évidemment, une fois sur le site, elle a vite fait « d’oublier » sa promesse.
Sur le terrain, Jessie Tarbox Beals ne passe pas inaperçue. Les passants la regardent, médusés, trimbaler son matériel qui pèse plus de 20kg (appareil, trépied et plaque de verres compris).
Se rendent-ils compte que sa longue robe aux multiples jupons et son corset sont loin de lui faciliter la tâche ? Jessie écrit dans ses carnets :
« J’avais, Dieu merci, une force hors normes. D’autres femmes, féminines et délicates comme des poupées de porcelaine, ne vont pas loin dans les affaires ou la vie professionnelle. »
L’ambition au service du talent
Il aura fallu quelques années pour que les efforts de l’intrépide journaliste soient reconnus.
En septembre 1900,
Jessie Tarbox Beals rentre dans l’histoire en devenant la première femme photojournaliste publiée en Amérique. Son travail paraît dans les quotidiens locaux et nationaux.
Même à l’exposition universelle de St Louis, où l’on ne voulait pas d’elle au début, Jessie reçoit une médaille d’or pour ses photographies aériennes.
Forte de son succès, la photojournaliste part à la conquête de New York avec son mari Alfred Beals.
Elle décide de ne pas suivre une trajectoire identique à celle de sa mère.
Le mariage de ses parents était conventionnel : le père, John Tarbox est un riche industriel et la mère, Marie-Antoinette, s’occupe de leurs quatre enfants.
Mais quand le patriarche perd son travail et se réfugie dans l’alcool, c’est toute la famille qui tombe dans la pauvreté.
À l’inverse, Jessie, même mariée, ne délaisse pas le photojournalisme.
Un esprit libre
Avec son appareil photo, elle arpente les rues de Manhattan jour et nuit. Elle capture la vie quotidienne dans les taudis du Lower East Side, et l’architecture ambitieuse de l’Upper East Side.
Inévitablement, son regard est attiré par un petit quartier avant-gardiste : Greenwich Village. C’est le repaire des poètes, des diseuses de bonne aventure et des antiquaires excentriques.
L’esprit enthousiaste et anti-conformiste plaît à la photographe qui se sépare de son mari pour y vivre et y ouvrir sa propre galerie.
La réputation de bohème de Greenwich Village attire les visiteurs curieux et Jessie leurs vend ses clichés du borough, format carte postale. Un guide touristique la surnommera carrément « la photographe officielle de Greenwich Village » !
1920, années folles. Les suffragettes obtiennent le droit de vote après des décennies de lutte. Fini les corsets, les jeunes femmes portes des robes chemise et se coupent les cheveux à la garçonne.
Les femmes ne sont plus uniquement des épouses : elles sont secrétaires, opératrices téléphonique, vendeuses… On compte une centaine de photojournalistes rien qu’à New York.
Reconnue comme pionnière, Jessie, qui a maintenant 50 ans, devient une conférencière renommée. C’est devant des centaines de jeunes filles qu’elle transmet ses connaissances.
Pour cette nouvelle génération, Jessie à un conseil :
« Soyez différente. »
Trop souvent oubliée, Jessie Tarbox Beals reste celle qui avait un temps d’avance sur sa société. En vivant obstinément de sa passion, elle a prouvé qu’une femme pouvait, elle aussi, réaliser ses ambitions !
À lire aussi : Nellie Bly, la première journaliste d’investigation — Les Culottées, par Pénélope Bagieu
Pour en savoir plus :
La madmoiZelle qui nous a envoyé cet article tire ses informations de la bibliothèque d’Harvard et de cet article d’Harvard Gazette, de la bibliothèque du Congrès, de la New York Historical Society.
Elle a également consulté cet article du New York Times et recommande fortement la seule biographie existante à son sujet pour en savoir plus : Jessie Tarbox Beals : First Woman News Photographer
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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