— Cet article a été écrit dans le cadre d’un partenariat avec Netflix. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
Rédigé à quatre mains avec Léa Bucci
Si tu vis quelque part sur cette planète Terre, tu sais sans doute que Jessica Jones, l’anti-héroïne badass, débarque sur Netflix le 20 novembre prochain. Ça, c’est fait. Mais sais-tu aussi que cette arrivée sur les écrans s’accompagne d’une arrivée sur les murs ? Autrement dit, as-tu déjà rêvé de voir en vrai la genèse de cette super-nana ?
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Eh bien, c’est possible. Du 3 novembre 2015 au 2 janvier 2016, les planches originales d’Alias, le comics derrière la série Jessica Jones, sont exposées à Paris, à la Galerie Arludik. L’Art de Marvel’s Jessica Jones, ce sont deux pièces qui accueillent les dessins de Michael Gaydos, le dessinateur et co-créateur de la série.
C’est l’occasion de découvrir de plus près le trait si particulier de cet artiste, qui croque des visages hyper expressifs, aux faciès taillés à la serpe, et des personnages semblant être toujours en mouvement. Le découpage très dynamique, presque cinématographique, de ses planches est aussi une belle leçon pour les illustrateurs•trices en herbe.
Le plus intéressant, puisqu’il s’agit des originaux, c’est surtout que tu peux observer de près les détails de ce travail d’orfèvre de la bande-dessinée : les coups de pinceau trempé dans l’encre de Chine, les corrections au blanc, les crayonnés dont on devine la trace… Bref, tout ce qui fait le charme d’une planche avant qu’elle soit reproduite et imprimée. L’exposition présente en prime des essais en couleurs. Et pour les adeptes de la technologie, il est même possible de lire sur un écran tactile quelques pages du comics ! (On a bien fait joujou avec.)
Michael Gaydos, dessinateur fan de son héroïne
À l’occasion de l’inauguration de l’exposition, Michael Gaydos était présent à Paris pour distribuer à la ronde sa joie de vivre et ses éclats de rire — le dessinateur semblait particulièrement heureux d’être là et de découvrir son public français. On a rencontré cet artiste très disponible, pour parler du personnage pas commun de Jessica Jones, de la création du comics à son adaptation en série.
- Alors, tu as hâte de rencontrer des fans français de Jessica Jones ?
Oui, carrément ! J’adore les fans en Europe, parce que l’ambiance est différente de celle aux États-Unis. Les auteurs de comics y sont beaucoup plus considérés comme des artistes, pour commencer.
- Ce n’est pas le cas aux États-Unis ?
Non, pas vraiment, pas de la même manière en tout cas. On est plutôt considérés comme des illustrateurs, et l’illustration, ce n’est pas vu comme un art. En tout cas, ce n’est pas quelque chose que l’on penserait à exposer dans une galerie d’art. La première fois que j’ai remarqué ça, c’était en Espagne pour une autre convention, il y a quelques années. On nous prenait très sérieusement, comme des artistes.
L’influence des Beaux Arts est plus forte ici, et je trouve que l’on prend plus le temps de travailler un projet artistique, plutôt que de chercher à tout prix à rendre quelque chose à son éditeur, mois après mois, à essayer de sortir un livre. Je veux dire, en Europe j’ai l’impression qu’on peut travailler sur quelque chose pendant un an, et sortir une vingtaine de pages. De mon côté, c’est plutôt une vingtaine de pages par mois que je dois sortir !
- Tu emménages bientôt en France, alors ?
Carrément ! (rires) J’y pense, tu sais ! Il me suffit de me promener un peu dans Paris pour me représenter ma vie ici.
- Alors, très bientôt, le 20 novembre exactement, la saison 1 de cette série Netflix/Marvel sera diffusée. Qu’est-ce que ça te fait de voir ton comics, ton bébé en quelque sorte, prendre vie à l’écran ?
Ça me paraît totalement irréel. Je n’y crois toujours pas. Je n’aurais jamais imaginé, tu sais, quand je passais mon temps à dessiner mes pages dans mon sous-sol… Qu’une chose pareille arriverait un jour. Pas plus que je n’aurais imaginé que mes planches finiraient sur les murs d’une galerie d’art. Je m’efforçais juste de terminer mon travail dans les temps, pour ne pas m’attirer les foudres de mes éditeurs ! (Rires) Ah, ça m’aurait fait une sale réputation de dessinateur toujours à la bourre. Enfin… Non, ça me fait vraiment toujours très, très bizarre.
- Tu as déjà vu les épisodes ?
J’ai vu le premier épisode au Comic Con de New York. D’ailleurs, j’ai été aussi au stand de Marvel pour des séances de dédicaces, et ils avaient un panel avec les membres du casting. Alors quand ils sont arrivés, les gars de Marvel sont venus vers moi pour me dire « Oh, ça te dirait d’y aller et de les rencontrer ? Je peux te faire passer sans problème ! »… Ma réaction, c’était plutôt « Nonononon ! ». (Rires) J’avais besoin de laisser retomber la pression, tu vois ? J’étais encore en train de réaliser, de me dire « oh mon dieu c’est vraiment en train d’arriver », en gros.
Plus tard dans la journée, Netflix faisait son panel aussi. Une salle immense, pleine à craquer, de 3000 ou 4000 personnes. C’était la folie ! Et ils m’ont installé au premier rang, et j’ai vu les acteurs et le premier épisode pour la première fois en compagnie de tou•te•s ces fans. C’était une expérience extraordinaire.
- C’est que beaucoup de gens attendent cette série avec impatience maintenant…
Oh oui, et moi aussi !
- …tu n’as pas trop la pression ?
Pas du tout ! J’ai commencé à travailler sur Alias il y a une dizaine d’années maintenant, alors j’attends un peu la série télé comme un fan. Je commence déjà à m’imposer d’être raisonnable, en attendant le 20, pour ne pas binge-watcher tous les épisodes d’un coup ! (Rires)
- Et tu échoueras, comme tous•tes les autres ! Mais c’est assez bizarre de dire que tu vas voir la série comme un simple fan. Après tout, tu restes le co-créateur du comics dont elle est tirée !
C’est vrai, mais la série Netflix ne va pas suivre exactement le comics. Ce n’est pas parti pour être du réchauffé de tout ce qu’on a pu faire avec Brian [NDLR : Bendis, le scénariste du comics]. Alors j’ai vraiment hâte de voir ça, parce que c’est nouveau pour moi aussi. Il va y avoir de nouveaux personnages, et je veux voir comment le tout va évoluer ! C’est fascinant, vraiment.
- La série télé commence plus ou moins à partir des derniers chapitres d’Alias, c’est ça ?
Oui, mais avec quelques éléments des premiers chapitres, et des éléments des derniers arcs… L’arc de l’Homme Pourpre [NDLR : interprété par David Tennant, le futur mari de Sarah Bocelli], surtout. Du coup, je ne sais pas… Il faut attendre de voir ce qu’ils ont préparé !
- J’imagine que du coup, vous n’avez rien eu à voir dans le choix du casting avec Bendis ?
À part pour envoyer des mails à Brian en lui disant « Oh, elle, elle serait bien »… non ! (Rires) Et Brian me répondait toujours : « Tu sais que je n’ai pas mon mot à dire dans tout ça, n’est-ce pas ? Il se pourrait encore que ça ne se fasse jamais, alors ne t’emballes pas ! ».
C’est que lui, en sa qualité de scénariste, était plus impliqué dans tout ça. Ça n’avait pas marché une première fois avec un autre studio, et ça lui avait pris beaucoup de temps. Alors il préférait me faire redescendre sur Terre à chaque fois que je lui envoyais quelque chose du genre « oh, elle, elle ressemble à Jessica ! ».
- Tu t’attendais un peu à voir Krysten Ritter dans le rôle, alors ?
Non, absolument pas ! Je suivais de près les sites Web sur le comics, et quand ils parlaient du casting, ils pensaient à, disons, cinq actrices. Oh je ne me souviens pas lesquelles, mais en les voyant je me disais qu’effectivement, elles ressemblaient assez à Jessica. Je pouvais l’imaginer, quoi. Mais quand Krysten Ritter a finalement été choisie, ma première réaction a plutôt été « mh, d’accord, je préfère quelqu’un qui peut vraiment endosser le rôle, plutôt que quelqu’un qui ressemble trait pour trait au personnage que j’ai aidé à créé ».
Après, je n’avais pas vu beaucoup de ses films, mais tout le monde disait qu’elle était une actrice incroyable, et je voulais vraiment quelqu’un qui puisse « devenir » Jessica. Parce que c’est un rôle complexe ! Il faut quelqu’un qui puisse jouer le traumatisme, être impertinente, sarcastique, et aussi sexy et être tout ça à la fois tout en étant réaliste… Là, ça peut marcher. Là, je dirais « ah ouais, elle ressemble à Jessica » ! (Rires) Et elle lui ressemble, Krysten ! Elle lui ressemble vraiment, en fait. Après avoir vu l’épisode, je ne voyais plus en elle que Jessica Jones.
- Est-ce que ça veut dire que tu as été séduit ?
Oh oui, carrément ! En fait, avec Brian [NDLR : Bendis, scénariste de la série], de temps en temps, on « retourne vers le personnage ». À chaque fois que je recommence à la dessiner, je retombe amoureux d’elle… Et après avoir vu le premier épisode, j’ai ressenti la même chose. La voir, comme ça, je veux dire… Elle avait tellement les mêmes expressions, les mêmes mimiques. Je pense que Krysten a potassé son sujet, et elle était parfaite !
D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de rencontrer les membres du casting à la convention de New York, dont Krysten. J’ai eu l’impression qu’elle était aussi contente de me voir, que j’étais heureux moi de la voir. Elle me disait « Alors, tu as vu ? J’étais comment ? », et quand je lui disais qu’elle était super, elle était, genre, « vraiment ?! ». (Rires) Elle est capable de jouer énormément de rôles différents, et je pense que c’est important pour tenir celui de Jessica.
- C’est que Jessica n’est pas vraiment une super-héroïne classique… C’est un peu un défi de la dessiner, non ?
Oh, oui ! Mais j’adore. J’aime beaucoup regarder les gens, observer leurs expressions, parce que c’est quelque chose de très important pour moi dans mon dessin : trouver la bonne expression, rendre les dialogues réalistes. J’ai travaillé très dur sur ce point pour Alias.
- Et comment a commencé ta collaboration avec Brian Bendis sur Alias, et plus tard The Pulse ? C’était votre projet à tous les deux, ou il est venu te chercher ?
Eh bien, en fait, Brian et moi étions à l’université ensemble. J’avais deux ans d’avance sur lui, et on ne se voyait pas vraiment, mais quelques années plus tard on s’est retrouvés à travailler ensemble sur des comics pour Caliber Press. On a sorti deux histoires courtes ensemble : Citizen Wayne, et un one-shot Batman pour DC Comics. Puis j’ai aussi fait quelques pages pour son livre, Jinx, et je pense que ça a commencé avec ces pages, avec son personnage féminin.
Il s’est vu proposer de travailler sur un comics pour la collection Marvel MAX, et c’est là qu’il a eu cette idée. Il leur a montré le travail que j’avais fait sur Jinx, et dit « voilà l’artiste avec qui je veux travailler sur ce projet ». Chose incroyable, Marvel a dit ok ! Alors il m’a appelé, m’a raconté que Marvel lançait une nouvelle collection, un peu dans le genre de Vertigo… Tu sais, des gros mots, du sexe, bref très « pour adultes ». Et il m’a demandé si ça m’intéressait. Tu penses, j’étais en mode « mais carrément ! ». Et il m’a répondu « ok, c’est parti ». (Rires)
- Tu as toujours l’air de ne pas y croire…
Mais tellement pas ! Il faut dire qu’à l’époque, au début des années 2000, c’était très différent de ce que Marvel avait l’habitude de faire. Si Vertigo était venu me parler d’un projet comme ça, ça ne m’aurait pas surpris, et puis c’était dans ma veine de toute façon. Et là, c’était Marvel. Bon, je n’allais pas dire non à Marvel !
- C’est vrai que c’est très différent de ce qu’on voit le plus souvent chez Marvel. Comment tu expliques qu’ils étaient intéressés par cette histoire ?
Je ne sais pas… Je pense qu’ils ont vu ce que Brian avait fait avec son personnage, Jinx. Il écrit de super personnages féminins. Et ils voulaient probablement essayer quelque chose de nouveau. Il leur a proposé ce personnage qui avait été une super-héroïne, qui a subi un énorme trauma, et ça rentrait tout à fait dans la ligne édito qu’ils essayaient d’établir avec la collection MAX. Je ne sais pas s’ils se sont dit que c’était un bon moyen de ré-intéresser un public féminin, ou quelque chose comme ça… Mais Brian écrit vraiment bien les personnages féminins, et j’adore dessiner les femmes, alors ça a très bien marché pour nous.
D’ailleurs, après Alias, on m’a proposé de travailler sur d’autres comics avec des personnages principaux féminins, ce qui était très flatteur pour moi. D’autant que ma version de la super-héroïne s’éloigne assez de la version classique… Je pense même que certaines personnes ont été pas mal rebutées au début à cause de ça. Je me souviens de premières critiques, dans lesquelles on disait que Jessica était moche, qu’elle était ronde…
- …qu’elle n’était pas nue…
Oui voilà, exactement ! (Rires) Mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils utilisaient le terme « normale », de façon péjorative. En gros, le problème était qu’elle était normale. D’un autre côté, des gens qui suivaient mon travail ont acheté mes premiers numéros juste pour voir, et ils ont fini par aimer ce personnage, Jessica Jones. Et puis revenir sur mon dessin et me dire, oui, c’est parfait pour ce que cette histoire veut raconter. Je suis sûr que beaucoup n’ont pas aimé au début, et que certains ont changé d’avis.
J’ai rencontré beaucoup de gens qui me disaient qu’ils ne lisaient plus de comics depuis longtemps, et qu’en rentrant dans une librairie à la recherche de quelque chose d’autre qu’une histoire de super-héros, le libraire leur proposait Alias. Mon marchand d’art, d’ailleurs, c’est exactement ce qu’il s’est passé : Alias était le premier comics qu’il lisait depuis longtemps. Il est venu avec moi au panel Netflix de New York, et il était aussi impressionné que moi. Quand Krysten Ritter a fait son entrée, il me disait « Je suis assis en face de Jessica Jones ! ». (Rires)
- Bon, et toi ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de dessiner des comics ?
Oh, ben je voulais dessiner des comics depuis que j’ai 5 ans, donc bon… (Rires) Mes parents ont gardé mes premiers dessins de super-héros, de quand j’avais 7-8 ans. Mais ce n’est qu’en arrivant à l’université que j’ai appris les Beaux Arts, et mes goûts ont totalement changé.
Et puis à ce moment-là, des auteurs de comics tentaient des choses différentes, justement avec l’influence des Beaux Arts. Alors je me suis dit que je pouvais dessiner des comics et jouer avec cette inspiration-là. Ce n’est pas vraiment ce à quoi les gens s’attendent dans l’industrie, mais ce style commençait alors à prendre de l’ampleur, à se faire sa place.
- Ok, et des années plus tard, voici où tu en es ! Tu travailles sur quoi en ce moment, quand tu trouves le temps ?
Je travaille sur un roman graphique pour Random House, avec l’auteur Jonathan Kellerman. J’avais réalisé deux adaptations de ses premiers livres, et je travaille maintenant sur un troisième !
La conversation se termine, en prenant son temps, sur ses nombreux projets et envie du moment – dont continuer à visiter Paris, le Louvre, le Musée d’Orsay… Et puis rencontrer des fans à Paris, bien sûr ! Je lui avoue avoir suivi Alias, mais pas du tout The Pulse encore, dont il n’a de toute façon dessiné que les derniers numéros… Et bim, nous sommes repartis sur le fait de voir un personnage qu’on suit depuis longtemps dessiné par quelqu’un d’autre.
Mais bon. Pour lui, c’est une forme de reconnaissance lorsqu’un dessinateur s’empare de son personnage le temps de quelques numéros, et vient lui demander ce qu’il en a pensé. Je crois qu’il a toujours été très fier de son personnage, qu’il a créé avec Brian Bendis. Très attaché à elle. Et qu’il est vraiment très heureux de la voir renaître aujourd’hui dans une série Netflix. Bien plus que nous encore.
Et tout à fait entre nous, je lui ai souhaité bonne chance à la fin de notre entrevue, mais je pense qu’il va craquer : il va binge-watcher. Comme tout le monde.
— Merci à Léa Bucci pour les photos !
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