À 13 heures, chez mes grands-parents, il fallait se taire. Les grosses lunettes, le sourire aux lèvres, on attendait tous patiemment Jean-Pierre.
L’actualité mondiale était trop déprimante, les grandes secousses qui remuaient la planète trop violentes. Jean-Pierre, lui, n’avait pas le time pour le monde tout entier, il avait juste le temps pour un truc : la France (enfin… une certaine France, entendons-nous bien) et ses artisans.
Bien sur au début ça m’a révoltée qu’on passe seize minutes sur un marchand de journaux plutôt que sur l’élection présidentielle. Et puis, finalement, comme mes grands-parents, je suis tombée dedans. J’écoutais d’abord avec terreur tous les drames qui traversaient la planète, et puis hop — une petite production de santons, la recette des berlingots à la bergamote de Nancy, et tout allait mieux.
Au lieu de rêver de Bora Bora, je me surprenais à rêver d’une petite échoppe installée sur le bas côté d’une départementale, toujours en Touraine, où je pourrais parler à mes clients (et qui sait, peut-être un jour à TF1) de mon « savoir-faire », des « traditions » que l’on m’a transmises et puis surtout je pourrais raboter du bois.
Ça a l’air tellement cool de raboter du bois.
SOS Villages, Jean-Pierre Pernaut et moi
Mon segment préf, c’était SOS Villages.
Franchement, cette initiative, c’était (et je crois que c’est toujours) quelque chose. À l’initiative de ce beau projet, Jean-Pierre mettait la lumière sur un petit commerce déjà repris dans un village français. Lui et son équipe présentaient une boucherie, un relai de poste, une table d’hôtes… et ça y est, j’étais là, dépaysement total, dans une petite boutique, « meuf reconvertie qui a tout compris », à pétrir des miches et à retourner des saucisses.
Alors, quand ma vie est partie en sucette (y a sûrement eu d’ailleurs des reportages SOS Village sur des confiseurs, cherchez sur Dailymotion), quand j’ai eu envie de tout plaquer, bah j’ai regardé le site officiel SOS Villages qui propose de reprendre des commerces dans les zones rurales.
J’ai tapé mon département de prédilection, puis regardé tous ces petits commerces que j’avais traversé petite, ces petites boutiques à l’enseigne bien kitsch où on me touchait les cheveux et où on me filait une rondelle de saucisson, et j’ai réfléchi.
Je serais pas bien là à Cléré Les Pins à reprendre ce petit hôtel devant lequel je suis passée des centaines de fois ? Et cette boulangerie là, si je suis une formation de nuit, je peux apprendre à faire des croissants le soir et hop je monte la BOULANGERIRI (c’est mon surnom Riri), ça peut être super et l’Indre et Loire finalement c’est touristique.
Pour rien vous cacher, j’étais pas toute seule dans la sauce. Avec mon père on regardait les photos de tous ces petits commerces qui survivent péniblement, et on se demandait si ça demanderait beaucoup de travaux, si j’étais prête à travailler 6 jours sur 7 et puis surtout si je savais faire des pâtisseries (la réponse est non mais on peut apprendre OKAY).
Et au fond de moi, comme au fond de bien ses trentenaires qui en ont parfois plein le dos de pas comprendre les trois quarts du langage technique de leur taf, je me dis qu’il y a ce possible.
Je me laisse bercer par cette petite voix qui me dit que je pourrais mettre de la fleur d’oranger dans ma viennoise, parce que c’est bon, et puis que si je fais une bonne formule quiche/boisson/pâtisserie, je suis sure que ça peut attirer les coiffeuses d’à côté pour leur pause déjeuner.
Alors évidemment, il avait des bails Jean-Pierre. Il disait pas mal de trucs craignos en soum soum dans son journal. Il a laissé vivre une image de France de carte postale où la libraire t’appelle par ton prénom et où on te met des carottes de côté chez le primeur. En vrai ça existe pas. Tant pis. Mais quand même.
Je me disais que ça pouvait être ça aussi la vie. J’ai même un peu chialé quand il est parti.
Ce soir, en hommage, je regarderai encore les annonces en Indre et Loire sur SOS Villages. Je me dirai que je peux pas reprendre la charcuterie de Loches, mais p’têt que la chambre d’hôtes à Amboise c’est jouable ? J’enverrai encore le lien à mon père et on se demandera pour combien il y en a de travaux.
Ça sera super.
Merci Jean-Pierre.
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