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« Je vis dans le monde parallèle de mon imagination », rencontre avec Kalindi Ramphul, autrice des Jours Mauves

Après avoir nourri les colonnes de Madmoizelle pendant cinq ans, Kalindi a publié son premier roman. À cette occasion, elle nous a parlé de sa routine d’écriture chaotique, du lien profond entre deuil et humour, et de ses inspirations en tant qu’autrice-dauphin.

Vous avez sans doute déjà lu ses articles dans les colonnes de Mad. Pourtant, ils ne sont que l’arbre qui cachent la forêt de l’imagination littéraire de Kalindi.

Sorti au début du mois de mai, son premier roman, Les Jours Mauves (Lattès), imagine le convoi en car dans lequel se lance Indira après la mort de son père. Elle rassemble ses amis et les proches du défunt pour aller disperser ses cendres sur Mars, un PMU du sud de la France que son père aimait beaucoup.

Ce roman tout en rebondissements, en humour et en émotions se dévore d’une traite une semaine d’été. En dépit de son apparente légèreté, Les Jours Mauves offre la perspective d’une jeune femme drôle, téméraire mais aussi plus fragile qu’elle en a l’air sur le deuil et tout ses paradoxes.

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Kalindi Ramphul, Les jours mauves, Éditions JC Lattès, 306 pages, 20,90€

Rencontre avec Kalindi Ramphul

Quand et comment as-tu eu l’idée de cette histoire ?

Kalindi Ramphul. Le point de départ du livre est autobiographique. Quand mon père est mort, je me suis torchée la tronche et pendant son incinération, j’ai eu l’idée de faire un road-trip en bus pour aller disperser ses cendres dans le Sud de la France, pour accomplir ses dernières volontés. Sauf que le covid nous est tombé dessus, donc je n’ai pas pu faire ce voyage. Je me suis alors demandé comment est-ce que je pourrais vivre ça ? Le seul moyen d’accomplir ses dernières volontés, c’était de l’inventer, par l’écriture. Ce n’était pas mon premier livre : j’avais déjà un manuscrit, mais il m’a été volé quand je me suis fait cambrioler. Il était dans un ordinateur et je n’avais pas de sauvegarde. Ce qui n’est pas plus mal, parce que c’était vraiment pas terrible ce premier livre.

Tu as eu cette idée très drôle pendant l’enterrement. C’est à l’image du livre, qui nous fait alterner entre rire et larmes au fil des pages. Son écriture a-t-elle été joyeuse, ou au contraire, douloureuse ?

On entend souvent parler de ce cliché des gens qui écrivent dans la douleur, qui disent que pour écrire, il faut se mettre dans un cachot, boire des litres de rhum et vouloir se suicider.

En l’occurence, écrire un roman a été la meilleure expérience de ma vie. J’ai réalisé que ce roman reflétait ce qui s’est passé en moi pendant l’écriture.

Au début du livre, Indira est sarcastique, désagréable et pénible avec tout le monde. Petit à petit, elle ouvre son coeur et à la fin, elle n’a pas envie que le voyage se termine. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Quand j’ai commencé à écrire, je n’avais pas vraiment fait le deuil de mon père. J’avais du mal à le pleurer, à y penser. Au fur et à mesure, en réécrivant l’histoire de mon père, en lui en inventant d’autres, en me réconciliant avec lui par le biais de l’écriture, j’ai appris à m’ouvrir.

Au moment où l’aventure se termine, où Indira regrette que ce soit la fin du voyage, j’ai regretté que ce soit la fin du livre.

Le roman n’est pas autobiographique, mais ce que traverse l’héroïne l’est totalement. Cette progression de femme un peu aigrie parce qu’elle n’arrive pas à gérer son deuil, jusqu’au pardon, aux larmes qu’on s’autorise à verser, est autobiographique. Ce livre a été extrêmement thérapeutique. Il m’a fait du bien au cœur, au cerveau, et même dans mes relations aux autres. Il y a eu des doutes, de l’anxiété, mais surtout beaucoup de lumière.

Tu as été journaliste pendant huit ans. Aujourd’hui, tu es autrice et scénariste. Est-ce difficile pour toi de passer d’une forme d’écriture à une autre ?

Déjà, je n’ai jamais voulu être journaliste. Pour moi, ce métier était surtout un moyen d’écrire quoi qu’il arrive. Ce que j’aimais dans l’approche journalistique de l’écriture, c’est l’immédiateté : on te donne un sujet, tu le traites, c’est publié dans la journée. Tu as la satisfaction du travail produit. En l’occurence, l’écriture de romans et de scénarios te fait entrer dans le long terme.

Pour moi, l’écriture d’un roman était une pulsion de vie. C’était impératif. J’ai toujours raconté et écrit des histoires. Il faut savoir une chose à propos de moi : la vérité ne m’intéresse…jamais. Je n’ai jamais été une bonne journaliste parce que je me fous de la vérité. Ce qui m’intéresse, c’est comment on transforme les histoires, comment on les romance, comment on fait du Beau.

Mon film préféré, c’est Big Fish de Tim Burton. C’est un film qui a beaucoup compté pour moi. Je l’ai vu huit fois au cinéma, quand j’avais 12 ans. La première fois que j’en suis sortie, j’ai pensé « Ok, on a le droit de faire ça de sa vie. On a le droit de fantasmer son existence, romancer sa propre vie, les anecdotes qu’on raconte. On a le droit de vivre dans une histoire. »

Ça ne se voit peut-être pas parce que je n’ai forcément l’air très aimable au départ, mais je suis extrêmement émotive et très empathique. C’est pour ça que je mets souvent une barrière entre les autres et moi. Comme je suis tout le temps triste et malheureuse, je vis dans le monde parallèle de mon imagination.

Enfant, j’étais extrêmement timide et déprimée. L’imagination, l’écriture et la lecture étaient un vrai rempart à la mélancolie. J’ai écrit de la fiction très tôt. Si bien que dès que j’ai eu le courage de quitter mon CDI correctement payé pour ne faire que de la fiction, j’ai sauté le pas. J’ai écouté une amie qui m’a conseillée en me disant : « crois en l’univers ».

Concrètement, comment écris-tu ? As-tu une routine rigoureuse ou écris-tu quand tu as un éclair d’inspiration ?

J’anime un atelier d’écriture tous les lundi de 19h à 21h, Les Ateliers le Ka. L’atelier dure 4 semaines et pour la première séance, on travaille sur l’élaboration d’un plan. Je demande aux gens d’être réguliers, d’avoir un plan rigoureux, de venir tous les jours [Kalindi éclate de rire, N.D.L.R]. J’adore donner aux gens des conseils que je n’applique pas : j’ai zéro routine de travail.

J’ai écrit ce livre principalement en un été, en Grèce, il y avait la mer et moi, je suis un dauphin. J’ai beaucoup d’idées quand je nage.

Instagram de Kalindi

D’ailleurs, le roman s’ouvre là-dessus. J’aime nager loin, avoir peur. J’ai souvent des idées au milieu des noirceurs sous-marines. En Grèce, j’avais une routine, j’écrivais le matin.

Mais crois-moi, quand je suis à Paname dans mon appart’ de 40m carrés, crois-moi, je ne me lève pas à 7 heures pour faire un footing, écrire de 9 heures à 13 heures. La vérité c’est que je me lève, je regarde New Girl pour la quatorzième fois, je vais au café, je regarde Instagram pendant 1 heure et après je me dis : « Allez Kalindi, écris au moins deux lignes. »

Une chose terrible, c’est qu’il y a des phases où je suis prolifique, je peux écrire un bouquin en deux semaines, et des phases où pendant un mois, je suis là : [à ce moment de l’interview, Kalindi fait un long bruit évoquant un bébé agneau en train de naître et d’agoniser en même temps, N.D.L.R]. Je le dis : plein de personnes qui font ce métier n’ont aucune hygiène de travail et je pense que c’est O.K de ne pas se laisser culpabiliser par les vidéos d’auteurs qui dévoilent leurs méthodes de travail, comme quand Amélie Nothomb, dont je suis par ailleurs fan, explique qu’elle se lève à 4 heures du matin, boit une coupe de champagne, et termine l’écriture de 40 romans avant 15 heures. Je suis un peu angoissée mais à la fois, je travaille bien dans le stress.

Je n’ai aucune hygiène de travail et c’est important d’être honnête là-dessus.

Les Jours Mauves part d’une situation autobiographique mais glisse ensuite vers une auto-fiction, où tu imagines ce qu’a été la vie de ton père, notamment sa vie amoureuse et sensuelle. Cet exercice t’a-t’il posé une question de respect envers sa mémoire ?

Les semaines et les mois qui ont précédé la sortie du livre ont été abominables. J’ai dû relire mon texte de nombreuses fois, et je n’ai pas arrêté de me remettre en question. J’ai beaucoup travaillé avec ma psy pour détricoter ce rapport entre fiction et réalité. Elle m’a rapidement rassurée en me disant : « Kalindi, vous avez l’impression de trahir votre père ? Plot twist : il est mort. »

Donc j’ai accepté de tirer le fil d’amour que je soupçonnais et qui, probablement, n’existait pas avec l’ampleur que j’ai imaginée. L’accueil du livre par les gens, notamment des personnes proches de mon père, m’a beaucoup soulagée. Tous ont compris que c’était un objet de fiction, et ça les a fait rire. Je pense sincèrement qu’on peut raconter beaucoup de gravité avec l’humour. Tu peux tout délivrer avec l’humour. Dire les choses les plus hardcore et les plus vraies. C’est formidable.

À ce propos, ton livre est truffé de remarques, de situations, de formules très drôles où l’on reconnait bien ta personnalité, même dans les endroits les plus graves et tragiques du livre. Ils semblent avoir été écrits avec beaucoup de spontanéité.

Oui. Quand j’étais petite, j’ai vite compris que la survie de la santé mentale, c’était l’humour. Je pense qu’il faut se méfier des gens qui font beaucoup de blagues parce que souvent se cachent derrière de grandes tristesses. Si tu me vois rire comme une folle toute la journée, c’est sûrement que je fais une dépression nerveuse.

L’humour est un outil de mise à distance des sentiments douloureux. Ce livre contient beaucoup de vannes parce que je n’avais pas encore fait le deuil de mon père. Je pense qu’aujourd’hui, je l’écrirais différemment parce que j’ai fait ce deuil. J’aurais pu me passer de certaines vannes et parler avec plus de sincérité.

Pour publier Les Jours Mauves, ton premier roman, tu as été accompagnée par un agent. Conseillerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’écriture de faire la même chose ?

C’est une question qui m’intéresse beaucoup. C’est très important d’en parler car beaucoup de gens veulent écrire et je les encourage à fond à le faire. On peut très bien être publié sans agent. Mais c’est vraiment une carte en plus qui permet d’accélérer le processus. Pour s’épargner de devoir envoyer soi-même son manuscrit, recevoir soi-même des lettres de refus. Beaucoup d’auteurs de bestsellers sont des personnes à qui on a dit qu’ils feraient mieux de changer de métier.

Quand on se lance dans cette aventure, il faut se mettre dans la tête que ça va demander du temps, d’abord d’écrire, puis faire lire, prendre en compte les retours, trouver un agent ou envoyer à des éditeurs.


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