Fin mai, les Français de l’étranger ont pu pour la première fois voter par Internet dans le cadre d’une consultation nationale – ils avaient déjà élu de la même manière une partie des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, organisation présidée par le ministre des Affaires étrangères et représentant les intérêts des expatriés. Le vote par Internet, censé faciliter l’expression des citoyens éloignés de leurs bureaux de vote, a pourtant suscité des polémiques. Pourquoi ?
Le vote par Internet, comment ça marche ?
Pour voter par Internet, il vous faut un identifiant personnel et deux mots de passe (un pour chaque tour). Vous recevez votre identifiant par courrier (obligatoirement) et aussi par SMS si vous avez fourni un numéro de téléphone portable à votre consulat. Quant au mot de passe, il vous est envoyé par e-mail. Le jour J (ou plutôt la semaine S, puisqu’on peut voter par Internet pendant sept jours pour chaque tour), vous vous connectez sur la page Votez à l’étranger, hébergée par Scytl, la société espagnole qui gère le vote. Cette page contient une application Java sur laquelle vous rentrez vos identifiants, puis votre choix de vote. L’application vous envoie un reçu, effectue une signature électronique et un chiffrement de votre vote et transmet ces deux données à Scytl. À la fin de la période de vote, le gouvernement récupère les suffrages et les déchiffre (au sens propre), tandis que l’électeur peut vérifier sur une page Web gouvernementale que son vote a bien été pris en compte (grâce au reçu).
Sur 1,1 million d’électeurs expatriés, 700 000 avaient communiqué leur adresse e-mail aux autorités pour pouvoir voter par Internet. Selon le ministère des Affaires étrangères, sachant que toutes les adresses n’étaient pas valides, 600 000 personnes avaient la possibilité de s’exprimer en ligne. En pratique, 130 000 l’ont fait – les autres ayant finalement préféré un autre moyen ou s’étant tout simplement abstenus.
Les problèmes de sécurité
Le simple fait qu’une élection se passe sur Internet suffit à susciter doutes et fantasmes. Mais dans le cas de ces législatives, l’opacité du dispositif justifie l’inquiétude. Premier problème : le fait que l’organisation soit déléguée à une société privée et étrangère. Il est impossible pour les citoyens, même calés en informatique, de vérifier le bon déroulement du scrutin : ce serait du viol de secret industriel. Même en faisant confiance à Sctyl (puis au gouvernement, puisqu’il n’y a pas non plus de garantie quant au dépouillement), il reste un risque de piratage de l’ordinateur du votant.
Laurent Grégoire, informaticien et électeur dans la circonscription du Benelux, a profité du premier tour pour montrer les failles de ce système : via un virus il a injecté un « code malveillant » dans le programme Java que la page avait ouvert sur son ordinateur, et avec ce code il a pu voir et modifier son vote… ce qui signifie que n’importe quel pirate ayant pris la main sur son ordinateur aurait pu faire de même.
Le dernier gros risque pour l’indépendance du suffrage : personne ne peut s’assurer que l’électeur est seul devant son ordinateur
. Rien n’empêche donc de voter sous la menace ou de revendre son vote, problèmes traditionnellement limités par un passage obligatoire dans l’isoloir.
Pour le ministère des Affaires étrangères, pas de problème : « Les conditions constitutionnelles exigées pour tout scrutin politique ont été respectées : secret du vote, sincérité du suffrage et accessibilité du scrutin. Il en a été de même au plan technique » assurent-ils.
Des difficultés pour voter
Nous sommes d’accord, le vote par Internet c’est tout de même très pratique quand on habite dans un endroit isolé ; certains y ont même vu la solution miracle à l’abstention. Mais là encore, il y a un problème : de nombreux électeurs ont eu de grandes difficultés pour arriver à voter. Un Français vivant en Égypte raconte qu’il n’a pu voter qu’en se rendant au Caire car il n’a pas reçu son identifiant ; ce serait le cas de nombreux expatriés vivant dans des pays où la distribution postale est mal assurée.
Même en ayant reçu toutes les informations nécessaires, voter peut s’avérer compliqué… si vous avez la dernière mise à jour de Java. La page devant permettre le vote n’est en effet pas compatible avec la version la plus récente de ce logiciel. Vous devrez donc utiliser un autre ordinateur, ou désinstaller Java pour réinstaller une version plus ancienne (une opération compliquée puisque Java va naturellement vous proposer sa version la plus récente).
Les alternatives au vote par Internet
Heureusement, pour ceux-elles qui ne font pas confiance au vote en ligne il reste d’autres moyens de s’exprimer : directement dans l’urne, mais il faut être dans une grande ville (en voici la liste) ou bien par correspondance.
Pour aller plus loin
- Sur Slate, une société spécialisée dans la surveillance des piratages informatiques fait part de ses doutes
- HardKor pointe les problèmes du vote par Internet (attention, certains articles nécessitent des connaissances en informatique)
- Plus de détails à propos des bugs sur Le Figaro
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Les Commentaires
De toute façon aucun système n'est parfait !