Le 3 septembre, François Hollande faisait sa rentrée des classes à Denain, dans le Nord. Un événement bien sûr largement couvert par les photographes. Parmi eux, Denis Charlet, qui a immortalisé une expression fort peu flatteuse du président.
Publié sur les sites de l’AFP et de Reuters, le cliché est rapidement retiré. Les agences demandent même aux médias de ne pas l’utiliser ou de le remplacer. Certains y voient une exigence de l’Élysée (démentie depuis par l’AFP) et la popularité de la photo explose.
« Deleted, you say ? That’s lovely ! » (« Supprimé, vous dites ? C’est mignon ! »), ironise un post du site humoristique 9gag, détournant la photo de toutes les manières possibles. De son côté, Le Petit Journal passe une minute et demi à montrer l’image en faisant mine de ne pas le faire.
Le Petit Journal du 4 septembre
L’effet Streisand
Certains ont appelé cette mésaventure « effet Beyoncé » en référence aux photos de la chanteuse au Superbowl, largement parodiées après que son agent a tenté de les faire retirer. Mais le fait qu’une tentative de censure aboutisse à une diffusion massive de l’information concernée est déjà connu depuis 2003 sous le nom d’« effet Streisand ».
Cette année-là, l’actrice et chanteuse Barbra Streisand tente de faire retirer une photo de sa maison en bord d’océan, diffusée au milieu de milliers d’autres photos du littoral pour une étude sur son érosion, en attaquant son auteur en justice. Du jour au lendemain, le site hébergeant l’image passe de « confidentiel » à « mondialement connu ».
Les exemples de l’effet Streisand se sont depuis multipliés. En 2012, le compte Twitter « Agence France Presque », parodie de l’AFP, s’était fait largement connaître lorsque son original l’avait mis en demeure pour contrefaçon. Plus récemment encore, en 2013, la DCRI a propulsé vers la gloire un article de Wikipédia en tentant de le faire supprimer par des méthodes agressives
(concernant un site militaire, il contenait des informations confidentielles).
L’affaire Copwatch
L’effet Streisand marche particulièrement pour les sites comme Wikileaks ou Copwatch, qui documentent les dérives du pouvoir. Organisation de défense des droits civiques pour les uns, « anti-flics » pour les autres, Copwatch est un ensemble de sites recueillant des témoignages de violence policières, mais aussi parfois des informations plus personnelles sur les auteurs présumés de ces violences.
En 2011, peu après l’arrivée de ce mouvement en France (il est originaire d’Amérique du Nord), il est visé par une action en justice ministère de l’Intérieur, qui parvient à faire filtrer l’un de ses sites les plus importants. Une victoire pourtant de courte durée : les sites miroirs (qui reprennent le contenu) se multiplient.
L’effet Flamby
Mais si l’on parle souvent d’effet Streisand pour Wikileaks et Copwatch, d’autres les associent à un phénomène moins connu : « l’effet Flamby ». Popularisé par Benjamin Bayart, militant pour la neutralité du net, l’effet Flamby intervient lorsqu’un site déjà connu est attaqué. Son contenu est alors répliqué un peu partout, aboutissant à l’effet inverse de celui recherché par les autorités. Pour comprendre l’origine de ce nom, rien de tel qu’une infographie :
CC BY-SA Desbenoit – https://internetetmoi.fr
La différence entre Streisand et Flamby tient à la notoriété initiale de l’information, ce qui ne permet pas forcément de faire une distinction nette : si Wikileaks, largement évoqué dans les médias, s’apparente nettement au second, la qualification de l’affaire Copwatch peut prêter à débat.
Ces phénomènes empêchent une information d’être retirée du réseau, ce qui est à double-tranchant : comme à chaque fois qu’il s’agit de liberté d’expression, on a les partisans du « tout pouvoir dire » et ceux qui veulent garder des limites – notamment la vie privée et le droit à l’image. Et vous, qu’en pensez-vous ?
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