La domination économique, politique et culturelle des Etats-Unis est si évidente aujourd’hui que le thème de l’impérialisme américain est devenu inévitable.
Cependant, cette volonté de domination n’est pas aussi récente que l’on peut le croire, et est fondatrice de l’identité américaine. En effet, outre les indéniables intérêts économiques et stratégiques que les Américains ont cherché à retirer de l’expansionnisme, c’est avant tout une morale puritaine anglo-saxonne et un idéal d’extension de la démocratie et de la souveraineté nationale qui a poussé le peuple américain à accepter puis à vouloir cette expansion.
L’impérialisme est en réalité la manifestation concrète du messianisme américain, ou exceptionnalisme : pour les Etats-Unis, le caractère « exceptionnel » de ce pays leur confère des devoirs moraux vis-à-vis de l’humanité toute entière. Sans comprendre cet aspect idéologique fondamental de la culture américaine, il est aujourd’hui impossible de comprendre la politique étrangère américaine.
Le passé des Etats-Unis est aujourd’hui encore très présent dans les mentalités. Les premiers colons américains, qui forment désormais la fameuse classe des WASP (white anglo-saxon protestants), étaient en très grande majorité des Européens réformés ayant quitté le Vieux Continent pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes dans leur pays d’origine. Aussi, ce qui deviendra les Etats-Unis leur apparaît très clairement être une terre promise, la "Nouvelle Jérusalem". L’histoire des Etats-Unis et de l’énergie déployée pour conquérir puis domestiquer cet espace est intimement liée à la certitude des Puritains d’être envoyés sur cette nouvelle terre pour y accomplir l’oeuvre de Dieu.
En 1630, le pasteur John Winthrop tient dans la toute nouvelle colonie du Massachusetts dont il est gouverneur un discours qui deviendra un mythe fondateur des Etats-Unis : "We shall be as a city upon a hill, the eyes of all people are upon us" ("Nous devons être une cité au-dessus de la colline, les yeux du monde entier sont tournés vers nous"). Le nouveau pays doit être, en raison d’un pacte spécial avec Dieu, le phare irréprochable de la liberté et de la tolérance, et ses habitants ont une mission à réaliser sur terre.
La Guerre d’Indépendance des Etats-Unis (1775-1783) pose les fondements politiques et non plus religieux de l’exceptionnalisme américain : d’une part, l’héritage moral et politique de la Guerre d’Indépendance pousse les Américains à intervenir à l’extérieur de leurs frontières pour étendre le champ de la démocratie. D’autre part, l’Indépendance américaine elle-même et le droit à l’autodétermination des peuples qui l’a portée conduisent les Etats-Unis à s’ériger en défenseur de la souveraineté des autres peuples.
Ce messianisme est ravivé durant le XIXème siècle avec la formule de John O’Sullivan de "manifest destiny" ("destinée manifeste"), formule qui souligne la mission divine de l’Amérique, octroyée par la Providence, de s’étendre et de répandre, par la conquête s’il le faut, la démocratie et la liberté. Plus proche de nous dans le temps, on retrouve la même idée dans l’affirmation de Madeleine Albright voyant dans les Etats-Unis une "nation indispensable".
Il apparaît donc évident que cette conscience d’un destin évident est bien antérieure à la capacité de puissance des Etats-Unis : l’impérialisme n’a pas attendu l’hyper-puissance pour s’exprimer. "Le soldat américain est différent de tous les soldats de tous les autres pays depuis que le monde est monde. Il est l’avant-garde de la liberté et de la justice, de la loi et de l’ordre, de la paix et du bonheur", une citation de Donald Rusmfeld sur l’Irak ? Non, une phrase prononcée par le Secrétaire d’Etat Elihu Root en 1898…
Invoquer Dieu et les valeurs morales suprêmes dans des discours politiques n’est pas chose nouvelle, et replacer l’importance de la religiosité dans le politique dans une continuité historique longue permet de ne pas voir en Bush qu’un "illuminé" qui romprait avec toutes les traditions de son pays…
Depuis la fin de la Guerre froide, le visage de l’impérialisme américain a changé : il peut moins se cacher derrière la défense de la démocratie pour justifier ses actions à l’extérieur. La 1ère et surtout la 2nde Guerres du Golfe ont montré que les justifications morales étaient de moins en moins acceptées comme argumentation valable. Ainsi, les Etats-Unis ont quitté la catégorie des impérialistes messianiques pour entrer dans celles des impérialistes classiques, qui fondent leur action sur la défense de leurs intérêts. En l’absence d’un ennemi désigné depuis le début des années 1990, les Etats-Unis ont fait preuve d’un ultra-impérialisme sur l’ensemble du globe.
Quel impérialisme face au terrorisme transnational ? Les attributs classiques de l’impérialisme américain sont dépourvus d’efficacité devant la menace qui a émergé ces dernières années. Le modèle développé par les Etats-Unis durant la Guerre froide n’est en effet opérationnel que dans le cadre de relations interétatiques et doit donc être entièrement repensé. On observe donc un repositionnement du balancier vers une politique plus messianique, comme le montre le projet Grand Moyen-Orient (doctrine de remodelage politique, économique et social de 22 pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient élaborée par la Président Bush à partir de 2003, visant à faire de la région une zone démocratique laïcisée).
Il faut également souligner que le visage de l’impérialisme américain a changé. Certes, les interventions en Irak et en Afghanistan montrent que la domination militaire est toujours d’usage. Cependant, l’Empire américain s’appuie désormais incontestablement sur sa domination culturelle, assurée par les « armes de distraction massive », musique, télévision et cinéma en premier lieu. On voit nettement apparaître un impérialisme culturel américain, bien loin des pères fondateurs puritains !
En somme, l’histoire de l’impérialisme américain, imprégné de messianisme et d’exceptionnalisme, se résume à un paradoxe : la volonté de protéger des peuples considérés comme non-civilisés des appétits impérialistes (du Vieux Monde tout d’abord, du communisme ensuite) a poussé les Etats-Unis à devenir eux-mêmes des conquérants et des dominateurs. La désintégration du bloc soviétique a entraîné une évolution du messianisme américain, qui a dû redéfinir ses cibles et ses moyens. Les nouveaux canaux privilégiés de la domination américaine sont en particulier les vecteurs culturels, qui transmettent de façon extrêmement efficace le modèle de société, les valeurs et le mode de vie des Américains dans le monde entier.
L’exception américaine (Pascal Gauchon)
L’éditeur en dit : « Les Français sont fiers de leur « exception » qui permet à la fois de poser au modèle et de se sentir inimitables. En même temps, ils craignent qu’elle ne se dissolve dans la mondialisation qu’ils assimilent immédiatement à l’américanisation. C’est dire que, dans la nouvelle économie mondialisée, il est une exception différente de toutes les autres, une « exception exceptionnelle » : celle des États-Unis d’où semblent partir toutes les forces poussant à l’unification et à l’uniformisation de la planète, comme si le Nouveau Monde avait décidé d’absorber l’Ancien. Cette exception américaine, dix-sept auteurs, enseignants en classes préparatoires, l’ont analysée sous toutes ses facettes, entre autres : food power, nouvelles technologies, pouvoir de la justice et des médias, communautarisme, inégalités, politique environnementale, » hyperpuissance » économique, militaire et culturelle, religiosité, poids des déficits… sans oublier le rôle du Président, « l’homme le plus puissant du monde à l’exception de tous les autres ».Une analyse indispensable pour tous ceux qui veulent connaître, au-delà des idées reçues, ce pays finalement méconnu au moment où son destin s’infléchit.«
« De la terre promise à l’Ouest américain : les transformations d’un espace-temps mythique » (Armand Abécassis) in La Bible – images, mythes et traditions
Mademoiselle Coco en dit : Une étude replaçant très précisément dans son contexte religieux l’histoire des Etats-Unis en tant que « Nouvelle Jérusalem ».
Les armes de distraction massive (Matthew Fraser)
L’éditeur en dit : « La puissance américaine a toujours déclenché des réactions diverses et ambiguës, suscitant l’admiration et l’envie des uns et provoquant le ressentiment et l’hostilité des autres. Et force est de constater qu’au cours des quatre dernières années, sous le gouvernement de George W. Bush, les contestataires de la mondialisation condamnent plus encore les Etats-Unis, qu’ils considèrent comme une force aveugle dirigée par les valeurs commerciales de l’Amérique des marques. Aux quatre coins du globe et particulièrement dans les pays non occidentaux, les icônes de la culture américaine, de MTV à McDonald’s, irritent précisément parce qu’elles sont si séduisantes. Or, si la mondialisation à l’américaine est considérée comme subversive, c’est parce que ses messages sont transmis avec une grande efficacité et accueillis avec beaucoup d’empressement. Cet essai fournit une analyse détaillée, historique et contemporaine du rôle complexe que joue la puissance non militaire, baptisée puissance » douce « , qui renvoie aux ressources symboliques de la culture populaire américaine. Réparties en quatre sections portant respectivement sur le cinéma, la télévision, la musique pop et le prêt-à-manger, les pages qui suivent démontrent que l’arsenal de cette puissance douce contient des armes impressionnantes de distraction massive. A l’aube du XXIe siècle, Les Armes de distraction massive est un ouvrage prenant, à la fois instructif et provocateur, sur la politique étrangère et la culture populaire américaines.«
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Les Commentaires
Par contre, j'ai eu du mal avec ce bout de phrase:
"Il apparaît donc évident que cette conscience d'un destin évident"
(Mais je ne te jette pas la pierre, j'ai moi aussi tendance à répeter trop souvent certains termes)
En tout cas, bravo pour la rubrique, les idées d'articles, et les articles eux-même qui doivent prendre pas mal de temps!!