« Je m’appelle Lila, et j’aurai quarante ans dans deux mois. J’ai deux filles de 7 ans et bientôt 13 ans, que j’élève seule depuis les 18 mois de ma première fille. Mon deuxième enfant a été conçu avec un géniteur, alors que ma situation professionnelle semblait stable, fiable et financièrement pertinente. J’ai fait cela par désir d’agrandir ma famille, mais avec cette peur de refaire confiance à un énième homme irresponsable au bout du compte.
À l’époque, j’étais cheffe de projet communication, et j’ai été mise au placard lors de ma grossesse.
Être mère solo et en précarité financière
Aujourd’hui, je travaille à temps plein pour une CAF en Poitou-Charentes, depuis plus de 5 ans. C’est un job alimentaire, avec horaires compatibles avec ma vie de mère isolée. Le salaire est médiocre, et le job n’est pas compliqué, vu mon bagage, si ce n’est psychologiquement. Je dois supporter, pour la majeure partie, la misère humaine et familiale, sans jugement et avec bienveillance. Rien à voir avec mes 10 ans de marketing-publicité-communication que je faisais avant cette nouvelle vie faite de sacrifices et de compromis.
Maintenant, on compte tout. Et parfois, on oublie que l’on n’est pas Crésus, et on craque, et on dépense. C’est toujours pour mes marmots, presque jamais pour moi.
Le père de l’aînée verse une pension minime et ne voit plus son enfant depuis janvier 2020. Pourtant, il a de l’argent ! Beaucoup. Mais il gruge le fisc et se rend insolvable. Ce n’est pas un cas isolé malheureusement.
Avant ce boulot, j’ai connu le RSA, j’ai connu la famille recomposée, les jobs précaires. Aujourd’hui, je me considère comme bien lotie, et je suis payée en dessous du SMIC. Dans mon job, on n’est pas fonctionnaire et on a des grilles salariales non revalorisées malgré l’inflation. Mais la chance que j’ai, c’est que c’est payé sur 14 mois, avec la sécurité de l’emploi. Mais seule avec deux enfants, ça ne suffit pas.
Le manque d’aide de l’État pour les mères solo
Je perçois des allocations familiales pour deux enfants : l’allocation de soutien familial pour la petite et un complément pour la grande. Je touche également des allocations logement, mais elles sont minimes, car j’habite à 10 km de mon boulot. J’ai donc peu de frais réels à déclarer, et les plafonds des aides au logement sont ridicules.
Je touche très peu de Prime d’activité, moins qu’une famille de quatre, avec deux enfants et deux parents salariés au Smic. Actuellement, je touche en moyenne 75 euros de prime d’activité alors que deux Smic touchent près de 300 euros en plus de leurs salaires et des aides liées aux enfants.
En gros, chaque mois, allocations comprises — dont celles au logement — je touche moins de 1900 euros pour faire vivre trois personnes. Je dois assumer le loyer, les cantines, les centres aérés, les garderies, puisqu’il n’y a plus aucune aide à la garde à compter des six ans de l’enfant. À cela s’ajoutent les dépenses courantes, les assurances, la santé non remboursée, les loisirs et les sports des enfants, la gestion et l’intendance de la maison en plus de mon travail. Seule.
Financièrement, je pense que les familles isolées ne devraient pas voir la pension alimentaire et les allocations prises en compte dans le calcul de la prime d’activité.
Lila
Le manque de relai
Je suis épuisée, car je n’ai aucun relai. Je ne peux pas prendre de baby-sitter, c’est trop cher pour moi. Quant à ma famille, elle habite à 400 km et ne peut m’aider. Les mois sont serrés, nous louons un logement HLM dans un village bourgeois, et les enfants ne comprennent pas forcément les restrictions budgétaires comparées à leurs copains et copines.
Je leur inculque des valeurs qui me tiennent à cœur, et qui ne sont pas basées sur la réussite financière. Mais moi, je dois être irréprochable. Tout repose sur mes épaules.
Financièrement, je pense que les familles isolées ne devraient pas voir la pension alimentaire et les allocations prises en compte dans le calcul de la prime d’activité. La pension alimentaire ne devrait pas compter dans les impôts, alors même que le parent débiteur peut lui la retrancher de ses ressources sans pour autant assumer son rôle de parent. Je rappelle que je travaille dans un organisme où je suis confrontée à cela tous les jours, et les règles ne sont pas justes.
Si l’État n’a pas à se substituer aux parents défaillants, il ne peut pas non plus punir et rendre la vie compliquée pour les femmes — qui représentent 84 % des foyers monoparentaux.
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Être mère célibataire et isolée
Cette vie est compliquée, et je ne peux la partager avec un compagnon, car je n’ai pas de temps à consacrer à autrui. Ou en tout cas, pas le même temps que celui d’une famille séparée en garde alternée, ou avec de la famille pour épauler. Je ne suis pas la seule dans ce cas, et cela nous isole. C’est la même chose pour avoir un cercle amical, c’est inexistant ! Car on n’a pas le temps de papoter et de construire des relations non superficielles ! Le temps est compté, l’emploi du temps est militaire.
Certes, je connais beaucoup de monde, mais je ne peux compter sur personne et me lier, avec profondeur, avec personne. La mère solo dérange ! On se sent fortes et vulnérables, battantes et fragiles, illégitimes, épuisées, fières, mais pas vraiment soutenues ni épaulées.
Force et honneur à toutes les familles. »
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Les Commentaires
Dans les années 80-90, ma mère gagnait l'équivalent de 1500€ et faisait vivre confortablement une famille de 5 avec (et avait pu acheter un grand appart). De nos jours, avec un salaire pareil pour 5, il faudrait décider quel gamin sacrifier pour le dîner.
Mais c'est la faute des mères, hein.