Je suis votre sauveur est un court métrage du Nikon Film Festival 2017 qui a été sélectionné pour faire partie des 50 finalistes du Prix du Jury.
Et honnêtement, il envoie du lourd (et des frissons). Deux jeunes femmes, visiblement étrangères se retrouvent coincées sur une petite route de campagne avec un pneu crevé.
Heureusement, un automobiliste s’arrête et les aide, mais finit par les inquiéter et ces dernières s’enfuient en voiture, cherchant à échapper au danger…
Je suis votre sauveur, par Pierre Amstutz Roch
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Si tu n’as pas regardé le court-métrage et que tu es directement en train de lire la suite de l’article, je te préviens : je vais spoiler l’histoire, donc c’est ta dernière chance d’aller le regarder avant qu’il ne soit trop tard.
ATTENTION ÇA VA SPOILER ET C’EST FORT DOMMAGE VRAIMENT
Des personnages réalistes et des situations bien amenées
Tout est réussi dans ce film aux choix de réalisation très originaux, qui embarquent le spectateur au coeur de l’histoire.
La grande force de ce court-métrage, selon moi, c’est de réussir à dépeindre des personnages réalistes avec plusieurs facettes, et ce en à peine deux minutes.
Car si le rythme est aussi haletant, c’est qu’en quelques instant, un type a priori ordinaire, voire un peu plus sympa que la plupart des gens, se transforme en relou un peu inquiétant, puis carrément flippant, allant jusqu’à poursuivre les deux protagonistes en voiture…
Pour finalement que l’on découvre qu’il souhaitait simplement les prévenir d’un danger imminent, comme le révèle la chute (glaçante) du court-métrage.
Drague, harcèlement, et pourquoi les femmes ont (souvent) peur
L’ironie du titre ne m’a donc pas échappé : au début de la scène, l’une des jeunes femmes dit à leur interlocuteur qu’il leur sauve la vie (« You’re a life savior »), une bien belle hyperbole des familles. Façon de parler, car le gentleman ne fait que changer une roue de voiture.
De « sauveur », cet homme devient une menace, mais finalement à nouveau sauveur… trop tard sans doute, comme le suspense de la fin le laisse présager.
Ou comment mettre en scène l’angoisse ordinaire de nombreuses femmes dans l’espace public : avoir la sensation permanente d’être une proie, ne jamais savoir si l’inconnu qui s’approche est un prédateur ou un allié…
Pierre Amstutz Roch réalise son 2ème court-métrage
Intriguée, j’ai donc contacté le réalisateur de Je suis votre sauveur, Pierre Amstutz Roch, 27 ans, qui confirme :
« Le titre m’est venu au moment où on a tourné cette scène. Quand j’ai entendu cette phrase « Tu es notre sauveur », je me suis dit que ça serait parfait pour le titre… il aurait effectivement pu les sauver, pour de vrai et pas uniquement en changeant un pneu, s’il ne s’était pas comporté comme un connard.
– Tu dis que le personnage se comporte comme un connard, qu’est-ce qui te fait dire ça et pourquoi c’est important ?
– Je pars du principe que dans une rencontre, le contexte joue beaucoup. Là, on a deux filles qui sont étrangères, ne parlent pas la langue et sont un peu paumées, coincées avec leur pneu crevé.
Du coup, elles ont cette réaction un peu naïve, elles se disent « trop de chance, quelqu’un nous aide ».
Je voulais instaurer un peu de légèreté voire de séduction, puis qu’il y ait un revirement, que le mec se révèle être lourd, mais aussi un peu flippant. Ce n’est même pas tant dans ce qu’il dit que dans la façon qu’il a de le montrer.
Même si au final, ce n’était que ce rentre-dedans non voulu dont les filles ont malheureusement beaucoup l’habitude.
– En particulier le moment où il leur dit « vous pourriez trouver un moyen de me remercier d’être votre sauveur », non ?
– Oui, c’est aussi cette façon d’estimer qu’elles doivent lui être reconnaissantes parce qu’il a changé leur pneu.
Leur réaction est très humaine, c’est un peu comme si elles disaient « mec, est-ce qu’on ne peut pas juste être des êtres humains sans tout de suite que ce soit lourdingue, ou que ça parle de cul ? C’est ridicule, tu t’attendais à quoi ? »
Ça vient aussi d’une expérience que j’ai eu, où quelque chose m’a vraiment étonné. Je marchais avec une amie dans la rue, et j’ai vu deux filles à proximité.
Un homme âgé s’est approché d’elle et a crié aux deux filles « Moi je prends la grande !», j’ai trouvé ça hallucinant.
Dans le court-métrage, peut-être que la réaction de l’homme est exagérée, mais ça ne me surprendrait pas non plus si ça arrivait dans la vie, des connards de ce genre qui vont emmerder les filles, il y en a. »
« – Pourtant il déploie beaucoup d’efforts pour prévenir les deux filles du danger qu’elles courent…
– Il reste humain : oui, c’est un mec lourdingue, mais comme il en va de la vie de personnes, il va tenter de les prévenir.
Je pense que les gens qui sont lourds comme l’homme du court-métrage existent, et qu’ils sont quand même capables d’être des gens bien dans certaines situations.
Ça ne veut pas dire qu’il faut oublier leurs défauts, mais personne n’est totalement blanc ou noir. Il s’est comporté comme un connard, mais n’est pas qu’un connard. »
En substance, le court-métrage permet donc de rappeler que le harcèlement commence là où le consentement s’arrête.
Car après tout, l’homme de Je suis votre sauveur aurait pu être dans la séduction, s’il n’avait pas cherché à profiter d’une situation à son avantage et oublier qu’il s’adressait à deux êtres humains, avant de s’adresser à deux vagins pourvus de jambes…
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Et oui, son insistance crée de la peur chez ces deux jeunes femmes qui sont dans un pays étranger, isolées. Même si le danger vient d’ailleurs.
« – La deuxième partie de ton court-métrage est beaucoup plus haletante, elle joue un peu sur les nerfs, tu avais déjà fait des films de ce genre avant ?
– Je voulais prendre le temps de poser la situation pour pouvoir créer un revirement, où tout s’accélère.
Le changement de rythme est intéressant, et je voulais aussi pouvoir jouer avec l’idée d’une caméra embarquée.
En fait, c’est la première fois que je m’essaie à l’horreur, si on peut appeler ça de l’horreur, disons à défaut à un genre plus sombre.
C’était aussi l’occasion de traiter de thèmes un peu plus modernes comme les nouvelles technologies, avec les caméra, les smartphones, les réseaux sociaux, et le rapport que l’on entretient avec eux.
Par exemple, dans le court, l’homme entend le nom d’une des deux filles pendant qu’elles plaisantent, ce qui lui permet plus tard de l’ajouter sur Facebook…
J’avoue qu’en 2 minutes 20 [la durée maximale autorisée pour les courts métrages du Nikon Film Festival, NDLR], ce n’est pas toujours évident, et à vrai dire ça a été une surprise d’être sélectionné parmi les finalistes, étant donné que j’ai posté ma vidéo 10 jours avant la sélection et que je n’avais que 400 vues. »
Pour ma part, je me dis que ça valait le coup d’attendre que le film soit disponible, vu sa finesse et son efficacité. Tu peux d’ailleurs aller voter pour Je suis votre sauveur jusqu’au 15 février pour le Prix du Public !
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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