Les fêtes de Noël sont censées être une période magique, emplie de joie, de partage et de festivités. Malheureusement, pour moi, elles sont devenues une épreuve annuelle, un véritable parcours du combattant au sein de ma propre famille. Chaque année, je fais face à un défi qui va au-delà du simple choix des cadeaux et des décorations : je suis végétarienne dans une famille de viandards fiers de l’être.
Une culture carnée très ancrée
J’ai grandi dans une famille originaire du sud-ouest, où déguster du confit de canard fait partie intégrante de la culture familiale : mon grand-père paternel était éleveur de canards et l’autre a longtemps travaillé comme boucher sur les marchés.
Autant vous dire que j’ai goûté tout un tas de mets carnés dès que j’ai eu suffisamment de dents pour les manger. Et même si mes parents ont bien conscience que manger trop de viande n’est pas forcément bon pour la santé, il est hors de question pour eux d’envisager de ne pas en manger, ne serait-ce qu’une semaine entière.
J’ai donc grandi dans cette culture de la viande et du « bien manger » que m’a transmis ma famille. J’ai encore aujourd’hui plein souvenirs de barbecue organisés pour les cousinades, de côtes de boeuf que mon père et mon grand-père cuisinaient ensemble les jours d’été, de tables du dimanche où trônait un poulet rôti et du grand plat en terre cuite dans laquelle ma mamie préparait des terrines de campagne maison.
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Devenir végétarienne, une décision mûrement réfléchie
Aujourd’hui, cela fait pourtant sept ans que je ne mange plus ni viande, ni poisson. Mon engagement envers le végétarisme a commencé alors que j’étais étudiante, lorsque j’ai commencé à vivre mes propres expériences et à faire de nouvelles rencontres, loin du carcan familial. Parmi mes ami·es de la fac, plusieurs étaient végétarien·nes et ont pris le temps de m’expliquer leurs convictions : celles du respect de la vie animale et la nécessité de réduire notre impact sur l’environnement. Leur discours n’a pas fait « tilt » tout de suite. J’ai mis du temps à maturer cette idée, mais j’ai été définitivement convaincue lorsque j’ai vu une vidéo de l’association L214 sur ce qui se passait dans un abattoir de porcs. J’avais beau aimer manger de la viande, je n’avais plus envie de participer cette violence banalisée , consensuelle envers les animaux. Le jour où j’ai vu cette vidéo, c’en a été terminé de ma dissociation cognitive. J’ai décidé de ne plus manger de viande et de poisson et je suis depuis complètement alignée avec ce choix.
Mais depuis, chaque moment familial met à l’épreuve ma détermination. Pour vous donner un exemple, ma mère pense qu’elle cuisine végétarien quand elle fait une quiche lorraine car « les lardons, c’est pas de la viande »…
Quand j’ai donc annoncé quelques semaines avant Noël 2016 à mes parents que j’étais devenue végétarienne, j’ai cru que le ciel leur était tombé sur la tête. Je pense que ça n’aurait pas été pire si je leur avais annoncé que je devenais nonne. Mon père n’a sur le coup rien dit, mais ma mère m’a demandé « pourquoi c’était si difficile pour moi de participer à une tradition familiale ». J’ai eu beau leur expliquer que c’était un choix personnel qui ne remettait pas en cause mon amour pour eux, je sais que je les ai déçus.
Sur le coup, ça m’a fait très mal. Je me sentais à part dans ma propre famille, celle que j’aimais pour ma part sans réserve. La cassure s’est encore accentuée à Noël, lorsque mes parents n’ont prévu absolument aucune option végé pour le réveillon. J’avais eu beau le leur demander gentiment, ils m’ont fait comprendre que ce n’était pas à eux de s’adapter à « mon régime alimentaire spécial », mais à moi de faire des efforts.
Lors de ce Noël, où ma famille a mangé une ribambelle de plats de fête – des huîtres au foie gras le 24, au fameux chapon du 25 – je me rappelle de n’avoir pu manger que des gâteaux apéritifs, des pommes dauphines et de la bûche.
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Une incompréhension persistante
Depuis, chaque Noël est une épreuve. Les discussions animées autour du menu deviennent un terrain miné où mes convictions entrent en collision avec les traditions familiales. Chaque année, j’espère secrètement que cette fois-ci, mes parents comprendront mon point de vue, ou du moins feront preuve d’ouverture d’esprit. Cependant, la réalité est souvent bien différente.
J’ai par exemple dû me résoudre à cuisiner et à apporter mon propre repas de Noël, différent de celui de ma famille. Mais là encore, je dois justifier mon choix. « Mais c’est Noël, tu pourrais faire une exception ! » est sans doute la phrase qu’on m’a le plus dite ces dernières années.
Il faut aussi compter sur les interrogations, souvent maladroites, des autres membres de ma famille. « Pourquoi est-ce que tu te prives ? », « Ça ne te manque pas, le foie gras ? »… Au fil des années, j’ai appris à anticiper ces moments difficiles. Je prépare ma défense, donne des chiffres du GIEC sur l’empreinte carbone de la production de viande et de la pêche, leur parle de ce subissent les animaux dans les abattoirs… Mais sans grand résultat. Comme la politique, mon végétarisme est un sujet que je préfère éviter en famille.
Un réconfort a quand même eu lieu l’an dernier : mon frère m’a prise à part pour me dire qu’il était désolé d’avoir été désagréable avec moi, qu’il aurait dû accepter mon choix, et que lui-même avait aujourd’hui conscience du mal que la production de viande faisait à l’environnement. Ça m’a vraiment fait chaud au cœur.
En fait, ce qui me blesse le plus, c’est l’incompréhension persistante de mes parents. L’idée que mon choix alimentaire n’est pas une simple lubie passagère, mais un engagement profond, leur échappe complètement. Honnêtement, j’adore mes parents, mais ce point de friction a cassé quelque chose entre nous. Je m’en rends bien compte : je vais les voir moins souvent et quand j’y vais, je ne m’attarde plus.
Cette année d’ailleurs, les choses vont changer : pour la première fois, je vais passer les fêtes dans la famille de ma copine, qui est aussi végétarienne. Et je vois déjà la différence : sa mère dit qu’elle préparerait un menu sans viande ni poisson pour nous deux, sans que ça ne pose aucun problème.
Je garde quand même l’espoir que mes parents finiront par accepter mon choix et respecteront ma décision. Peut-être qu’un jour, les fêtes de Noël ne seront plus un enfer, mais une période de compréhension mutuelle, de respect des différences, et de célébration de l’amour et de l’unité familiale, sans compromettre mes convictions profondes.
* Le prénom a été modifié.
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Les Commentaires
J'ai l'impression que chaque resto qui s'est penché sur la question (ce qui est déjà cool :cretin a sa propre interprétation de "que veut la clientèle végé ?", et que cette dernière ne conviendra pas toujours à tout le monde. De là à dire qu'il faudrait donc qu'il y ait plus d'une option disponible à chaque fois, comme effectivement en Angleterre où il y en avait toujours facilement 3-4...