Les anglophones utilisent parfois le terme de « third culture kid », enfant de troisième culture en français. Il décrit le fait de grandir au sein d’une ou de plusieurs cultures qui ne sont pas celles de ses parents, et c’est un terme dans lequel je me retrouve à 100%. Car entre ma naissance et mes 19 ans, j’ai déménagé en moyenne tous les deux ans !
De pays en pays ou de ville en ville, ma période la plus courte dans un endroit a été de deux mois, et la plus longue de quatre ans.
De la Bretagne au Niger, en passant par le Portugal
Mes parents sont diplomates, et j’ai hérité de leurs deux nationalités respectives : française et burkinabè. Même si je n’ai jamais vécu au Burkina Faso, j’y ai passé toutes mes périodes de vacances. À l’âge adulte, je me suis installée en France et j’y ai construit ma vie. Aujourd’hui, ces deux pays sont mon chez-moi, mes pays d’origine.
Je suis née dans un pays où je ne suis jamais retournée, puis j’ai vécu pêle-mêle en Bretagne, aux États-Unis, à Paris, à Fort-de-France, en région Centre, au Niger, au Portugal, en Éthiopie, à Carcassonne….
Les endroits où j’ai passé du temps sont nombreux, et je peux difficilement diviser ma vie en périodes scolaires comme le font tant d’autres personnes. Mes trois années de lycée, par exemple, se sont déroulées dans quatre pays différents !
Je n’ai jamais eu de problème de barrière de la langue, cela dit : au vu du métier de mes parents, j’ai eu le privilège de faire toute ma scolarité dans des lycées français internationaux, ou avec le français pour langue principale. Quand j’étais en France, j’étais inscrite dans le système public.
Quand j’étais enfant ou ado, je ne questionnais pas trop ce mode de vie : j’aimais pouvoir me réinventer à chaque nouvel endroit, tenter de me montrer aux gens de la manière dont j’avais envie d’être vue.
Les privilèges d’être « expatriée »
Fille de diplomates, j’ai toujours été considérée comme une expatriée et non une immigrée, deux termes dont les utilisations ne se différencient que par le racisme et le classisme de leurs usages. Par ailleurs, dans les écoles internationales où j’ai été scolarisée, les deux-tiers des élèves venaient du pays local et le reste venait d’ailleurs. La « différence » était la norme, et personne n’était mis de côté en conséquence.
J’ai toujours intégré ce mode de vie comme ma norme, mais je sais qu’il interroge beaucoup quand j’en parle. Alors, j’ai eu envie de partager un peu des avantages et des inconvénients de cette vie de third culture kid !
Il y a beaucoup de choses que je vois comme positives dans cette vie – et, j’en suis consciente, ces avantages sont dans leur immense majorité des privilèges. Avoir grandi dans des pays différents m’a permis d’apprendre les langues vivantes avec beaucoup de facilité : aujourd’hui, j’en parle cinq (le français, l’anglais, l’espagnol, le portugais et le chinois) et elles ne correspondent pas forcément aux pays où j’ai vécu !
Déménager aussi souvent a aussi terrassé ma timidité : j’ai pris l’habitude d’être la nouvelle tout le temps, de me présenter aux autres et de créer du lien. Je m’adapte aussi très facilement aux changements.
Dans la recherche d’emploi aussi, j’ai découvert que les employeurs trouvaient ça « cool », d’avoir un parcours comme le mien, même si cela n’a aucun rapport avec le job qu’ils veulent pourvoir.
Mais grandir dans ces cercles d’expatriés et de diplomates, c’est souvent vivre dans une bulle. Les gens qu’on côtoie ont des parents qui ont les mêmes types de jobs que les nôtres, viennent de milieux similaires… Et revenir à la réalité peut vite être choquant.
Des cultures différentes au sein de la famille
La particularité de ce mode de vie, c’est qu‘au sein d’une même famille, on peut avoir des expériences très différentes. Dans la mienne, mes deux parents viennent de pays et de cultures différentes, mais mes frères, mes sœurs et moi sentons aussi des différences entre nous !
Moi, j’ai passé la majorité de mon enfance en Afrique, et je me sens africaine. Mon frère a passé plus de temps aux États-Unis, donc il se sent américain. Et en conséquence, il y a des points sur lesquels on se comprend peu : lui a baigné dans un environnement très multiculturel, et il n’a pas subi les mêmes discriminations que moi. Du coup, il n’est pas aussi sensibilisé aux questions antiracistes que moi.
Ces différences de parcours ont créé des rapports au monde différents, même entre nous !
« Je ne saurais pas dire ce qu’est la stabilité »
On me demande souvent quel a été le pays où j’ai préféré vivre, et je n’ai jamais de réponse. Je n’ai pas de « pays d’enfance » où j’aurais eu des souvenirs marquants, par exemple, et je n’ai jamais eu le temps de construire des attaches particulières.
Quand on sait qu’on va partir bientôt, on se comporte différemment ! Même dans le pays où je suis restée 4 ans, j’ai toujours gardé le départ dans un coin de ma tête. Cette habitude a créé chez moi une forme d’instabilité relationnelle : je n’ai pas d’amis d’enfance, j’ai grandi en voyant très peu ma famille étendue et en changeant d’entourage très souvent…
Je ne saurais pas vraiment dire ce qu’est la stabilité, ou la communauté.
Je suis française et pourtant, quand je rentre, je n’ai pas tellement les références culturelles du pays, qu’elles soient actuelles ou passées. Parfois, je me sens un peu illégitime, un peu étrangère. C’est d’autant plus compliqué pour moi que je suis métisse, et que les Français ont une fâcheuse tendance à me demander toutes les cinq minutes d’où je viens.
Une question à laquelle il serait très difficile de répondre – et qu’on ne m’a jamais autant posée ailleurs ! Je crois que j’ai plus de mal à m’intégrer en France que dans tous les endroits où j’ai vécu, alors même que je suis française parce qu’ici, on me fait tout le temps ressentir que je viens d’ailleurs.
Pourtant, j’ai une vision très claire de mon identité. Mes copines métisses qui ont grandi en France ont souvent des questionnements, sur ce plan, mais moi, j’ai eu la chance de grandir avec des gens qui venaient de partout, de passer du temps dans mes deux pays d’origine, donc ce n’est pas une question : je suis le fruit de toutes ces expériences, un patchwork d’endroits !
« Partout où j’ai vécu, j’ai intégré des bribes »
Je divise souvent ma vie en deux périodes : celle où j’ai déménagé sans cesse et celle de maintenant, en tant qu’adulte vivant en France.
Car cela fait 3 ans que je me suis stabilisée ici, en essayant de me projeter à long terme. Un exercice difficile, puisque je n’ai jamais eu l’habitude de le faire !
Je me rends compte que nombre de choses que je pense ou que je fais ne sont pas « normales » pour plein de gens. La manière de se lier d’amitié par exemple : dès que je rencontre quelqu’un qui a vécu ailleurs, même si je ne le sais pas, on devient très amis très vite, parce qu’on a en commun l’habitude de devoir profiter à fond des moments d’amitié qu’on a avant qu’ils ne s’arrêtent. Alors que chez les gens plus stables, les choses sont plus lentes et la confiance vient moins vite !
Partout où j’ai vécu, j’ai aussi intégré des bribes de code de conduite. La culture des aînés, qui influence ma manière de me comporter avec les personnes plus âgées ou plus jeunes que moi, la manière de s’adresser aux autres, surtout dans le cadre du travail, qui ne correspond pas à la franchise française parfois blessante…
Ma vie d’adulte aujourd’hui en France
J’ai 27 ans, et en ce moment, on parle beaucoup de recherche de stabilité autour de moi. Mais la stabilité, pour moi, c’est le déménagement. Je m’ennuie vite, et j’ai souvent envie d’aller voir autre chose… et j’ai du mal à me dire « Cette situation restera la même pour les dix prochaines années » .
En ce moment, on pense à acheter une maison avec mon partenaire, et j’ai beaucoup de mal à me faire à cette idée. Je me dis que je ne pourrai plus partir… Mais pour aller où ? Je sais bien que je ne peux plus déménager aussi souvent qu’avant, et surtout, je n’en ai plus envie : arriver dans un nouvel endroit sans amis, sans famille, et devoir tout reconstruire, ça me semble infaisable. Alors, je travaille sur mon ancrage géographique, pour pouvoir rester sereinement !
À lire aussi : Je pensais que la stabilité allait me rendre chiante. Au final, j’adore ça
Crédit photo : Porapak Apichodilok / Pexels
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