Madmoizelle : comment est venu ce livre ?
Il y a quatre ans, je travaillais sur un projet de scénario de court-métrage, mais le projet est tombé à l’eau, faute de financement. J’avais l’impression dans les retours qu’on me faisait qu’il y avait une forme de résistance face à l’idée d’avoir des phallus qui explosent, c’était trop radical. J’ai ensuite croisé la directrice de collection de Points, elle m’a dit : fais-en un livre ! En sortant le roman directement en poche, on se dit que le livre circule plus facilement qu’un grand format.
Madmoizelle : c’est un texte vraiment jubilatoire, qui pose la question de la violence des femmes en réponse à celle des hommes, quelle est la perception de cette question dans la société aujourd’hui ?
Je crains que les femmes et la violence soient encore des données qui paraissent incompatibles. La femme est censée être dans le care, la bienveillance, la douceur, et aussi dans une assignation à cette forme de soumission. Non seulement on subit la violence des hommes, mais on devrait négocier avec, on devrait faire preuve de pédagogie. C’est à nous de prendre en charge, de comprendre, de rassurer les hommes, de dire not all men. C’est épuisant. Et oui, à un moment, on a envie de répondre.
Madmoizelle : comment la fiction permet justement d’adresser la violence des femmes ?
Comme on est dans une œuvre imaginaire, qui touche à un fantasme partagé, on ne tombe pas sous le coup de la bienséance, on peut tout se permettre avec la fiction. C’est libératoire. Le fait que je n’ai pas pu faire ce projet en film mais en livre en dit long. La fiction est un des rares domaines où on a une vraie liberté. S’autoriser à y penser soulage, c’est une charge contre la phallocratie, on touche à la sainte bite et ils n’aiment pas.
Le viol et les agressions touchent toutes les tranches d’âge. C’est une façon de montrer aussi que la puissance de frappe et de rébellion ne sont pas uniquement détenues par les plus jeunes.
Chloé Delaume
Madmoizelle : vous faites intervenir des personnages féminins de plusieurs âges, qui s’allient ensemble, est-ce important, selon vous, les alliances transgénérationnelles ?
Oui à mort. Je ne voulais pas que ce ne soit que des jeunes filles dans la communauté des Phallers. C’est très important pour moi que ce soit un récit transgénérationnel. Le viol et les agressions touchent toutes les tranches d’âge. C’est une façon de montrer aussi que la puissance de frappe et de rébellion ne sont pas uniquement détenues par les plus jeunes. Les femmes de Phallers sont solidaires entre générations, ce qui implique un rapport aux hommes et au féminisme différents pour chacune, même si elles ont en commun le statut de victimes.
Madmoizelle : on sent beaucoup l’inspiration cinématographique, quels ont été vos films de référence ?
Je regarde majoritairement des films de genre, j’adore ça ! Le côté cinématographique, on le sent avec la description des décors, comme si la caméra traversait le champ. L’idée est vraiment venue de Scanners de David Cronenberg et de foutre du Valérie Solanas (ndlr : autrice de Scum Manifesto) là-dedans, c’est une rencontre improbable entre les deux. Dans les films de genre, les slashers ou les films gore, le corps de la femme est souvent mis à mal, j’avais envie d’inverser la vapeur.
Madmoizelle : on sent que vous vous fichez totalement d’être perçue comme hystérique ou folle, d’où vient cette force ?
C’est la magie du célibat, à 47 ans, je ne cherche plus du tout à plaire aux hommes. Le regard porté sur soi, je m’en fiche, c’est un truc de vieille dame féministe. Personnellement, je suis en saturation des hommes, j’appartiens à une génération de cinquantenaire où la déconstruction des hommes est un mythe. Ils sont enfoncés dans leurs privilèges, ils ne se rendent pas compte. En 2024, on voit bien ce que ça donne, il y en a un épinglé par jour, c’est un festival. Je n’ai plus d’empathie pour eux. La misandrie enfle avec les années. Quitte à être traitée d’hystérique, autant y aller à fond !
Phallers, Éditions Points. En librairie depuis 5 avril
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