Je suis à l’heure est un court-métrage qui prend aux tripes, en compétition pour le Nikon Film Festival, 5ème édition. Réalisé par Isabelle Quintard et Fabien Motte, il présente un monsieur tout-le-monde en route pour un entretien d’embauche, qui monte dans le RER… et s’y retrouve confronté au viol, cette horreur si ordinaire.
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Notre héros monte donc dans le RER, et entend malgré ses écouteurs une altercation qui va en s’aggravant, entre une jeune femme et un homme qui la harcèle verbalement, puis physiquement. Si on ne voit rien, on entend tout. Les questions se muent en insultes, la colère de la victime devient une terreur pure et on a à peine le temps de l’entendre appeler à l’aide avant que son agresseur ne la bâillonne, puis la viole. Dans la rame, tout le monde baisse les yeux. Personne n’intervient. Chacun•e se cache derrière un regard vague, derrière un casque audio. Personne ne viendra en aide à la victime.
Et le héros sort, sans avoir agi, comme tous les autres passagers. Il est à l’heure.
Entre agressivité et passivité
Le contraste est brutal entre la violence de l’agresseur, celle de sa victime se débattant, et la passivité des autres passager•e•s qui font mine de ne rien remarquer. Le court-métrage illustre crûment la non-assistance à personne en danger.
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On peut comprendre ce qui passe par la tête des voyageurs. Ils ont peur. Ils ne savent pas se battre. Il y a une dame d’un certain âge. Ce n’est pas mon problème. Quelqu’un finira bien par intervenir. On ne connaît pas ces personnes, de toute façon. Enfin, c’est quand même impensable, un viol, comme ça, en plein jour, dans le RER : on doit avoir mal compris la situation.
Et pourtant, même si une majorité (près de 75%) des viols sont commis par une personne connue de la victime, cela ne veut pas dire que les 25% restant sont inexistants. Les transports en commun, terreau fertile où le harcèlement de rue s’épanouit tel une méduse étendant ses tentacules, peuvent être une zone dangereuse pour de nombreuses femmes, même (voire surtout) au coeur d’une foule dense. Chacun compte sur son voisin ou sa voisine pour intervenir, et des crimes restent impunis.
Notre héros est à l’heure pour son entretien d’embauche. Mais il a laissé une femme se faire violer sans faire un geste pour l’aider, sans activer l’alarme, sans prévenir la police ou tenter de s’interposer entre son agresseur et elle, pour lui laisser le temps de s’en aller. Et pour qu’un monsieur tout-le-monde gagne quelques minutes, une victime a été violemment agressée, dans l’indifférence générale.
Certes, il faut savoir ne pas se mettre en danger inutilement. Mais rien ne changera si personne n’agit, et de nombreux violeurs resteront impunis, protégés par une société qui préfère regarder par la fenêtre plutôt que de s’impliquer.
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Isabelle Quintard, co-réalisatrice, en interview
On a pu s’entretenir avec Isabelle Quintard, co-réalisatrice avec Fabien Motte du court-métrage Je suis à l’heure.
Isabelle est journaliste, elle a travaillé sur le journal télévisé de France 2, sur L’Histoire en série, dans Sept à Huit, et sur des documentaires.
Parallèlement, j’ai commencé à écrire de la fiction, parce que le journalisme ne permet pas de tout raconter. La réalité te limite, alors que la fiction peut permettre de faire passer des messages.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
C’était suite à ce fait divers qui s’est passé dans le métro, à Lille [une jeune fille avait été victime d’agression sexuelle, aucun des passagers présents dans le wagon n’avait réagi].
J’avais été vraiment choquée, de savoir que des gens étaient à l’intérieur, dans le même wagon, qu’ils avaient peut-être vu, entendu ce qui était en train de se produire. De me dire que les gens n’avaient pas réagi, ça m’avait interpellée. Ça m’a vraiment marquée.
Tout le monde est potentiellement touché, parce qu’on s’est tous posé la question. Et si ça nous arrivait, si nous étions le témoin d’une scène pareille ? Et de fait, C’EST déjà arrivé.
Au téléphone, elle développe ses intentions :
C’était important que le personnage principal ne soit pas seul, qu’il y ait d’autres personnes dans le wagon. Chacun projette alors sur les autres sa propre inertie, son inaction. Je voulais montrer l’indifférence qu’on peut avoir dans un moment pareil.
« L’inaction des uns entraîne celle des autres »
On ne voit pas ce qu’il se passe, mais on entend. Les personnages l’entendent, malgré les écouteurs, qui nous permettent de nous isoler dans notre petite bulle. Et lorsque le personnage les enlève, quand il coupe la musique, il n’y a plus d’illusion possible, on sait qu’il entend, qu’il écoute. Et il fait le choix de ne pas agir.
Cet homme, c’est un « personnage neutre ». Ce n’est ni un salaud, ni un héros. C’est l’incarnation de la lâcheté ordinaire
Lui aussi perd quelque chose dans cette bataille. Il perd l’illusion qu’il était quelqu’un de bien.
Je trouvais que la thématique du choix se prêtait vraiment bien à cette scène. « Je suis un choix », c’est une question terrible : j’aimerais réagir… Mais quand ça se produit, est-ce qu’on en est capable ?
À chacun de se poser la question après avoir vu le film. Mon ambition, c’était de faire réagir.
Objectif atteint.
Les Commentaires
Me connaissant, si j'étais dans la même situation, il me faudrait sûrement pas mal de temps avant de comprendre ce qu'il se passe, et ensuite avant de savoir comment réagir. Comme l'a dit @Dame Andine cogite , c'est là qu'est l'importance d'en parler, et de donner des solution avant que ça se passe, parce que sur le coup on est perdu.
De plus, je peux comprendre ceux qui n'agissent pas par peur, sachant que lorsque j'ai défendu certaines personnes (contre des moqueries seulement) la situation s'est retournée contre moi.