Article publié initialement le 7 juin 2019
J’ai 33 ans, un petit gars de 3 ans, et je suis en couple avec son père depuis bientot 11 ans. Dans un témoignage publié par Madmoizelle, une lecrice parlait de son regret, parfois, d’avoir eu sa fille. Et cela m’a troublée. Car si je ne regrette pas d’avoir eu mon fils (bon ok, sauf quand il pique une crise), je regrette parfois… de lui avoir donné un tel père.
Alors, entendons-nous bien : je ne suis pas une femme battue. Je vais bien et je fais en sorte que tout fonctionne pour le mieux pour notre fils. Je pense que mon témoignage est très classique en fait, et qu’il est peut-être le reflet de ce qui se passe dans pas mal de couples ou familles.
Dès les premières semaines de notre histoire, je savais que ça allait être un poil compliqué entre nous. Les dix années et quelques d’écart, le milieu où nous avons grandi, les principes avec lesquels nous avons forgé notre caractère : nous avions BEAUCOUP de différences. À côté de cela, nous avions quand même l’envie commune de vouloir construire quelque chose à deux et d’avoir une vie tranquille ensemble, émaillée ça et là de repas avec les amis, de voyages, et de concerts.
Faire des enfants ensemble ? « Tu es encore trop gamine pour ça »
J’étais tellement étonnée qu’un homme comme lui s’intéresse à moi, pauvre gamine de 23 ans, débutante dans la vie. J’avoue que je l’admirais, et que je me suis sans doute (trop) rapidement « soumise » à son caractère plutôt froid et autoritaire. Même s’il est aussi loyal et droit, et sait faire preuve d’humour et de générosité.
Je lui avais fait part de mon envie d’avoir des enfants un jour, alors que nous étions ensemble depuis 2 ans. C’était le soir de mes 25 ans et sa réponse fut cinglante : « Tu es encore trop gamine pour ça. En plus, je ne vois pas les enfants comme un projet permettant d’être heureux ». La claque. J’ai ravalé mes larmes au resto, tenté de sourire et de relancer la discussion sur autre chose, et j’ai gardé cette envie secrète bien cachée au fond de moi.
Et puis le temps a passé. Quatre ans plus tard, un concours difficile en poche, je m’autorise enfin à voir au-delà de mes feuilles de révision. En plus, des amis de notre entourage fondent une famille, et j’avoue que ça me titille. J’ai vraiment envie d’avoir une nouvelle discussion à ce sujet avec lui… Je cherche et choisis donc mes mots avec prudence et clarté.
Essayer d’avoir un enfant ensemble et faire face à des premières déceptions
J’arrive à lui expliquer que j’ai non plus envie, mais BESOIN de fonder une famille et que j’aimerais le faire avec lui. Que s’il est toujours opposé à l’idée d’avoir un enfant avec moi, je comprends, mais que dans ce cas, nos chemins devront se séparer, car je ne veux pas me réveiller à ses côtés tous les matins et lui en vouloir. Il me répond qu’il comprend et qu’il va y réfléchir…
Quasiment un an plus tard, à la veille de mon rendez-vous chez la gynéco pour une prolongation ou non de pilule, il me dit qu’il est d’accord pour qu’on essaie d’avoir un enfant. Je suis surprise, émue, reconnaissante.
Ma grossesse se déroule plutôt bien. Il vient aux échographies, est doux avec moi, malgré quelques coups de gueule mal placés et vite recadrés par certains de ses amis. Oui, ses amis uniquement, parce qu’il ne veut pas trop côtoyer les miens, ainsi que ma famille, à de rares exceptions près. Quant à la chambre du bébé, je la prépare seule avec mes parents…
La fin du congé paternité… et le début des difficultés
L’accouchement arrive. Il est beau, fort et rapide, et notre fils naît en parfaite santé. Suivent ensuite les dix jours les plus doux de ma vie, ceux du congé paternité. Lorsque notre fils pleure, il va me le chercher dans sa chambre, l’installe en douceur près de moi pour que je l’allaite. Il va me chercher de l’eau, quelque chose à grignoter ou me prépare à manger. Il est fier et heureux. Ses larmes à la naissance de notre fils étaient sincères et émouvantes. Bref, il prend son rôle de père très à coeur.
Et puis, il reprend le travail. Et là… Changement radical de comportement. Il ne se lève plus du tout la nuit, arguant que lui, le lendemain, il doit bosser, pas faire la grasse matinée.
Le premier jour, j’ai un peu peur de me retrouver seule avec notre fils. Alors je fais venir mes parents, accompagnés de ma nièce. La journée est joyeuse. Mes parents traînent un peu, ma nièce aussi : c’est les vacances, et elle est gaga de son petit cousin. L’homme rentre, voit ma famille dans le salon, et se referme comme une huître.
Deux trois jours passent, teintés par sa mauvaise humeur… Et puis une nuit, alors que notre fils pleure de faim, je craque. Je n’en peux plus : mes mamelons sont crevassés, j’ai mal, je ne veux plus allaiter mon fils, me lever cinq fois entre minuit et 7 heures du matin. Sans compter les repas et le ménage.
Je regrette d’avoir eu un enfant avec un homme qui ne prend pas sa part
Je suis une loque humaine qui ne rêve que d’un bain et d’une après-midi rien qu’à moi. Voir l’homme ne rien faire pour m’aider me désespère et m’horripile. Physiquement, je n’en peux plus, mentalement non plus. Je ne veux plus l’entendre pleurer, je ne comprends pas pourquoi il régurgite autant mon lait , je veux juste dormir, dormir, dormir…
Je me lève quand même, vacille à cause d’un vertige, et essaye d’allaiter mon fils en pleurant, les seins en feu. L’homme se lève enfin en entendant mes sanglots, me regarde, et là… Son regard empli de doutes et de déception me transperce le cœur et me fait pleurer de plus belle. Il me dit que mon lait ne doit pas être bon et que c’est pour ça que notre fils régurgite autant… Plus tard, j’apprendrais qu’il souffrait d’un RGO (Reflux Gastro-Œsophagien), et donc que mon lait n’était pas en cause.
Le lendemain, au téléphone, il me dit qu’il n’imaginait pas que je serais comme « ça », qu’il avait imaginé que je serais une autre maman, plus douce, plus patiente. Il poursuit en me disant que ça l’avait soulé de voir ma famille dans le salon un soir de semaine à 18h30, qu’en rentrant il ne voulait voir que sa compagne et son fils, et qu’on nous foute la paix. Il conclut en me prévenant qu’il allait falloir que je change très rapidement de comportement, car sinon, « ça ne va pas le faire ».
« Je regrette d’avoir eu un enfant avec toi »
Je promets et me soumets, une fois de plus. Puis je raccroche, tremblante et perdue. Je regarde ce petit être qui dort contre moi. Punaise ! Mais qu’ai-je donc fait ?! Qui ai-je donc choisi comme papa pour toi ?! Les regrets affluent, mais je les cache vite, car j’ai toujours cet espoir là au fond, que tout redeviendra comme lors de ces dix premiers jours magiques…
Depuis, plusieurs évènements m’ont blessée, m’ont déçue, et m’ont fait à nouveau douter de mon choix. Non pas d’avoir eu un enfant, mais de l’avoir eu avec lui. Notamment quelques jours avant le premier anniversaire de notre fils, où pour une raison insignifiante, il s’est mis d’un coup à dire des phrases horribles, alors que nous étions en voiture. « Je regrette d’avoir eu un enfant avec toi, tu ne sais pas t’y prendre, qu’est ce que j’ai été con d’avoir fait ça, pourtant je le savais que tu n’étais qu’une gamine. »
Ce jour-là, tout en essayant de calmer notre fils qui pleurait à cause, sans doute, de l’atmosphère pesante, j’ai senti quelque chose se briser en moi. J’ai compris que nous ne pourrons jamais former une famille. Ma famille, cela reste mon fils, mes parents et ma grand-mère. Depuis, il s’est excusé bien sûr en disant que les mots avaient dépassé sa pensée. Mais c’était trop tard, le mal était fait.
Pourtant, il sait parfois être un père et un compagnon aimant et doux. Enfin, surtout depuis que notre fils a un an, et que cela devient « plus intéressant » d’être papa (selon lui), car il y a plus d’interactions avec l’enfant (toujours selon lui).
Je ne parviens pas à le quitter malgré les difficultés et la déception
Petit à petit, avec l’aide de ma psy et d’amis (je précise que ce sont SES amis, les miens compatissent ou se demandent encore comment je fais pour rester avec lui), j’ai réussi à m’imposer et à lui demander de prendre un ton moins cassant, ou au contraire de parler, de s’expliquer sur ce qui le ronge. Cela a permis de désamorcer pas mal de situations compliquées.
Vous vous demandez sans doute pourquoi je ne l’ai pas déjà quitté…. Il y a bientôt un an, j’ai été à deux doigts de partir en prenant mon fils sous le bras. Cela faisait dix mois que les disputes, d’habitude plutôt rares, explosaient entre nous. Il se plaignait sans arrêt de mes défauts, me dévalorisait, me dénigrait en tant que mère mais aussi en tant que personne.
Tout en me laissant absolument tout gérer à la maison. Je me levais la nuit car le petit pleurait, puis je partais ensuite au travail le matin. Je prenais des jours pour m’occuper de notre fils malade, je changeais les couches… (Ah oui, parce que le caca très peu pour lui, beurk, ça le fait vomir). Il était capable d’attendre pendant 15 minutes que je rentre du travail pour que je change notre fils.
Je levais et préparais le petit avant d’aller au boulot le samedi pendant que lui dormait sur le canapé du salon pour ne pas être réveillé par les pleurs de notre fils. J’étais aussi celle qui couchait notre fils le soir ou qui faisait un détour pour l’emmener chez la nounou avant le travail, alors qu’elle se trouvait sur son chemin à lui…
Mon fils a besoin d’un couple parental solide
Un jour où le clash est arrivé sans prévenir, je suis partie au marché avec notre fils, pour prendre l’air. Et là, je m’effondre en pleurs au volant. Mon fils, de 2 ans à l’époque, me demande avec ses mots pourquoi je pleure tant… J’essaye de lui expliquer tant bien que mal que papa m’a dit des mots très durs et que je ne sais pas si je vais pouvoir revenir habiter avec lui. Mon fils se met alors à pleurer, criant « non ! papa maman moi ! papa maman moi ! ». Le choc.
Alors j’ai séché mes larmes, j’ai souri, et je lui ai dit : « Oui mon coeur, je vais essayer de rester. Je vais tout faire pour ». Je sais, ce n’est pas bien, de rester pour les enfants, mais je n’ai pas réussi, ce jour là et depuis, à faire passer mon besoin de partir avant le besoin de mon fils : celui d’avoir son père et sa mère ensemble.
Les jours suivants, nous nous sommes expliqués. Petit à petit, nous avons réussi à avancer. Il a pris conscience qu’il était dur, que je m’épuisais à faire beaucoup de choses mais que pour lui, ce n’était jamais assez. J’ai mes torts aussi : je ne suis pas facile à vivre et assez bordélique. Je n’ai pas du tout confiance en moi et je suis assez instable, en recherche permanente d’amour et de reconnaissance.
Aujourd’hui, j’en ai pris mon parti. Il ne veut pas nous accompagner, mon fils et moi, pour voir ma famille ou mes amis ? Il ne veut pas venir à Noël dans ma famille ? Tant pis, on part sans lui. Si son fils lui demande pourquoi, il n’aura qu’à s’expliquer avec lui… Et vous savez ce qui me fait le plus de bien et de mal en même temps ? Je me sens plus libre, plus moi-même, dans ces moments là sans lui, mais je ne parviens pas à le quitter.
Il y a encore de l’amour dans notre couple malgré les difficultés
N’importe quelle personne me racontant la même histoire me ferait frémir. Je lui dirais : « mais pars ! Prends ton gosse et pars ! En plus tu regrettes ton choix la plupart du temps ! ». Sauf qu’on n’est jamais à la place de l’autre et qu’il y a souvent un contexte, un passé, des choses qu’on ne sait pas.
Si je reste, c’est parce que mon fils ressent le besoin qu’on soit tous les trois, mais aussi parce que, malgré le sombre portrait que je viens de vous dresser, il y a malgré tout de l’amour entre nous. Maladroit certes, mais il y en a. Et puis il y a de beaux et doux moments aussi, où il devient le papa et compagnon rêvé, doux, confiant, bienveillant, aidant. Où je reprend confiance en l’avenir.
Malheureusement, je reste en permanence sur mes gardes, car j‘ai toujours peur du moment où il va « casser » cette bonne ambiance. Même si maintenant j’ose mieux dire les choses, et même s’il a pris conscience que sa manière de se comporter était mauvaise. Le fait qu’on parle plus de la charge mentale dans les médias m’aide aussi à le mettre face à ses responsabilités. Et aussi à me dire que je ne suis pas la seule et que ce n’est pas de ma faute.
Faire un deuxième enfant avec le même homme ? Non, merci.
Et même si je regrette parfois de l’avoir choisi comme papa, j’essaye de faire au mieux pour nous trois et de sauver ce qui peut l’être. Par contre, j’ai renoncé à l’idée d’avoir un deuxième enfant avec lui, même si cela fait plusieurs mois qu’il essaye de me faire dire oui.
Je lui réponds que nos vies sont déjà bien remplies et que notre fils demande encore beaucoup d’attentions. Je lui rétorque que je vais bientôt avoir ma micro-entreprise tout en gardant mon travail… En plus, je suis atteinte d’une maladie causant des douleurs articulaires chroniques et une intense fatigue journalière, ce qui n’aide pas forcément à se projeter dans une nouvelle grossesse.
Et puis il y a d’autres raisons que je tais. Le fait que je n’aurai pas la force d’être seule à nouveau pour élever un enfant de plus. De tout gérer, encore, multiplié par deux. (Ou peut-être trois, puisqu’il faut aussi gérer pas mal de choses pour le papa…).
J’ai aussi peur de me retrouver seule un jour pour élever deux enfants. Je ne m’en sens pas le courage, même si, parfois, l’idée me traverse.
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