Le 18 juillet 2021
Il y a quelques années, je me suis retrouvée dans un covoiturage. Par hasard, j’étais assise entre une retraitée et une gynécologue, qui ont abordé le sujet de la ménopause.
Moi, j’étais une jeune adulte, et je commençais juste à être révoltée par l’ampleur du sexisme. Je savais déjà ce qu’était la charge mentale, ou que les corps féminins n’étaient jamais à la hauteur des standards qu’on leur impose. Mais je n’avais jamais abordé cette question de l’âge chez la femme, et je n’en avais que très peu entendu parler.
Les femmes sont-elles condamnées à avoir peur de vieillir ?
Dans la voiture, cette femme à la retraite pleurait. Elle disait avoir l’impression de ne plus servir à rien depuis qu’elle avait atteint la ménopause, qu’elle n’était plus désirée. Elle s’était fait refaire la poitrine et tirer les rides pour se sentir un peu mieux physiquement. Son mari l’avait trompée avec une femme plus jeune.
Quand le trajet s’est terminé et que je suis sortie de la voiture, j’ai pleuré et je me suis dit :
« Je n’ai pas envie d’être une femme. Je n’ai pas envie de devoir avoir peur de vieillir, de devoir faire attention au moindre détail sur mon corps, qui ne sera de toute façon jamais assez bien. Je n’ai pas envie d’avoir l’impression d’être invisible parce que j’ai dépassé 50 ans alors que les hommes, eux, ont le droit de vieillir. »
Je me suis lancée dans des études de photographie documentaire
Cet événement m’est resté dans un coin de la tête, et j’ai poursuivi mon parcours. J’ai commencé des études de psychologie, j’ai lu Beauté fatale de Mona Chollet et j’ai trouvé ça dingue de ne pas m’être rendu compte plus tôt de tout ce qu’elle y démontre.
J’ai fini par arrêter la psycho pour me lancer dans des études spécialisées en photographie documentaire. Avec mes photos, j’avais envie de parler de féminisme, de la poitrine des femmes, de sexualité…
Et puis, je me suis lancée dans mon premier projet sur la vieillesse. J’avais envie de montrer ces corps qui vieillissent, montrer celles qu’on ne veut plus regarder après leur ménopause.
Quand je l’ai annoncé à mes profs, les réactions ont été assez surprenantes : on a essayé de m’en dissuader. Pourtant, j’étais persuadée de l’importance du sujet ! Mais on me disait « Tu n’y arriveras pas. C’est trop compliqué de montrer des femmes mûres et nues. De toute façon, elles refuseront de se dénuder et de poser. »
J’ai lancé le projet Belles Mômes
J’ai commencé à réaliser à quel point la société détournait les yeux devant la vieillesse. J’ai cherché des modèles autour de moi, en proposant à des voisines, des mères d’amies, des connaissances… et elles ont toutes dit non. C’est lors d’un atelier de modèle vivant que j’ai rencontré la première des femmes de plus de 50 ans qui a accepté de poser pour moi. J’ai rencontré certaines de ses amies, qui ont accepté de participer à mon projet.
Puis, en faisant des recherches sur Instagram, je suis aussi tombée sur des influenceuses silver, des mannequins de plus de 60 ans. Je les ai contactées, et c’est comme ça que j’ai rencontré les 21 femmes qui ont construit le projet Belles Mômes.
Belles Mômes, c’est une série de photographies de femmes de plus de 50 ans passées par la ménopause, et dénudées. Belles, car elles le sont, et Mômes parce qu’on les a appelées comme ça un jour, et que nous sommes toutes et tous de grands gamins.
Pour chaque série de portraits, le processus était presque le même. J’allais chez ces personnes que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas, et avant de les photographier, nous passions un long moment à parler.
On parlait de leur vie, des évènements qui marquent les femmes, de leur rapport à leur corps et aux autres, de leurs partenaires amoureux ou sexuels… Et puis, on parlait de sujets tabous dans la société, dont on n’entend jamais parler. De sécheresse vaginale, de ménopause, de désir.
En écoutant ces vingt-et-une femmes, j’ai retrouvé les mêmes éléments dans tous leurs discours. Le sentiment d’être devenues invisibles aux yeux du monde, de ne plus exister, et de ne plus servir à rien. Dans le cadre du travail, de leur vie affective, et de leur sexualité.
Pour certaines, ne plus être vues est une source de joie : elles étaient enfin tranquilles, et elles avaient la paix vis-à-vis de leur corps. Pour d’autres, ne plus être vues était source d’une grande tristesse. Ne plus se sentir désirables les rendait tristes.
La plupart du temps, elles disaient qu’elles n’étaient pas épanouies sexuellement.
Des témoignages et des images
Je crois que ces conversations ont été les moments les plus enrichissants de ma vie. Être en mesure d’échanger de cette façon avec ses aînées est bouleversant, et il y a une grande force dans ce qu’elles m’ont transmis : l’envie que les choses changent, que les femmes de ma génération puissent vieillir différemment de la leur.
Je les ai photographiées au rolleiflex, un appareil photo argentique qui oblige à baisser la tête pour regarder dans l’appareil au moment de prendre la photo. Cela a permis une grande pudeur, un grand sentiment d’intimité entre les modèles et moi : je ne les regardais jamais directement.
Ensuite, je rentrais chez moi et je développais les photographies dans ma chambre noire. C’est le seul moment où je pouvais les regarder, et comprendre les liens entre leurs discours et leurs photos. Évidemment, je n’ai pas retouché leurs corps, seulement joué sur la lumière et les contrastes.
« Les hommes, eux, ont le droit de vieillir »
Dans mon travail de photographe, je constate tous les jours que les hommes de plus de 50 ans sont rarement retouchés, alors que les femmes du même âge le sont complètement. Elles sont tellement lissées qu’on ne les reconnaît plus, comme si le message qu’on essayait de faire passer, c’était que les femmes pourrissaient en vieillissant.
Personne ne parle jamais des rides de Gérard Depardieu : les hommes ont le droit de vieillir. Quand on constate qu’ils le font, personne ne s’attarde sur les marques de ce changement. Alors qu’on entend sans cesse parler des marques de Catherine Deneuve, par exemple.
Nous baignons dans une course malsaine vers la jeunesse. Les mannequins commencent à 16 ans et sont déjà trop vieilles pour certains domaines à 30 ans. Moi, j’ai envie de crier que nous vivons dans une société malade, que ce n’est pas normal de se dire que passer un certain âge, les femmes ne peuvent plus être belles.
J’ai 24 ans, et je ressens une pression énorme à devoir rester jeune. Me dire que le temps qui passe va me faire me sentir invisible, indésirable, c’est une source d’anxiété. Parfois, être une femme me dégoûte.
Il faut changer le regard que l’on pose sur les femmes plus âgées
Avant de discuter avec les modèles de mon projet, je n’avais aucune idée de ces problématiques, je n’y pensais jamais. Parce qu’à force de ne jamais voir de femmes de plus de 40 ans dans les films, dans les séries, ou représentées autour de soi, on oublie que la vieillesse existe, et qu’elle nous arrivera à nous aussi.
Mais depuis toutes ces discussions, je regarde beaucoup plus souvent les femmes âgées autour de moi. Et je les trouve magnifiques. Il faut apprendre à poser un autre regard sur la vieillesse, qui n’est rien de plus qu’un état du corps, un changement d’état physique.
C’est ce que j’essaie de faire dans mon travail : montrer ces corps qu’on ne regarde jamais avec tendresse, et montrer qu’ils ont autant de beauté que les autres. Qu’on puisse se dire, en les regardant, « Elle est belle » et pas « Elle a dû être belle », non seulement au sens physique, mais aussi en tant que personne.
C’est pour ça que j’ai choisi la photographie comme mode d’expression, parce que c’est un bon moyen d’ouvrir les esprits sans avoir à passer par les mots. J’aimerais qu’en voyant ces photos, on puisse se poser des questions, et se dire « Peut-être que je me trompais et que la vieillesse n’est pas moche ». Il n’y a rien de moche dans la vieillesse ! Ce qui est moche, c’est de mettre les personnes âgées de notre société de côté, en se disant « Ils sont finis ».
J’espère pouvoir exposer ce projet à Paris bientôt, et surtout continuer à l’explorer. En France, le rapport à la vieillesse est aussi culturel, et intrinsèquement lié à l’image de la femme française.
Je sais qu’en Allemagne ou au Maroc, les choses sont très différentes. J’aimerais analyser ce rapport à l’âge des femmes, partout, et le montrer. J’ai aussi envie de faire des publicités de lingerie avec des corps non retouchés, de coller des affiches, et de faire baisser, autant que possible, la pression qui pèse sur les femmes et leur physique.
Il est temps de lâcher-prise et de nous permettre de nous libérer de ces angoisses autour de notre apparence physique.
À lire aussi : « Passés 50 ans, les femmes se coltinent le sexisme et l’âgisme » : qui a peur des vieilles ?
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Et je suis d’accord avec toi sur tout