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Vie quotidienne

Je pensais que la stabilité allait me rendre chiante. Au final, j’adore ça

Longtemps, cette lectrice a eu très peur de la routine, et a cherché à l’éviter à tout prix. Ces derniers temps, toutefois, elle se surprend à l’apprécier et à y trouver ses marques.

Quand j’avais 17 ans, je m’imaginais souvent ce que serait ma vie à 30 ans. Avec des potes, on parlait de ce qu’on avait l’impression de devoir devenir, ce qu’on avait envie d’être, ce qu’on détesterait…

Certains de mes amis se voyaient mariés, propriétaires, avec des enfants. D’autres s’imaginaient richissimes, ou libres de voyager quand ils voulaient. Et ce qui est fun avec la vie, c’est que près de 13 ans plus tard, tout le monde se retrouve à faire plus ou moins l’inverse de ce qui était prévu !

À part moi, qui ai été d’une constance remarquable dans le prolongement de ma crise d’ado

Quand j’étais ado, j’imaginais la vie comme une aventure permanente

L’année de mes 17 ans, avec un ami d’enfance, nous avons écrit des lettres à notre nous du futur, celui de dans dix ans. Sur le papier, nous avions consigné nos espoirs, nos envies et nos rêves pour les années à venir. Nous les avions rangées dans une enveloppe ornée de la date de leur ouverture, pleins d’une certitude très adolescente : celle que nous serions encore aussi proches une décennie plus tard.

Évidemment, le temps est passé, nous nous sommes éloignés, et quelques années après la date prévue, nous ne nous sommes toujours pas revus. 

Ce n’est pas très grave : je me souviens très bien de ce que j’avais écrit. Un paragraphe bien trop long sur mon crush du lycée avec lequel je me voyais en relation passionnée (il m’a mis un râteau, mais pas grave — de toute façon, il était de droite) ; une diatribe sur le fait qu’il fallait que je fasse un doctorat (je ne suis pas docteure, mais j’ai effectivement passé pratiquement dix ans à la fac) ; et puis un truc un peu énervé du genre « ne te laisse jamais embarquer dans la routine, c’est nul !!!!!!!!!! » avec quatorze points d’exclamation.

Parce que j’étais une jeune femme intense.

Ma vingtaine a été bordélique, et j’adorais ça

Dans les années qui ont suivi, j’ai appliqué ce conseil à la lettre. Je me suis réorientée plusieurs fois, j’ai déménagé deux fois dans des pays dont je ne parlais pas la langue (ce qui a eu l’heureux avantage de me rentre à peu près polyglotte), j’ai eu des boulots très différents… et surtout, je n’ai jamais vécu au même endroit plus de deux ans consécutifs ! L’idée même de le faire me terrifiait.

C’était intense et très grisant : au gré des changements d’environnement, j’avais l’impression de vivre une espèce de vie de bohème, de celles qu’on vante dans les films et les séries. Je découvrais des choses, rencontrais des gens, et mon appétit ne s’apaisait jamais. J’avais envie de tout voir, sans jamais m’arrêter, et je ne m’épanouissais que quand je me donnais cette possibilité.

Et puis, il y a quelques jours, je me suis réveillée et j’ai réalisé que j’allais passer ma 3e année dans le même appartement, sans que les fourmis du déménagement ne viennent me chatouiller. Que je vivais dans la même ville depuis cinq ans, et que j’étais même en CDI, sans projet de reconversion ou de pétage de plomb à base de sac à dos et de billets d’avion à l’horizon.

Sans que je ne m’en rende compte, il m’était arrivé la chose la plus naturelle du monde : j’avais changé.

J’ai appris à aimer la stabilité

Certes, se lancer des défis et vivre comme les posters inspirants qui invitent à « sortir de sa zone de confort

» a des avantages. On a toujours des choses à raconter en soirée, on reste curieux, et on a jamais l’impression de vivre la même journée en boucle.

Mais j’ai réalisé qu’il y a une chose qu’on dit peu, quand on dénigre la routine : le struggle, ça fatigue. 

N’étant pas rentière, et ayant dû financer par moi-même toutes ces fuites en avant et autres boucles dans mon parcours, ces années ont aussi été marquées par une certaine précarité, qui allait de pair avec mon incapacité totale à me projeter à long terme.

Oui, changer de boulot ou de ville tous les ans, c’est excitant et romantique (du moins à mon sens). Angoisser à la fin du mois, beaucoup moins. Oui, se mettre dans des situations inconnues tous les six mois pour apprendre à s’en sortir, c’est une très bonne école. Mais c’est souvent suivi d’un épuisement certainement peu bénéfique pour la santé à long terme.

J’ai découvert que ce n’était pas si mal, d’avoir une zone de confort : franchement, c’est quoi le problème avec le fait d’avoir un endroit qu’on connaît, et où on se sent bien ? Et pourquoi j’ai passé autant de temps à fuir cette sensation ?

La routine, cette drôle d’inconnue dans ma vie

Depuis quelques mois maintenant, je m’attelle donc à apprivoiser la routine.

En vivant au même endroit trop longtemps, je pensais que j’allais me lasser de mes quatre murs jusqu’à me sentir frustrée. En vrai, j’ai appris à bien connaître mes voisins, et certains sont même devenus des potes avec lesquels je fais des barbecues de temps en temps.

Je panique moins quand je vais deux semaines de suite dans le même bar, avec les mêmes personnes. Je pensais que ça allait me rendre ennuyeuse de faire un peu trop souvent la même chose. Mais si je choisis de le faire, c’est parce que j’en ai envie, parce que j’aime bien ce bar et que j’ai encore envie de voir mes potes  — et je ne vais pas m’en priver !

Je pensais que j’allais m’encroûter, à force de suivre un chemin plus longiligne. Au final, ce n’est pas que je ne vis plus d’aventures excitantes, c’est juste que j’apprends à m’épanouir dans des projets à plus long terme. Je peux les voir mûrir au fil du temps et devenir de plus en plus passionnants, plutôt que d’enchaîner les envies à court terme. Et en prime, je peux utiliser toutes les qualités que j’ai développées pendant ces années d’aventure !

Être plus posée, ça me permet aussi d’être plus souvent là pour les autres, sans avoir la tête dans mille choses à la fois. Et toutes ces choses, que j’imaginais chiantes à mourir, me sont devenues très agréables : je découvre qu’il n’y a pas besoin de faire le tour du monde dans tous les sens pour vivre intensément…

À mon grand âge, je découvre qu’on peut change tout le temps

J’ai beau avoir beaucoup d’affection pour cette nouvelle vie, il faut bien être honnête : je suis encore loin d’avoir la capacité de projection pour m’endetter sur 25 ans, ou pour m’imaginer passer une décennie au même poste, à faire le même boulot. Je suis également loin de me projeter dans ce mode de vie pour toujours.

Mais pour l’instant, la stabilité, pour moi, c’est un gage de repos. Moins d’inquiétudes sur la manière dont je vais payer mes factures ce mois-ci, plus de galère de déménagements à répétition, un peu plus de facilité dans la manière dont je gère mes loisirs, ma vie sociale ou mon chat… Et ça fait du bien.

Alors, à mon moi de 17 ans qui refusait la routine et rêvait d’une vie sur les routes, j’ai envie de répondre aujourd’hui : franchement, c’est pas si mal de ne pas avoir à demander de transfert d’adresse à son fournisseur d’accès Internet tous les ans. Il y a mille manières de vivre sa vie, et la possibilité d’en expérimenter plusieurs est un privilège immense. Quand tu te sentiras prête, n’hésite pas à poser tes valises un temps… Jusqu’au prochain craquage. D’ailleurs, ça a l’air joli l’Islande. Et si j’allais vivre en Islande ?

À lire aussi : Tout plaquer pour partir voyager en voilier avec un marin argentin

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