Il faut que j’avoue un truc vraiment grave. Un truc qui va choquer. Un truc que j’ose à peine dire à mes potes. Un truc qui me met à part de la plupart des gens. Je ne sais pas si j’assume d’ailleurs. Je me sens tellement en transgression. Je me sens sale. Je me sens différente. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais plus. Au début j’ai cru que ça allait changer, que j’allais apprendre, que ça viendrait, qu’en me forçant, peut-être. Je me suis répétée qu’il y avait l’inné et l’acquis, les choses qu’on contrôlait et puis celles, viscérales, qu’on ne pouvait pas blairer, parce qu’elles nous prennent aux tripes, les choses que même l’apprentissage le plus poussé ne font pas changer.
Je me lance. Voilà. Je n’aime pas, mais vraiment pas, mais alors pas du tout, Lady Gaga.
Je n’étais pas adolescente dans les années 1970, mais je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle entre les revendications des groupes phares de ces années et de l’idole en robe de viande. De slogans globaux, de luttes contre la guerre, pour la paix, d’un combat contre l’inégalité, le racisme, nous arrivons à des luttes bien égoïstes, le droit d’être nous mêmes. Ce n’est évidemment pas rien. C’est quelque chose de capital même, d’être capable d’être soi. Mais l’idée que l’on ait aujourd’hui besoin d’artistes comme La Gaga pour nous mener vers la lumière marque pour moi le tournant de quelque chose d’important. Nos générations sont (en général, il ne s’agit pas d’attaques envers la population spécifique des madmoiZelles) nombrilo-centrées. Le besoin de performance, la culture de la réussite, le chromosome du « mieux-que-mon-voisin », voilà des attributs que nous savons développer. On pourra me rétorquer que c’est même pas vrai, qu’elle est trop impliquée, qu’elle milite à DONF contre l’homophobie, la prévention contre le sida, ouais ouais. On oubliera de préciser que ces engagements servent aussi son compte en banque, puisqu’elle a acquis en peu de temps le convoité statut d’icône Gay. Qu’il est donc normal qu’elle rende un peu à son public si généreux. Ce n’est qu’un échange, après tout.
Je lis souvent que Lady Gaga innove, qu’elle n’a pas peur de choquer, qu’elle est une artiste jusqu’au bout des ongles, dans ses tenues et dans ses paroles. Je n’ai pas voulu mourir idiote, alors j’ai regardé, j’ai lu. J’ai vu beaucoup de provocations, une volonté de s’affirmer en dehors des codes habituels de la morale, du bien pensant. Mais finalement, ce ne sont que des images, ce ne sont que des paroles de chansons. Quand le monde s’extasie sur Judas, mélodie épileptique et parole pseudo-provocantes, on oublie les centaines de milliers d’œuvres d’art consacrées au même thème, les crucifixions et les vierges à l’enfant, et plus récemment les icônes saintes des photographes Pierre et Gilles.
[rightquote]Elle use de sa force de commercialisation et de son talent de VRP pour être marginale bling-bling.[/rightquote] Lady Gaga n’invente rien. Elle met des paillettes et des faux cils sur des thèmes usés par des milliers d’artistes bien plus talentueux. Elle use de sa force de commercialisation et de son talent de VRP pour être marginale bling-bling. Elle rassure ceux qui se sentent réellement à la marge d’une société, qu’ils soient ado en mal-être, jeunes adultes en quête d’identité, mais elle apaise aussi les craintes de ceux qui se voient comme parfaitement normaux, ceux qui cherchaient un moyen encadré d’exprimer proprement leur grain de folie. Elle reste parfaitement dans la norme, malgré tous ses efforts.
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