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Société

« Je n’ai pas porté plainte parce qu’il y a des enfants en jeu » : Jade, victime d’exploitation domestique à 17 ans

Alors qu’elle vient de perdre sa mère, Jade* est forcée de rejoindre une cousine éloignée qui vit en France. Celle-ci lui promet monts et merveilles, mais la force en réalité à effectuer toutes les tâches domestiques de la maison : s’occuper des enfants, faire le ménage… Pour Madmoizelle, Jade revient sur son parcours, et raconte comment elle a finalement pu échapper à l’emprise de cette femme et, enfin, se reconstruire.

J’ai 22 ans. J’ai été victime d’exploitation quand j’étais mineure en France de 2019 à 2021. Je viens d’Afrique centrale.

« C’était un voyage forcé »

Suite au décès de ma maman, ma grande cousine qui vivait en France déjà depuis des années, m’a proposé de la rejoindre. La condition pour que je parte de mon pays d’origine était que, lorsque j’arrive en France, je continue mes études. Elle m’a dit que ça allait être un très beau pays et que j’allais découvrir beaucoup de choses. Que ça allait être trop bien, que j’allais vraiment m’éclater, que j’allais vraiment être heureuse.

Mais je n’ai pas voulu venir en France. On m’y a forcée. C’était un voyage forcé. Elle avait tout préparé avec la personne qui devait me faire voyager et elle avait tous mes documents administratifs, comme mon passeport, avec elle. Je n’ai pris que mes vêtements.

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Des tâches qui s’accumulent et des conditions de vie insupportables

Je suis arrivée directement en région parisienne, chez le mari de ma cousine. La personne qui me donnait des ordres, c’était plus ma cousine, parce qu’elle était H24 à la maison.

Je faisais la même chose chaque jour. Je cuisinais. Je faisais des tâches ménagères. L’hygiène des enfants le matin, le petit déjeuner… Il y avait aussi le nouveau-né qu’il fallait également que je prenne en charge. Je faisais parfois le biberon. J’accompagnais les enfants à l’école. Parfois, j’allais faire les courses.

Je ne mangeais pas à ma faim. Si je voyais un yaourt dans le frigo et que j’en avais envie, je ne pouvais pas le prendre n’importe comment. Je n’avais vraiment pas de vie privée.

Du coup, tout ce que je faisais, c’était au salon. Ils étaient tous au courant de ce que je faisais, à qui je parlais au téléphone. Ils restaient à côté de moi pour écouter. Moi, je dormais dans le salon. Je dormais tard la nuit. Pourquoi ? Parce que le mari, quand il rentrait, il zonait jusqu’à x heure. Il fallait que j’attende qu’il finisse de zoner vers 2 h du matin avant de partir. Je dormais quatre heures…

Il ne fallait pas que je parle aux voisins. Il ne fallait pas que je parle aux étrangers dans la rue. Il fallait juste que je sorte faire ce que j’avais à faire et rentrer. Lorsque le couple n’était pas là, présent à la maison et que je sortais avec les enfants, celui de dix ans, le plus âgé, avait comme tâche d’écouter tous mes faits et gestes. C’était un ordre venant de sa mère.

Il fallait toujours que je sois là. Si je n’étais pas là, elle allait me hurler dessus, crier et tout, en me disant que c’est grâce à elle que j’étais là.

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Chantage et culpabilisation

Je n’avais pas le droit de dire que j’étais fatiguée. Il fallait toujours que je montre que j’étais motivée. Elle me faisait aussi du chantage en me disant : “Tu es illégale dans ce territoire, donc faut même pas que la police te voit.”

Et quand elle me faisait des reproches, je culpabilisais. Je me disais : “Non, il ne fallait pas que je le fasse. Après tout, c’est elle qui m’a amenée ici, c’est grâce à elle que je suis ici.” Quand j’habitais avec ma cousine, je n’ai jamais été payée. Je n’ai jamais été à l’école. Je n’ai même jamais été inscrite quelque part. À chaque fois que je demandais : “Quand est-ce que je vais aller à l’école ?” elle me disait : “Non, t’inquiète.”

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« J’avais préparé mon sac comme si je savais que j’allais partir de là définitivement »

J’ai été maintes fois hospitalisée lorsque je vivais chez ma cousine. J’ai une pathologie chronique. À tout moment, je peux faire des crises. Les émotions comptent beaucoup dans cette pathologie. Pendant mon séjour chez ma cousine, je n’étais pas bien, donc à maintes reprises, j’ai été hospitalisée. Je ne dormais pas assez, j’étais plutôt stressée, j’étais malheureuse.

Une nuit, j’ai fait une crise. C’est là qu’elle a su que je n’étais vraiment pas bien et elle a décidé d’appeler le SAMU. J’avais préparé mon sac comme si je savais que j’allais partir de là définitivement. J’avais pris mes documents administratifs, mon passeport.

Il faut savoir qu’avant ma dernière hospitalisation là-bas, j’avais fait une crise une semaine avant. Du coup, l’infirmière cherchait à savoir pourquoi encore, après une semaine d’hospitalisation, quand j’étais sortie, je n’étais pas bien ? J’ai dû répondre : “Voilà, où je suis, je ne suis pas bien.”

Elle revient plus tard avec tout un groupe de médecins, psychiatres, psychologues. C’est là que j’ai dû encore réexpliquer, raconter encore mon histoire de A à Z. Et c’est comme ça qu’on me présente le CCEM (une association à but non lucratif qui a été créée en 1994 par un groupe d’avocats et de journalistes).

Je lui ai dit : “Si je pars, c’est quoi les conditions ? Est-ce qu’elle sera au courant ?” Elle me dit : “Non, non !” J’ai fait dix jours à l’hôpital, le temps que le CCEM arrange tout. J’ai été hébergée par le CCEM. J’ai fait trois jours dans l’appartement d’urgence. Ensuite, j’ai habité dans des hôtels. Et de là, j’ai quitté pour un foyer étudiant. C’est là-bas que j’habite désormais.

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Recommencer à vivre

Franchement, s’il n’y avait pas le CCEM, je ne sais pas où j’en serais. Ils m’ont aidée à avoir mes papiers. J’ai un titre de séjour. Je vois une psychologue. Avec le CCEM, ils m’ont aidée à m’inscrire dans une école. Donc ça fait un an que j’ai mon bac et aujourd’hui, je suis étudiante en soins infirmiers et c’est dans une école très réputée de Paris.

Cette famille, je ne veux plus entendre parler d’elle. Je n’en veux plus rien parce que psychologiquement, j’ai été atteinte. Avec du recul, je vois que j’ai très bien fait de partir de là et aujourd’hui, je suis heureuse. Je n’ai plus envie d’être associée à cette famille. Au final, je n’ai pas porté plainte parce que je me dis qu’il y a des enfants en jeu. Je n’ai même plus envie de parler d’elle en tant que ma cousine.

C’est une personne étrangère. Je n’ai plus son numéro. Je n’ai plus rien.

*Le prénom a été modifié

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Les Commentaires

1
Avatar de PanamCT
1 novembre 2024 à 13h11
PanamCT
Et bien, un article dans lequel l'antagoniste est une femme. Je croyais que ça allait à l'encontre de votre ligné éditoriale. Ça progresse.
Sarcasme mis à part, témoignage triste, mais nécessaire. On a tendance à beaucoup parler du commerce triangulaire, au détriment de l'esclavage moderne (et des autres périodes d'esclavage), alors que c'est quelque chose qui n'est pas négligeable, et dont il faudrait sensibiliser les gens aujourd'hui plutôt que de le faire dans 300 ans
Il aurait été intéressant d'en parler, ou de faire un deuxième article dans la foulée.
d'après les chiffres, sans doutes largement sous-estimés, il y aurait environ 50 millions d'esclaves modernes dans le monde en 2023 alors que ce chiffre était de 40 million en 2017.
Les calculs et le recensement sont compliqués. Il y a beaucoup de "zone grise" (coucou uber eat).
De même que l'accès au données sont très difficiles, et parfois encore plus selon les pays où il ne fait pas bon à être journaliste (Chine, Corée du nord, Afghanistan etc)
Ainsi chiffres varient entre 70% de femmes à parfois 56% selon les méthodes.
Si c'est en Corée du nord qu'il semble y avoir le plus d'esclave moderne par habitant avec 102 ‰, la majorité se trouve dans le monde musulman (notamment via le système de Kafala).
La France aurait un taux de 2 ‰, et l'Union Européenne de de 3,4 ‰.
Beaucoup de secteurs sont impactés et il est difficile de ne pas "participer" à ça.
Agriculture, industrie (notamment le textile), industrie minière (métaux rares pour les téléphones), construction.
3
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