« Militant pour l’indépendance du Pays Basque, Xabi se fait arrêter en 2015 pour terrorisme chez des amis de ma famille. Je ne le connais pas directement, mais je suis présente lors de son arrestation. Une scène violente, choquante. Je lui écris donc une lettre pour lui manifester mon soutien. Il m’y répond.
De là, notre échange épistolaire débute. On s’écrit chaque semaine des courriers contenant huit à dix pages. Des photos de nous, aussi. On se raconte toute notre vie, on se lie l’un à l’autre, et on s’attache au point de tomber fous amoureux. Pour autant, ne s’étant jamais vu, on ne s’étiquette pas en couple.
« À notre premier parloir, c’est le stress total, je ne sais même pas comment le saluer »
Au bout de trois ans, Xabi me propose de lui rendre visite au parloir de la maison d’arrêt de Fresnes, où il est incarcéré. Ayant encore 11 ans à purger, c’est la seule façon de le rencontrer en réel. Je fais une demande de permis de visite, entre en relation avec sa famille pour choisir une date et réserve mon billet d’avion.
Notre premier parloir a lieu le 28 mai 2018. C’est le stress total, je ne sais même pas comment le saluer. Il n’en mène pas large non plus. On se fait la bise tout en se serrant dans les bras, et après avoir un peu bavardé, naturellement, on s’embrasse. Depuis ce jour, on est officiellement en couple. Notre correspondance se poursuit.
Et on se voit en parloir environ tous les trois mois. Ça ne s’improvise pas, la demande doit s’effectuer plusieurs semaines à l’avance. En outre, l’hébergement et le billet d’avion ont un coût. En parallèle, on obtient l’accord de pouvoir se téléphoner. Les appels sont illimités, mais très chers et facturés au prisonnier qui doit charger du crédit. Ressentant le besoin de se parler tous les jours, on tâche de limiter la durée.
« Dormir ou cuisiner à deux, semble un détail pour n’importe quel couple, pour nous, c’est très précieux »
Xabi est transféré plus près, à Mont-de-Marsan, ce qui nous permet de nous voir en parloir 45 minutes chaque mois. Dans ce centre pénitentiaire, il y a aussi des UVF (Unités de vie familiale) avec trois appartements meublés dans lesquels on peut se retrouver entre 6 et 72 heures.
Si l’on obtient une réponse favorable – il y a beaucoup de demandes de la part des prisonniers, elle n’est donc pas systématiquement autorisée – on l’apprend deux semaines avant avec la date et le temps accordé. Heureusement, à ce moment-là, bossant dans l’évènementiel, souvent le week-end, je dispose de pas mal de flexibilité en semaine pour me libérer.
Passer autant d’heures ensemble, parfois trois jours entiers, est une vraie découverte. Dormir ou cuisiner à deux, semble un détail pour n’importe quel couple, pour nous, c’est très précieux. Mais, en 2020, l’annonce du confinement signe la fin des UVF et des parloirs durant neuf mois, un éloignement physique très difficile à vivre pour nous.
Pas évident ensuite la reprise des parloirs avec le port du masque et la distanciation physique. En mars 2022, Xabi demande à être transféré à Lannemezan pour bénéficier de meilleures conditions de détention. Et notamment de parloirs plus longs où l’on peut se voir trois heures le matin et trois heures l’après-midi.
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« 5 ans presque jour pour jour après notre premier parloir, j’accouche de notre bébé parloir »
A cette période, j’ai 30 ans, lui 39. Il va bientôt pouvoir faire une demande de liberté conditionnelle. C’est si fort entre nous qu’on commence naturellement à éprouver un désir d’enfant. Je tombe enceinte en août.
Du coup, on a fait des démarches pour se marier, car le papa ne pouvant être présent lors de la déclaration de naissance, il nous faut un livret de famille. On signe les papiers avec les notaires en prison, puis l’adjointe au maire vient nous faire passer un entretien individuel aux allures d’interrogatoire, pour vérifier qu’il ne s’agisse pas d’un mariage blanc. Une date de mariage nous est ensuite délivrée : le 14 mars 2023.
On célèbre notre union au centre pénitentiaire dans une salle de réunion aux côtés de l’adjointe du maire et de nos deux témoins, les parents de Xabi, seuls proches à disposer d’un permis de visite. Je ne porte pas de tenue blanche, mais une jolie robe confortable pour mon ventre. On immortalise le moment avec quelques photos, puis il retourne dans sa cellule. Nuit de noces non incluse au menu.
Le 31 mai 2023, soit cinq ans presque jour pour jour après notre premier parloir, j’accouche de notre bébé parloir. C’est ainsi qu’on surnomme les bébés nés d’une union avec un.e prisonnier.e.
Soutien des proches et libération
Mes voisins, ma famille, la sienne et mes amis m’ont beaucoup entourée, soutenue. Et, le fait que je sois en relation avec un homme incarcéré pour une dizaine d’années n’a pas braqué mes proches.
Il faut dire que comme beaucoup ici, mon père et mon oncle ont déjà, eux aussi, été condamnés pour terrorisme suite à leurs revendications pour la libération du Pays Basque. Xabi fait une demande d’autorisation de sortie pour rencontrer sa fille, à la maison et non en prison. Elle a lieu à peine quinze jours après la naissance de Euri, sous escorte policière.
Il obtient dans la foulée une réponse positive de libération conditionnelle et sort de prison le 13 novembre 2023, après avoir passé huit ans et demi derrière les barreaux. Euri a cinq mois. On ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi rapide, mais on est ravi, surtout pour notre petite fille. Depuis, on savoure notre petite vie à trois, libres et heureux. »
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