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Ce que la culture japonaise m’a appris

La culture du Japon fascine Mircéa Austen, qui fût étudiante en japonais. A l’occasion de la Japan Expo, elle nous raconte son Japon à elle.

— Article initialement publié le 10 juillet 2014

Mise à jour du 10 juillet 2014

A l’occasion de cet article nous souhaiterions apporter notre soutien au Japon que traverse actuellement le typhon Neoguri de part en part. L’île d’Okinawa à l’extrême sud du Japon a été tout particulièrement touchée. Évoluant à 130 km/heure il provoque pluie torrentielle et glissement de terrain.

Nos pensées accompagnent le Japon en cette période difficile.

Article du 4 juillet 2014 

La langue japonaise est réputée difficile. En fait, débuter en japonais n’est pas le plus compliqué pour peu que l’on soit persévérant-e. L’effort en vaut largement la peine, et nous en apprend bien plus sur le monde qu’on le soupçonnait au départ…

Apprendre les codes d’une culture foncièrement différente

Tou-te-s les étudiant-e-s en langue orientale vous le diront : on n’est pas le même avant et après ce choc culturel. Lorsque tous les repères sont bouleversés, que la grammaire change, c’est soi-même qu’on remet en question : « Est ce que cette perception du monde est la mienne, ou est-elle le fruit de ma culture ? ».

Le concept du uchi et du soto, par exemple, n’existe qu’en japonais et se traduit difficilement en français, pourtant il est important ! Le uchi-soto désigne une structure de la société japonaise qui peut se traduire littéralement par « dedans – dehors ». Il désigne la façon dont la société structure ses cercles sociaux : on est soit dedans soit en dehors d’un groupe social donné.

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Soit t’es dans la petite maison, soit t’es pas dans la petite maison.

Cette notion de groupe social est bien plus difficile à définir que la notion de réseau social ou encore les fameux champs bourdieusiens connu des Occidentaux : ils sont mouvants, susceptibles d’évoluer et touchent autant à la vie privée qu’à la vie professionnelle.

Au Japon, appartenir à un groupe social, un club scolaire ou sportif par exemple, est valorisé, le uchi représentant la norme. À l’inverse, en tant qu’étranger vous serez soto tant que vous n’aurez pas assimilé la majorité des us et coutumes nippons… et peut-être même après.

De quoi déboussoler notre culte de l’individualisme ! Ce qui n’empêche pas pour autant l’originalité d’exister dans la culture japonaise.

Le culte de la politesse

Au Japon, on ne fait pas qu’occuper une position sociale. On doit perpétuellement avoir conscience de son propre positionnement, de manière à adapter jusqu’à sa grammaire et son vocabulaire. La notion de « politesse » serait bien faible pour expliquer un tel processus, et peuple les cauchemars des traducteurs !

Ains,i pour dire tout simplement « je », il n’existe pas moins de 14 formes différentes ! Du « watashi » classique et poli au « boku » plus viril en passant par le féminin « atashi », c’est un vrai exercice de style.

En général, lors d’une première rencontre dans un milieu professionnel, les hommes et femmes d’affaire japonais•e•s se tendent leur carte de visite, qui permet de se rendre compte de la place sociale de son interlocuteur. Simple formalité ? Que nenni ! La façon de s’exprimer changera en fonction du degré de politesse à adopter, lequel dépend du rang social, du genre…

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La carte de visite japonaise, nommée « meishi », est un indispensable dans le monde des affaires au pays du Soleil Levant. Crédit photo : Dominiek ter Heide

Autant vous dire que nos « cordialement » font pâle figure en comparaison !

Le keigo représente le summum de la politesse à la japonaise, il s’agit du « langage du respect » et là, ce n’est pas compliqué : c’est carrément la grammaire qui change ! Il est divisé en plusieurs types : poli, respectueux ou modeste. Et cela selon le contexte, l’interlocuteur, le sexe, la météo… Bon, ok, pour la météo j’exagère.

C’est notamment dans cette version extrêmement respectueuse de la langue japonaise que les vendeurs s’adressent à leur clientèle, même dans les plus petits commerces.

Alors si vous demandez à un étudiant comment dire quelque chose en japonais, s’il est honnête, il est fort probable qu’il vous répondra un laconique : « ça dépend ».

La joie de savoir dire « non »

Il y a des plaisirs que la langue japonaise réserve à ses locuteurs, tel que la charmante expression fua-fua qui désigne les petites choses tendres et moelleuses, comme un petit lapinou à poils longs par exemple.

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Fort fort potentiel fua-fua. Crédit photo : xwd

Apprendre le japonais permet de savourer d’avantage sa propre langue, lorsqu’on comprend que

ce qui nous semble évident est un privilège.

C’est notamment le cas du « non » utilisé comme refus frontal. Pour un Japonais, il est d’une violence remarquable et sera évité le plus souvent, contournés par une foule d’expressions telles que le simple ????, chotto, que l’on pourrait traduire par un « hum… » un peu gêné, ou le plus embarrassé ???, muzukashii, littéralement : « c’est difficile… ».

Ne vexez donc pas un-e Japonais-e en lui répondant d’un simple « non », et ménagez sa sensibilité, surtout s’il/elle vient d’arriver et ne connaît pas bien la culture occidentale !

Le kanji, cette étrange créature

Il existe trois alphabets en japonais. Les katakanas servent à la transcription des mots occidentaux (c’est dire si nous sommes soto !), les hiraganas servent à écrire les mots courants japonais, les particules grammaticales… et sont utilisés dans les livres pour enfants, qui ne maîtrisent pas encore tous les kanjis.

Les kanjis, justement, venons-y. Il s’agit des fameux caractères rigolos hérités de la langue chinoise. Ils sont à la fois un mot, plusieurs sons, plusieurs sens, et un dessin plus ou moins suggestif. On considère que 2000 kanjis doivent être connus pour prétendre à une bonne maîtrise de la langue japonaise : ça en fait des heures passées à les dessiner encore et encore sur des brouillons ! Et accessoirement, ça fait une bonne raison d’arrêter ses études de japonais, si vous suivez mon regard…

Surtout, le kanji ouvre à une nouvelle sensibilité vis-à-vis du vocabulaire. Un mot devient une oeuvre d’art, un concept en trois dimensions.

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Le kanji signifiant « soleil » par exemple se prononce hi, bi ou ka selon les usages, mais c’est surtout le fameux ni de « ni-hon », nom japonais du Japon signifiant littéralement « soleil levant ». Or, le graphisme même de ce kanji est dérivé… de la forme du soleil !

Les Japonais ne se contentent donc pas d’écrire le nom de leur pays, ils dessinent littéralement sa signification lorsqu’ils le tracent. C’est beau.

La pudeur, ce concept relatif

Je pourrais parler d’un millier d’autres détails qui font du Japon une culture fascinante, mais celui qu’avec le recul je regarde avec le plus de tendresse, c’est bien ce rapport enrichissant à la pudeur.

On considère souvent les japonais à travers leurs paradoxes : ils sont coincés mais ils ont des love hotels, ils sont timides mais ils dessinent des hentai avec des tentacules…

À force de jouer au jeu des 7 bizarreries, on oublie ce que concrètement le Japon peut apporter dans sa vie de tous les jours, et ce rapport différent à la pudeur me paraît être une bonne illustration : entre personnes du même sexe, tout du moins, la pudeur à la japonaise aurait de quoi effaroucher bien des Occidentaux !

Les bains publics, ces fameux onsen, se pratiquent en effet totalement nu. Et pas cette nudité farouche à l’occidentale, le corps rentré en dedans, le rouge aux joues, non : une nudité pleinement assumée, les épaules droites et la tête haute.

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« Onsen » peut aussi se traduire par « paradis sur terre » je pense… Crédit photo : David McKelvey

J’ai rencontré ainsi, en Europe, des femmes japonaises se baladant dans le plus simple appareil avec la plus grande décontraction dans les vestiaires de piscine : je ne vous raconte pas les regards des autres participantes !

De la même façon que le hammam apprend à décomplexer, le onsen est une bonne école de l’acceptation de soi… et de ses poils !

En effet, les Japonaises n’ont pas du tout le même rapport que les Occidentales à l’épilation : si celle des avant-bras est réglementaire, celle du maillot est vraiment considérée comme olé-olé. À vrai dire j’ai déjà rencontré une Japonaise pensant que les Françaises naissaient… sans poils pubiens !

Ce petit tour d’horizon est bien faible pour rendre justice aux charmes du Japon et à l’enrichissement provoqué par une telle rencontre entre les cultures, qui dépasse en tout cas largement les caricatures stériles que l’on peut faire de ce pays fascinant.

Et si les kanjis demandent des années d’apprentissage, pourquoi ne pas vous mettre aux hiraganas et katakanas qui comportent chacun 48 caractères et peuvent s’apprendre en quelques semaines ?

À lire aussi : Guide à l’usage des touristes allant au Japon pour la première fois


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

31
Avatar de Claire Defresnes
21 avril 2017 à 12h04
Claire Defresnes
Autrefois, tous les onsen étaient mixtes, mais lors de l’occupation américaine à partir de 1945, le général Mc Arthur en fut horrifié et ordonna la séparation des sexes.
Heureusement, ce n’est pas le cas partout, notamment à Hokkaïdo.
Beaucoup de gens ont l’air de penser que cette nudité en commun sera une épreuve.
Au contraire, pour moi, c’est une libération: je me sens bien, doublement bien parce que aussi ça fait du bien d’être nue sans que les gens y pensent à mal, sans qu’ils aient des pensées lubriques ou qu’ils estiment que c’est de l’exhibitionnisme.
En France, nous crevons de cette pudibonderie.
Il faudrait envoyer les Français au Japon (ou en Autriche, Allemagne, Scandinavie etc.) pour qu’ils réalisent qu’on peut fort bien être nue sans que ça n’ait quoi que ce soit de sexuel, et que ça libère non seulement le corps, mais au moins autant la tête.
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