Je suis une personne jalouse, mais je me soigne. Je sais que je ne devrais pas. J’ai toujours su que je ne devrais pas. J’étais tout bonnement, tout simplement jalouse, et ça m’a longtemps bouffée.
Comme le monsieur avec les huîtres.
Ma triste jalousie pré-pubère
Ça a commencé quand j’étais petite et que mon physique était devenu quelque peu ingrat. Je crevais d’envie de ressembler à mes copines, si mignonnes avec leur visage encore tout auréolé d’enfance…
Je voulais ressembler aux jumelles Olsen et à Mae Whitman, à qui toutes les extravagances capillaires et t-shirt en col V allaient parfaitement, avec leurs joues rondes et leur nombril apparent.
Mon nombril, lui, on ne le voyait pas quand j’étais assise. J’aurais pu m’en foutre, j’aurais dû m’en foutre, mais j’ai très vite pris conscience de mon envie d’être jolie. Ce que je ne comprenais pas, à l’époque, c’est que cette envie était trop précoce, et qu’elle m’empêchait, justement, de me trouver mignonne. Parce qu’elle me forçait alors, avec le manque de recul inhérent à l’enfance, à me comparer. Tout le temps. À tout le monde.
Je me comparais à ma mère, en regardant des photos d’elle quand elle était petite et en me demandant pourquoi, moi, j’avais pas un visage aussi gracieux qu’elle à l’époque. Je me comparais aux actrices, aux chanteuses et aux jolies dames adultes en couverture des magazines en me demandant si, un jour, j’aurais le même corps qu’elles.
Pour moi, vraiment, à cet âge-là, c’était la norme : comme je ne voyais que des corps tout fins tout musclés dans les médias, je voyais pas comment d’autres corps pouvaient exister. Je me comparais à mes copines, donc, ou plutôt aux filles de ma classe puisque très vite, quand mes complexes précoces m’ont sauté à la face, je me suis renfermée sur moi-même.
Je me comparais à tout le monde, mais juste en surface, physiquement, et en prenant ce qui m’apparaissait comme la norme pour argent comptant. Jamais j’aurais eu le réflexe, à l’époque, de creuser un peu. De me dire que j’avais d’autres choses à proposer, déjà.
Seul le physique comptait pour moi, et ça a suffi à me donner l’impression que je ne serai jamais aussi bien que les autres, sur tous les points.
J’ai eu une enfance joyeuse, mais je n’étais pas une enfant complètement heureuse, parce que quand je croisais mon reflet dans le miroir ou quand je prenais soudainement conscience de ce à quoi je ressemblais, en voyant une fille plus jolie, j’avais une boule bizarre dans la gorge et je serrais fort mon ventre dans mes mains comme pour le dégonfler. Je faisais semblant de savoir faire de la magie pour me jeter un sort de jolieté et j’y croyais vraiment l’espace de quelques secondes.
Ma jalousie adolescente au jugement facile
Au bout d’un moment, j’en ai eu marre d’être triste chaque fois que je me voyais, alors j’ai cherché des coupables autres que mon métabolisme, mon amour de la bouffe et la puberté précoce qui rendait fou mon sébum (j’avais clairement le visage huileux comme une frite en plein soleil, des années avant toutes les autres personnes de ma classe).
Alors mes complexes par rapport au corps des autres, qui jusque là m’avaient stupidement attristée, ont commencé à me rendre aigrie. J’étais incapable d’être sympathique et amicale avec les filles jolies de mon collège.
J’étais pas occupée à les harceler ou à les humilier publiquement — c’est peut-être trop facile de dire que ce n’est pas mon genre, même si j’en suis persuadée, mais qui sait ? Si j’avais été populaire, peut-être que je l’aurais fait. Ça me fait froid dans le dos de le dire, mais il faut être honnête.
En revanche, ce que je savais très bien faire, c’était critiquer toutes les filles considérées comme belles par la quasi-totalité de la population de l’établissement scolaire. Elles avaient quelque chose que je n’avais pas, et je me sentais lésée. Je trouvais ça injuste, et je les ai tenues pour responsable (à tort, évidemment) de cette injustice.
Si ça se trouve, je me croyais dans Clueless.
Je les scrutais sans cesse, presque
creepy dans ma fascination, dans l’espoir qu’elles fassent un faux pas, dans l’attente que la roue tourne. Ça aurait pu tourner au slut-shaming et en y songeant à nouveau, je ne pense finalement pas avoir tant eu ce réflexe que ça. Je me « contentais » de les juger. Je faisais en sorte de me convaincre qu’elles ne comptaient que sur leur physique pour exister.
Je me disais que ces filles-là n’arriveraient à rien dans la vie, parce que ça me rassurait (spoiler alert : ces filles là ont aujourd’hui des vies très cool, et moi aussi ; je suis fort contente de savoir que les mauvaises ondes que je leur envoyais ne les ont jamais atteintes).
Je me disais que moi, j’avais pas besoin d’être jolie pour réussir, que ça allait se passer autrement, que la roue tournerait. Que le fait qu’elles mettent des t-shirts moulants, ou des vêtements qui montraient leurs genoux, étaient bien la preuve qu’elles cherchaient l’approbation des garçons avec qui elles flirtaient.
J’invoquais le féminisme pour appuyer mes pensées même si, quand j’oubliais de faire semblant de rationaliser la chose, je passais surtout mes journées à leur en vouloir parce que je ne pouvais pas m’empêcher de les envier…
Ça ne me faisait pas me sentir mieux : au lieu de soupirer d’inconfort et de regarder mon reflet comme si c’était une mygale (une purulente) (avec des poils comme des lames de rasoir) (et qui sent l’urine), je soupirais d’inconfort et regardais mon reflet comme si c’était une mygale quand j’étais seule… et passais le reste de ma journée à rager en observant les autres.
En quoi j’avais le droit, même à l’époque, de vouloir avoir une meilleure vie qu’elles plus tard ? Qui étais-je pour estimer que je valais mieux qu’elles ? La réponse à cette deuxième question est simple : personne.
On ne devrait jamais estimer valoir mieux que quelqu’un d’autre, même dans son imaginaire, qu’il s’agisse d’une simple volonté de nuire dans toute sa splendeur ou, comme dans mon cas, d’un besoin de compenser un malaise vis-à-vis de soi-même.
Bah oui : sachant que je m’étais comparée à elles pendant toute ma scolarité, il FALLAIT que je fasse mieux dans l’avenir…
Et quand ma grande pote, qui était avec moi la moche de service en 6ème (sondage sur la 6ème 6, réalisé sur 23 participants), a fini par devenir bonne en 4ème, j’avais envie de crier à la trahison. Peux-tu peindre aux mille couleurs la perte de temps qu’a été cette partie de mon existence ?
Oui, j’aime bien invoquer Pocahontas de temps en temps pour détendre l’atmosphère.
Ma jalousie et le corps des autres dévoilé
J’ai été cette fille qui n’aimait pas les filles et, complexes ou pas, je ne trouve aucune excuse pour justifier ça. Ayant gardé tout ça pour moi, je n’ai finalement fait du mal qu’à moi-même, mais j’ai tout de même pourri pas mal de mes relations.
Je vais pas non plus faire le procès de l’adolescente que j’étais, mais j’estime que c’est important, parfois, de prendre du recul et réfléchir sur ses comportements passés pour réaliser combien il était nocif, pour soi comme pour les autres, et éviter de le reproduire.
Ce que j’avais pas encore pigé, à l’époque, c’est que ce n’était pas les filles de mon collège qui se réduisaient à leur physique : c’était MOI qui les réduisais à ça.
À aucun moment je ne me disais qu’elles étaient bien plus qu’un corps. À aucun moment je ne m’imaginais être amie avec elles. Je me réduisais à mon physique aussi, en un sens : comme je ne me trouvais pas jolie, que je n’avais pas beaucoup d’amis et que je n’attirais pas les garçons, je faisais un gros amalgame.
Je pensais que les autres ne me parlaient pas parce que j’avais ce physique que j’estimais ingrat ; ce que je ne voulais pas comprendre, c’est que j’étais trop obsédée par mes complexes, je me bloquais et refusais de m’ouvrir. D’où mon absence de vie sociale.
Et parce que mon esprit était sérieusement gangréné par la jalousie, je me sentais pire qu’une merde alors je faisais en sorte de trouver les autres plus merdique que moi.
Ce qui est paradoxal, c’est qu’il y a encore peu de temps, je leur refusais tout un tas de choses contradictoires. Quand j’entendais d’une façon ou d’une autre ces filles parler de leurs complexes, je rageais : je ne leur octroyais pas le droit d’en avoir. Je les trouvais belles, je voyais qu’elles plaisaient, je ne voulais pas qu’elles me volent ce petit privilège : se plaindre de son corps.
A contrario, j’étais jalouse de les voir assumer leur corps, porter des t-shirts au-dessus du nombril, des mini shorts, des jupes courtes. Je ne voulais pas qu’elles se montrent, parce que j’estimais qu’elles entretenaient mes complexes en me montrant toutes ces choses que je n’avais pas.
En réalité, alors qu’à l’époque, j’étais déjà féministe, j’allais à l’encontre du principe de body positivity que je chéris pourtant si fort : je rechignais devant l’idée que si une fille décidait de mettre une photo d’elle nue sur Internet, c’était parce qu’elle le voulait. Je lui en voulais de narguer celles qui ne s’assumaient pas. J’avais envie de la secouer en lui disant « MAIS TU VOIS PAS CE QUE TU ME FAIS ? TU VOIS PAS QUE TU ME FAIS MAL ? ».
C’était stupide de ma part : ce n’est pas parce que je trouvais son corps beau et son assurance magnifique qu’elle ne voulait pas que je m’aime. Ce n’est pas parce qu’elle s’assumait qu’elle m’empêchait, moi, de faire de même !
Autre exemple : j’ai un peu honte de le dire, mais ma première réaction en voyant le chouette Tumblr Mon corps m’appartient, ça a été de dire « C’est dommage, y a des filles qui posent dessus alors qu’elles correspondent totalement aux canons de beauté ».
C’était un vieux réflexe et je me suis repris très vite : pourquoi est-ce que le fait qu’elles correspondent à ces canons de beauté devrait leur interdire de parler de leur rapport à leur corps, de le montrer, et surtout, surtout, de rappeler que c’est le leur et qu’il n’appartient qu’à elle ? Au nom de quoi mes complexes et les photos de mon corps valaient plus que les leurs ?
Il n’y a aucune raison de montrer son corps si on n’en a pas envie, mais il n’y a aucune raison de le cacher si on souhaite le montrer. C’est tout con quand on y pense, mais il m’aura fallu tellement, tellement de temps avant de le comprendre…
Aujourd’hui, la plupart du temps, ça va vachement mieux. J’ai été en coloc deux ans avec deux filles très belles et la jalousie ne m’a pas rongée. J’ai pas mal d’amies absolument magnifiques et, même si certaines potes ont tendance à me faire complexer malgré elles (quand elles me disent qu’elles se sentent comme une petite crotte à côté d’une très belle fille, je me demande si ça veut dire que je devrais faire pareil), je n’y pense même pas.
Déjà, parce que je sais qu’on peut choper même quand on est entourée de filles qui répondent davantage aux critères de beauté. Et surtout parce que je ne les vois plus que comme des bonnasses : elles sont bien plus que ça.
Pour arriver à cet état d’esprit plus serein, j’ai surtout eu besoin de comprendre que j’étais une personne intéressante, même sans comparaison avec qui que ce soit d’autre. Que j’étais quelqu’un, avec mes points forts et mes faiblesses. J’ai appris à me considérer, moi, sans garder un oeil sur les autres en même temps.
Ça va vachement mieux parce que ma puberté est terminée, et surtout, que j’ai appris à bien m’aimer, à ne plus me voir uniquement comme une enveloppe corporelle. Mon corps, je ne l’aime pas tous les jours, mais je l’accepte tout le temps. Et je le trouve beaucoup moins nul que quand j’avais sept, douze ou vingt-deux ans.
Mais laissez-moi vous dire qu’il m’a fallu du boulot pour en arriver là.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Ps: j'ai toujours trouvé que Sophie avait tout d'une fille qui s'assume, qui a confiance en elle et qui se trouve belle