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En gris, Sandrine Sophie, fondatrice de la marque Kalia Nature, entourée d'autres femmes aux cheveux texturés // Source : Kalia Nature
Soins cheveux

« J’ai voulu combler un manque de produits naturels et efficaces pour cheveux texturés » : Sandrine Sophie, fondatrice de Kalia Nature

En 2015, Sandrine Sophie a cofondé sa propre marque de haircare pour cheveux texturés , Kalia nature, après avoir formulé des produits pour sa fille grande prématurée, inspirés par la pharmacopée caribéenne. Près de dix ans plus tard, alors que la France discute de l’adoption d’une loi contre la discrimination capillaire, elle raconte à Madmoizelle son parcours sans frisottis.

Trouver une routine capillaire qui convienne à ses cheveux peut souvent être une galère. Mais quand on a les cheveux texturés (ondulés, bouclés, frisés ou crépus), c’est encore pire. Pourtant, cela concerne 6 personnes sur 10 dans le monde, d’après Sandrine Sophie, cofondatrice et formulatrice de Kalia Nature qui s’y dédie. Après avoir constaté le manque criant d’offre qualitative, avec une formulation mêlant efficacité et naturalité, elle a décidé en 2014 avec son mari de lancer sa marque. Celle-ci a vu le jour en 2015. Dix ans plus tard, Madmoizelle interviewe cette entrepreneuse française du haircare, alors que l’Assemblée nationale discute d’une loi contre la discrimination capillaire.

Interview de Sandrine Sophie, cofondatrice de Kalia Nature

Madmoizelle. Quel a été votre parcours avant de lancer votre marque ?

Sandrine Sophie. J’ai travaillé 17 ans chez L’Oréal, mais pas du tout côté chimie, ni formulation. J’étais du côté du contrôle de gestion et j’ai aussi travaillé du côté de la recherche avancée. Donc j’étais quand même en contact avec les chimistes, les formulateurs, ce qui m’a beaucoup servi pour la suite.

Quelle relation aviez-vous avec vos cheveux avant ?

Il y a 18 ans, j’ai donné naissance à une grande prématurée, donc avec des problématiques de santé spécifiques, notamment respiratoires et allèrgenes. Je cherchais alors des produits qui soient sains et naturels à lui prodiguer que je ne trouvais pas, même dans les boutiques bios. Alors j’ai repris des recettes de ma grand-mère en Martinique qui avait une grande connaissance des plantes et des fleurs. C’est comme ça que j’ai commencé à formuler des produits simples pour les cheveux et la peau de ma fille, sans me dire que cela pourrait devenir une marque un jour.

Mais au fil des années, j’ai commencé à ressentir une dissonance entre les discours d’acceptation de soi et de ses cheveux naturels que j’inculquais à ma fille, et le fait que je défrisais les miens. Donc j’ai fait une transition vers le naturel durant un an et demi, plutôt que de tout couper. Sauf que j’avais du mal à trouver des bons produits pour m’accompagner, alors j’ai formulé ce dont j’avais besoin. Et depuis janvier 2010, je porte mes cheveux au naturel.

À lire aussi : Zoom sur le Nappy, ce mouvement de libération des cheveux frisés et/ou crépus !

Comment êtes-vous passé de formuler des produits pour votre fille à lancer votre propre marque ?

Depuis que je porte mes cheveux au naturel, mon entourage a commencé à me demander des conseils, voire des produits. Mais le déclic date d’avril 2014, lors d’un séjour à New York avec mon mari. Des Afro-Américaines m’ont interpellée sans me connaître pour me demander ce que j’utilisais. Or, aux États-Unis, le marché des cheveux texturés est beaucoup plus qu’avancé qu’en France. Donc si même là-bas, elles ont encore des soucis à trouver des produits efficaces, c’est qu’il y a clairement quelque chose à faire. C’est comme ça qu’on a décidé de lancer Kalia Nature avec mon mari.

À quoi ressemblait le marché des produits pour cheveux texturés en France à ce moment-là ?

À l’époque, je connaissais déjà Kelly Massol [NDLR : fondatrice et dirigeante des Secrets de Loly, marque pour cheveux texturés fondée en 2009], pionnière sur le marché français. On a fait connaissance via le forum Boucle et Cotons qu’elle avait créé en 2005. On partageait ce constat d’un manque d’offre sur le marché de produits naturels et efficaces pour les cheveux afro. Le peu qu’on trouvait était seulement dans certains quartiers, c’était souvent chimique et destiné aux personnes qui se défrisaient. Mais il persiste encore aujourd’hui un manque de statistiques précises sur ce marché.

Concrètement, comment avez-vous créé votre marque ? C’était sur vos fonds propres ?

Avec mon mari, on s’est dit que s’il y a un besoin, il y a un marché, alors on s’est lancé directement sur nos fonds propre pour créer la marque. On a quand même d’abord contacté des façonniers pour qu’ils puissent fabriquer dans leurs laboratoires nos formulations, mais non seulement on me demandait des minimum de quantité de production trop élevés, et surtout j’ai constaté qu’ils n’avaient pas certaines des matières premières issues de la pharmacopée caribéenne. En effet, dans la Caraïbe, on a 700 fois plus de variétés de plantes et de fleurs médicinales qu’en France hexagonale ! Les façonniers ne le connassaient pas, étaient plutôt récalcitrants à en commander, surtout pour les faibles quantité qu’on envisageait de produire pour nos débuts. Alors je me suis formée à la formulation de cosmétiques bio naturels et artisanaux, ainsi qu’à leurs réglementations. Et on a créé notre propre laboratoire dans le sous-sol de notre maison, au départ.

En 2022, on a pris des locaux beaucoup plus grands pour créer un laboratoire artisanal beaucoup plus pro. Depuis 2024, nous avons industrialisé notre production pour répondre à la demande qui est de plus en plus croissante aussi bien en France hexagonale que dans les DROM, mais aussi en Europe et au Canada. Chez nous, tout est internalisé, de la formulation à la production, rien n’est externalisée. Encore à ce jour, nous sommes la seule marque de produits pour cheveux texturés qui a son propre laboratoire en France.

Comment prouvez-vous l’efficacité de vos produits, inspirés notamment de recettes de grand-mère ?

Je me réfère à toute une bibliographie de preuves scientifiques. J’ai une bible avec les élements de la pharmacopée caribéenne. Et surtout on fait plein de tests d’usage pour vérifier les allégations qu’on avance sur nos produits. C’est-à-dire qu’on fait tester à un échantillon représentatif de personnes si elles constatent bien telle propriété, tel bénéfice, après l’usage de nos produits. Ces tests d’usage sont réalisés avec des scientifiques qui établissent si oui ou non on peut dire qu’un produit est « hydratant », « nourissant », et autres allégations. Par exemple, notre masque coco-spiruline a eu quasiment 100 % de réponses positives aux questions : « est-ce que le produit fortifie vos cheveux ? », « est-ce que vous rencontrez une efficacité imméditique ? », etc. Même moi, je suis encore surprise par l’effet waouh qu’il me suscite en l’utilisant.

Ambiance Kalia Nature 2
Le masque Coco-Spiruline de Kalia Nature.

C’est vraiment notre but d’avoir des produits les plus naturellement efficaces possibles. À tel point que plusieurs sont 3 en 1, pour que notre clientièle n’est pas 36 produits dans sa salle de bain. C’est le cas par exemple de notre Crème d’Hibiscus 3 en 1 qui peut s’utiliser aussi bien comme soin après-shampoing, masque ou produit coiffant. Il a d’ailleurs été élu meilleur leave in en 2019 par la Natural Hair Academy, et produit de l’année 2023 fait en France.

Qu’est-ce qui fait la singularité de Kalia Nature par rapport à d’autres marques pour cheveux texturés ?

La qualité des matières premières. Je suis vraiment intransigeante. Ce que le grand public ne sait pas, c’est qu’une liste d’ingrédients ne permet pas de savoir à elle seule à quel point un ingrédient était transformé ou non avant de servir une formulation. Or, plus un produit est transformé, raffiné, moins il a principes actifs intéressants, généralement. Nous, on utilise des matières premières les plus brutes possilbes. Dans nos échanges avec nos clients, en privé, en live public, ou autres, on fait beaucoup de pédagogie à ce sujet, et raconte en toute transparence l’origine de nos matières, leur processus de transformation, toute cette traçabilité.

Parmi nos ingrédients phare, compte l’huile d’hibiscus, par exemple. On travaille avec une coopérative qui s’appelle Diongoma qui est au Sénégal et qui nous fournit cette huile procédant à 100 % d’hibiscus brut alors qu’en France on a beaucoup de difficultés à trouver cette qualité de matière première. Souvent, ce qu’on va plutôt trouver dans le commerce conventionnel, c’est un macérat d’hibiscus et dans la liste INCI, c’est invisible parce que vous voyez le terme « hibiscus » mais vous ne pouvez pas savoir s’il s’agit d’une faible concentration d’hibiscus dans de l’huile de tournesol, ce qui est le plus courant.

Ambiance Kalia Nature HIBISCUS
Le rituel Hibiscus de Kalia Nature.

En parlant d’ingrédients, certains de vos produits contiennent de l’huile de palme, un ingrédient controversé. Comment la sourcez-vous ?

C’est un ingrédient fortement critiqué du côté de l’industrie agro-alimentaire, en effet. Mais celle qu’on utilise chez Kalia Nature provient de coopératives qui fournissent une huile de palme certifiée durable, ségréguée RSPO [NDLR : Roundtable on Sustainable Palm Oil est une organisation internationale créée en 2004 dans l’objectif de promouvoir la production et l’utilisation d’huile de palme durable]. C’est-à-dire que les cultivateurs sont respectueux de la terre de de l’agriculture. Nous utilisons une huile extraite à froid, pour qu’elle puisse conserver un maximum de vertus, richesse en actifs nutritifs. Il ne s’agit donc pas d’huile de palme issue de cultures intensives.

Des marques qui ignoraient complètement les cheveux texturés ont récemment lancé des gammes pour toucher ce public. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une bonne chose, parce qu’on a longtemps manqué de produits sur le marché conventionnel pour cheveux texturés. Sauf que certaines marques qui ne maîtrisent pas le sujet lancent parfois une gamme en choisissant des ingrédients juste parce qu’ils paraissent exotiques et sans véritables connaissances. Or, c’est important de bien connaître les différents types de cheveux texturés pour bien les traiter. Cela nécessite un vrai savoir-faire, une expertise, plutôt que de l’opportunisme. Le cheveu texturé a une structure moléculaire différente du cheveu lisse. C’est important de le savoir pour formuler des produits capables de nettoyer sans agresser ni déssécher, de nourrir, d’hydrater, de sceller cette hydratation.

Face à la concurrence dans cette ruée vers les boucles, est-ce que vous êtes déjà rentables ?

Créer son propre laboratoire pour y concevoir des produits aux normes des réglementations cosmétiques a demandé d’investir près d’un demi million d’euros, mais nous avons très vite été rentables. J’ai un parcours en contrôle de gestion, donc on a toujours fait très attention à nos coûts. On a aussi toujours réinvesti dans l’entreprise dès qu’on pouvait pour grandir de façon proportionnelle à notre croissance naturelle.

Qui compose votre clientèle ? Quelle en est la répartition genrée ? Est-ce que le marché des cheveux texturés croit tant que ça ?

Notre cliente type, c’est une femme trentenaire qui a des enfants et qui fait attention à sa santé, consomme plutôt naturel et bio. Mais plus largement, les gens qui achètent nos produits ont entre 20 et 70 ans, avec 15 % d’hommes et 85 % pour de femmes, et ces dernières achètent parfois pour toute la famille.

Quant au marché du cheveu texturé, il reste difficile à chiffrer puisqu’il a longtemps été ignoré en France, mais il croit de +14 % par an, environ, au sein du marché de la coiffure en France qui représente plus de 36 milliards d’euros.

Entre le premier diplôme de coiffure pour cheveu texturé et le projet de loi contre les discriminations capillaires, la France est-elle en train de passer un cap sur le sujet, selon vous ?

Ce sont de belles avancées en tout cas. C’est dommage qu’il faille passer par des lois pour obliger l’amélioration des choses, mais ça peut être efficace. Quand on voit que la formation sur les cheveux texturés en école de coiffure dure 1/2 journée sur deux ans, il y a de quoi s’inquiéter. Ce n’est pas accetable d’entendre que des cheveux texturés ne seraient pas professionnels, qu’on devrait le cacher ou le changer pour rentrer dans le cadre. Cela peut avoir un grand impact sur l’estime de soi. C’est aussi l’un de nos combats chez Kalia Nature. J’ai encore en tête ces vidéos de petites filles noires qui se reconnaissent dans l’héroïne du live-action de La Petite Sirène, par exemple. Preuve s’il en fallait encore que les choses changent aussi grâce à l’enrichissement de nos représentations.


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