Qui n’a jamais envisagé cette option, ou simplement lancé l’idée à la cantonade comme une blague ? « Je vais vendre des photos de mes pieds, ce sera génial et je gagnerai de l’argent sans efforts ». Il y a quelques années, alors que j’étais face à un gros découvert que je ne savais pas comment combler, j’ai décidé de sauter le pas.
Vendre des photos de ses pieds sur internet
À cette époque, je n’avais pas de job ou de revenu fixe, et aucune solution à court terme pour faire disparaître les quelques centaines d’euros en négatif sur mon compte en banque. C’est là que l’idée de vendre des photos de pieds sur internet m’est venue, comme une solution purement financière. Je me disais que ce serait facile, et que quoi qu’il arrive, ça ne pourrait pas être pire que la situation dans laquelle j’étais.
Je ne suis pas fétichiste des pieds, ne sexualise pas cette partie du corps et même si j’étais bien consciente que mes photos seraient sexualisées par les personnes qui les achèteraient, je ne voyais pas cette pratique comme un travail du sexe.
J’ai commencé à faire des recherches sur les réseaux sociaux, à observer comment certains comptes, notamment sur Twitter (à l’époque, il n’y avait pas encore de plateformes comme OnlyFans ou MYM) fonctionnaient. Quand j’ai eu l’impression de comprendre, je me suis lancée et j’ai créé mon propre compte, très angoissée à l’idée que l’on puisse me reconnaître ou que mes proches l’apprennent.
Les premières demandes que j’ai reçues étaient des arnaques (il m’a fallu tomber dans le panneau quelques fois pour le comprendre), mais petit à petit, j’ai commencé à trouver des clients prêts à payer pour mes photos.
Je recevais des messages, souvent tard le soir, réclamant des photos de mes pieds avec des demandes spécifiques : plutôt le dessus ou le dessous des pieds, avec ou sans vernis, en chaussette, dans des sandales… Tout le monde avait sa petite préférence. Chaque commande me permettait de constituer un stock de photos différentes, que je pouvais ensuite envoyer rapidement.
Quand j’ai réalisé que c’était un travail du sexe
J’ai commencé en me disant que j’allais prendre mes pieds en photos, les envoyer, et les clients seraient contents : « Bonjour, voici dix photos, merci, au revoir ». J’ai vite compris que la réalité de ce métier était très différente : les gens veulent savoir à qui ils achètent ces photos, et profiter de l’achat pour discuter avec la personne qui les vend. Parfois, ils veulent des vidéos pendant lesquelles je n’allais pas rester statique…
Alors, forcément, même s’il n’y avait rien de sexuel pour moi dans le fait de montrer mes pieds, je jouais le jeu. Parce que je ne voulais pas me moquer des désirs des autres, parce que je ne voulais pas que mes clients se sentent ridicules (il y a une vraie personne derrière l’écran), mais aussi parce que c’est un business et que quand on veut faire payer des gens, il ne faut pas leur envoyer un truc nul.
C’est là que j’ai compris que mon travail était un travail du sexe.
Parce que je n’étais pas dépendante de ce travail pour vivre, et j’ai pu me permettre d’établir mes limites. Je ne voulais pas montrer mon visage ou le reste de mon corps, et je voulais pouvoir dire stop en dehors de mes moments de travail, pour aller faire autre chose.
Mais même si j’exposais clairement ces limites, elles n’étaient pas toujours respectées. Souvent, les clients cherchaient à me mettre la pression, et à faire en sorte que je sois disponible pour eux sans cesse.
Des interactions parfois violentes, et des pressions
Un jour par exemple, alors que j’étais avec des amis en train de faire autre chose, un de mes clients les plus réguliers a pris contact avec moi. Je lui ai répondu que j’étais en train de faire autre chose, que je ne travaillais pas à ce moment-là, mais que je reviendrai vers lui plus tard. Là, il a pété un plomb, s’est énervé et m’a fait des reproches. « C’est juste un travail pour toi, ça ne te fait pas du tout plaisir de me parler ?! »
J’étais pourtant sincère. Si je disais à quelqu’un « Tu es très sympa », je le pensais vraiment. Mais bien sûr que c’était un travail pour moi, un travail du sexe que je n’aurais jamais fait si je n’avais pas eu besoin d’argent.
Les interactions de ce genre étaient régulières, et c’était une pression permanente à laquelle il fallait résister. Mentalement, c’était difficile, notamment parce qu’elle s’exprimait de plusieurs manières différentes.
Il y a des mecs qui ont l’air très agréables au début, et qui, au bout d’un moment, se mettent à t’insulter, à t’imposer leurs délires sexuels sans consentement. Il y avait des clients qui voulaient aller de plus en plus loin, qui me disaient des choses violentes qui n’avaient rien à voir avec le cadre qu’on avait posé à la base, même si on n’avait pas signé de contrat.
Heureusement pour moi, même si j’étais jeune, j’étais assez éveillée sur les questions de manipulation. Parce que souvent, ils essayaient de me manipuler. D’abord, en me disant que j’étais une personne exceptionnelle, qu’ils n’avaient jamais vu de photos aussi belles que les miennes, puis en essayant de m’amadouer pour que je dépasse mes propres limites pour eux, que j’accepte des choses que je refusais.
Moi, je me sentais seule face à tout ça. Je ne parlais de ce travail à personne, j’étais très isolée là-dedans : on pourrait imaginer qu’il existe une sorte de sororité entre celles qui pratiquent ce métier, mais en fait, pas vraiment. Au contraire, chacune essaye de garder ses clients et une personne qui vend des photos en moins, ça fait un client en plus pour elle, quitte à parfois se faire des coups bas.
Dans cet isolement, quand je trouvais un client régulier avec qui les choses se passaient bien et qui me payait sans m’arnaquer, je me retrouvais à avoir envie de presque tout accepter. Je me disais « C’est une perle rare, il faut que je le garde, je n’ai pas envie de faire quelque chose qui ne lui plaît pas », ou bien « Normalement, je ne fais pas ça, mais pour lui… ». Ça reste un rapport de pouvoir, même si j’avais choisi cette situation, et il est épuisant à gérer.
C’est là que c’est devenu compliqué, et c’est ce qui m’a amenée, entre autres, à arrêter.
Pourquoi j’ai arrêté de vendre des photos de mes pieds
J’ai commencé à vendre ces photos en me disant que je le ferai seulement le temps de combler mon découvert. Puis, voyant que les choses commençaient à marcher et que je pouvais gagner de l’argent comme ça en étant relativement en sécurité, je me suis posé la question : est-ce que ça ne valait pas le coup de continuer ?
Finalement, j’ai fait ça pendant environ un mois et demi. J’ai gagné un peu plus que ce qu’il ne me fallait pour combler mon découvert, puis j’ai arrêté. D’abord, parce que j’avais très peur que ça se sache, ou que quelqu’un me retrouve à partir de mon adresse IP. Durant des mois, après ça, j’allais régulièrement sur les sections pieds de sites pornographiques pour voir si mes photos n’avaient pas été postées quelque part, si quelqu’un n’allait pas tomber dessus — heureusement, ce n’est pas arrivé, du moins à ma connaissance.
Il y avait aussi une question de principe. Je me disais que ce fétiche autour des pieds n’était pas le mien, que je l’avais « utilisé » pour gagner ce dont j’avais besoin, mais qu’il était temps de laisser la place à celles qui partageaient ce kink… Ou à celles qui avaient plus besoin d’argent que moi.
Enfin, la manière dont les hommes agissaient a largement contribué. J’étais fatiguée de trouver sans cesse des stratagèmes pour éviter les arnaques, pour faire respecter mes limites, pour répondre au marchandage…
Un travail qui n’a rien d’une solution de facilité
Tout le monde pense que vendre des photos de ses pieds est facile et ne demande pas d’efforts, des personnes qui en parlent à celles qui achètent les photos.
Mais j’ai découvert très vite que c’est un travail qui n’a rien d’une solution de facilité. Préparer ses pieds, se faire les ongles ou au contraire, enlever son vernis, créer un décor, faire en sorte que la photo soit jolie, la retoucher, échanger… Tout ça est long, et on ne se rend pas compte des compétences que ça demande.
À titre personnel, je ne regrette pas cette expérience. Cela m’a forgée d’apprendre à poser mes limites, à faire en sorte de les respecter, et à faire mon chemin dans un milieu que je ne connaissais pas, en assurant au maximum ma sécurité. Je n’irais pas raconter cette expérience à n’importe qui, mais je n’ai pas honte non plus de l’avoir fait.
Surtout, j’ai appris que cette pratique, qu’on banalise énormément sur le ton de la blague, était en fait un travail difficile, dans un milieu de requins.
À lire aussi : J’ai longtemps haï mes pieds pas comme les autres
Crédit photo à la une : Lucrezia Carnelos / Unsplash
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Les Commentaires
L'équipe de Madmoizelle - Madmoizelle
En vérifiant sur tweetbinder, le nombre d'abonnés (environ 80 000) et de retweet (moins de 1 par tweet) ne bougent pas depuis des années (nombre d'abonnées bidons achetés ?)
Quant à l'auteure de l'article, sont linkedin dit qu'elle ne bosse plus pour madmoizelle depuis mars 2023 et est maintenant au Huffpost.
Aïda Djoupa - Le HuffPost
Bref de quoi se poser beaucoup de question sur tous ces journalistes et comment ils font pour survivre, et du modèle économique de ce genre de sites.
Et également de quoi se poser la question de pourquoi est-ce que je traine encore ici
(ah oui, un brin de nostalgie et beaucoup de sarcasme)