Au milieu des badauds, venus admirer la tour Eiffel illuminée sous le ciel clair d’hiver, ils étaient une petite cinquantaine, lundi 12 février, à tourner le dos à ce cadre majestueux, sur le parvis des droits de l’homme. Les visages dissimulés sous des masques chirurgicaux noirs, des pancartes à la main, ils sont là pour apporter leur soutien à Khadija – connue sur les réseaux sociaux sous son nom de militante, Khadija la Combattante – une jeune femme victime de violences conjugales dont le sort est aujourd’hui suspendu à une décision diplomatique qui les dépassent, elle et son avocate, maître Pauline Rongier.
Un déni de justice incompréhensible
Sur les pancartes tendues à bout de bras, les slogans demandent « justice pour Khadija » et interpellent le ministre de l’Intérieur. On peut aussi lire « pas une de plus », en référence au triste décompte des féminicides, tenu par les associations féministes.
Car si rien n’est fait pour la protéger, Khadija pourrait bien venir alourdir ce chiffre, déjà porté à 16 depuis le début de l’année. Son cas, médiatisé à l’époque par la presse régionale ou encore Libération, est devenu le symbole des dysfonctionnements judiciaires auxquels se heurtent les victimes de violences conjugales.
En 2017, alors qu’elle réside encore à Limoges, Khadija porte plainte contre son ancien compagnon pour violences répétées et viols conjugaux. Ce lundi soir, face à ses soutiens et à la tour Eiffel, Khadija énumère les supplices qu’il lui a infligés pendant des années : côtes fêlées, dents cassées, oreilles arrachées… La violence atteint son paroxysme lorsqu’il la suspend au-dessus d’un pont, la tête dans le vide.
Mais en 2020, lorsque se tient enfin le procès de son bourreau aux assises de la Haute-Vienne, Khadija n’en est même pas informée. Sa convocation n’a pas été envoyée à la bonne adresse. C’est dans la presse qu’elle apprend qu’il a été condamné à huit ans de prison pour « violences habituelles ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours » mais pas pour les viols, la cour ayant jugé que cette accusation était insuffisamment caractérisée.
Khadija n’a pas pu regarder son tortionnaire dans les yeux, parler de sa peur, de sa souffrance et des multiples séquelles qu’elle conservera toute sa vie. « On m’a volé ma possibilité d’obtenir réparation et justice pour ce que j’ai enduré. »
Un profond déni de justice que la jeune femme, aujourd’hui âgée de 34 ans, espère un jour voir réparé. Pour le moment, en vain, puisque la loi ne l’autorise pas, en tant que partie civile, à faire appel lors d’un procès criminel – seuls le parquet et l’accusé le peuvent.
Avec son avocate, Khadija se bat depuis pour faire évoluer la loi, et espère que son affaire pourra faire jurisprudence. Elle a porté son cas auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et a entamé une action pour engager la responsabilité de l’État. « J’espère pouvoir provoquer, malgré moi, un bouleversement du droit. Car moi, je n’aurai pas droit à un nouveau procès », explique Khadija, qui a du mal à contenir son émotion.
Une vie en suspens depuis sept ans
À cette maltraitance institutionnelle s’ajoute désormais un risque imminent pour sa vie. Le 6 février dernier, Khadija a appris via une notification sur son téléphone que son ex-conjoint sera libéré samedi 17 février dans la matinée, après six années passées derrière les barreaux.
Multirécidiviste, en situation irrégulière sur le territoire français, le bourreau de Khadija devrait être expulsé vers le Maroc, son pays d’origine, dès sa sortie de prison, comme en a fait la demande le juge d’application des peines. Mais le consulat du Maroc refuse pour l’heure de délivrer le laissez-passer, pourtant nécessaire à la tranquillité d’esprit de Khadija. Son ex-compagnon a menacé à plusieurs reprises de la traquer et de ne pas la laisser vivre en paix. Il y a donc urgence à agir.
Insupportable, pour la jeune femme. « Le Maroc ne veut pas de lui, on fait comment ? Sachant qu’il a dit qu’il voulait me tuer à sa sortie, je fais quoi ? On me met encore une cible dans le dos, je n’en peux plus », souffle Khadija, qui n’aspire qu’à reprendre aujourd’hui sa vie, laissée en suspens depuis sept ans. « J’ai été à la rue, je suis aujourd’hui expulsable de mon appartement parce que je n’ai plus les moyens de payer le loyer, je suis en errance médicale… ». Une cagnotte a été lancée pour l’aider à payer ses frais de justice.
« Je suis maghrébine, je suis musulmane, je dénonce un mec de cité, je suis d’origine marocaine, il est marocain. Est-ce que ma voix compte ?, se demande Khadija. Je suis obligée d’interpeller Darmanin pour faire expulser un homme, comme la loi le prévoit. Tout ce que je voulais au départ, c’était juste porter plainte contre un mec qui m’a fait du mal, et voici où on en est aujourd’hui. J’ai juste besoin que de mon vivant, on sache qui je suis, que je sois sauvée. » La jeune femme, qui a demandé à être reçue par le ministre de l’Intérieur face à l’urgence de sa situation, attend désormais sa réponse.
Jeudi 8 février, dans une allocution diffusée sur X, Gérald Darmanin appelait les « préfets, policiers et gendarmes à mettre sans délai en application les mesures de fermeté et de bon sens de la loi immigration », à commencer par celles concernant les étrangers délinquants condamnés à une peine d’au moins cinq ans de prison.
C’est le cas de l’ex-conjoint violent de Khadija. Cette dernière espère désormais que la demande du ministre de l’Intérieur sera suivie d’effet. « Ils peuvent dès samedi l’intercepter et le mettre au centre de rétention administrative le temps de trois mois, puis l’expulser. Ça m’écorche la bouche de demander à ce qu’on me sauve, mais je n’ai plus le choix. On m’a tout pris, même ma dignité. »
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Les Commentaires
Petite coquille, il manque un mot, ici.
C'est une malheureuse réalité, personne ne veut s'occuper des cas comme l'ex de Khadija et les pays se les refilent comme des patates chaudes. Après, à quoi bon les expulser de force, si c'est pour que dans deux mois, ils reviennent illégalement sur le territoire?
La meilleure chose à faire, c'est encore de protéger les victimes.